La fibrillation atriale est fréquente chez les personnes âgées et très âgées (avec une prévalence de 10 à 15 % après 80 ans) et expose à un risque majeur d’AVC. Faut-il la dépister systématiquement ? Quelles caractéristiques cliniques ? Quelle place pour le traitement anticoagulant ? Quelle stratégie de gestion du rythme cardiaque ? D’après : Hanon F. La fibrillation atriale chez le sujet âgé. Rev Prat 2020;70(8):912.
Chez les personnes âgées, la FA est souvent asymptomatique et découverte de façon fortuite. La FA est un facteur de risque majeur d’AVC : après 75 ans, l’incidence des AVC est de 8 % par an en l’absence de traitement anticoagulant. De plus, les AVC liés à la FA apparaissent plus graves que les AVC qui ne lui sont pas liés, avec un doublement de la mortalité et du handicap à 3 mois.
La seconde conséquence cérébrale de la FA chez le sujet âgé est la survenue de troubles cognitifs. Une méta-analyse récente, incluant 2 415 356 sujets, a ainsi démontré une augmentation significative du risque de démence de 36 % chez les patients atteints.1
Dépister systématiquement ?
Le diagnostic de FA est suspecté devant une arythmie du pouls. C’est pour cela que la mesure du pouls doit être systématique lors de l’examen clinique d’une personne de plus de 65 ans ;2 l’ECG confirme le diagnostic.
Les nouvelles recommandations européennes proposent la réalisation systématique d’un ECG chez les patients de plus de 75 ans afin de détecter une FA.2
Quelles spécificités cliniques ?
Les symptômes liés à la fibrillation sont variés : dyspnée, palpitations, douleur thoracique, malaises, chutes, syncope, asthénie, anxiété… Les palpitations sont moins fréquentes chez les personnes âgées que chez les plus jeunes. La FA peut aussi être découverte à l’occasion d’une complication comme un accident embolique ou une insuffisance cardiaque.
La FA survient fréquemment de façon aiguë chez les personnes âgées à l’occasion d’un stress provoqué par un épisode infectieux, notamment bronchopulmonaire, une décompensation cardiaque ou respiratoire ou des troubles métaboliques. Ce passage en fibrillation témoigne d’une probabilité élevée d’existence de pathologies cardiovasculaires sous-jacentes et d’un risque de récidive de FA plus élevé par rapport à des personnes plus jeunes.
Chez les personnes âgées, les comorbidités (HTA, insuffisance cardiaque, coronaropathie, valvulopathie, diabète, obésité, syndrome d’apnées du sommeil, BPCO) sont fréquentes et aggravent le pronostic de la FA. Elles peuvent être la cause ou la conséquence de la FA. Dans tous les cas, leur prise en charge est essentielle.
Enfin, les syndromes gériatriques tels que troubles cognitifs, chutes, insuffisance rénale, dénutrition, état de dépendance fonctionnel, dépression, ainsi que les comédications, sont fréquents et aggravent le pronostic. Il a été démontré que l’évaluation gériatrique standardisée permet de réduire de 24 % la mortalité et l’entrée en institution des patients âgés fragiles.
Évaluer le risque thrombotique versus le risque hémorragique
L’évaluation du risque thrombotique se fait au moyen du score CHA2DS2-VASc. Sur la base de ce score, il est recommandé que la majorité des patients de plus de 75 ans ayant une FA reçoivent un traitement anticoagulant (l’âge ≥ 75 ans correspondant à 2 points dans ce score), en tenant compte du risque hémorragique.
Le risque hémorragique sous anticoagulant augmente avec l’âge. L’incidence des accidents hémorragiques est de l’ordre de 4 à 6 % après 80 ans, avec un risque d’hémorragie cérébrale de l’ordre de 1 %.
Ainsi, le risque ischémique sans anticoagulant apparaît le plus souvent supérieur au risque hémorragique sous anticoagulant.
L’évaluation du risque hémorragique peut se faire à partir de scores (HAS-BLED, HEMORR2HAGES, ATRIA). Un score élevé ne contre-indique pas les anticoagulants, mais doit faire rechercher des facteurs modifiables et discuter le rapport bénéfice-risque du traitement.
Des facteurs de risque gériatriques sont à rechercher avant la mise en route du traitement anticoagulant afin d’évaluer son rapport bénéfice-risque et de mettre en place des actions pour réduire le risque hémorragique (règle des 4C : chutes, clairance de la créatinine, cognition, comédications) [tableau 1].
Prise en charge
Traitement anticoagulant
Les bénéfices des anticoagulants sont largement démontrés en cas de FA et apparaissent d’autant plus importants que les patients sont âgés. L’aspirine n’est pas indiquée comme traitement antithrombotique de la FA.
AOD ou AVK ? La gestion des AVK est souvent complexe chez les sujets âgés en raison des nombreuses comédications associées et de la difficulté de garder un INR dans la zone thérapeutique.
Une méta-analyse des essais randomisés ayant comparé les AOD aux AVK a inclus 28 135 sujets âgés de plus de 75 ans ; les résultats indiquent :
- une meilleure efficacité des AOD en comparaison aux AVK (réduction significative des AVC de 20 %) ;
- une meilleure sécurité des AOD en comparaison aux AVK (réduction significative de 53 % des hémorragies cérébrales).
Le bénéfice des AOD sur la réduction des hémorragies cérébrales apparaît plus marqué chez les sujets âgés que chez les sujets jeunes.
Ainsi, les recommandations européennes2 proposent d’utiliser de préférence les AOD plutôt que les AVK.
Depuis 2018, la HAS indique que les AOD ou les AVK peuvent être prescrits en première intention. Les modalités d’utilisation des AOD chez le sujet âgé sont résumés dans le tableau 2.
Chez le sujet âgé traité par un AOD, il convient de surveiller la clairance de la créatinine :
- tous les 3 mois ;
- en cas d’épisode aigu (infection, déshydratation, décompensation cardiaque…) ;
- en cas d’anémie.
Chez un patient traité par AVK, surveiller les INR tous les 15-30 jours (voire plus en fonction de la labilité des dosages).
Gestion du rythme cardiaque
Chez les personnes âgées, la stratégie du ralentissement de la fréquence cardiaque est le plus souvent privilégiée. En effet, plusieurs essais randomisés (PIAF, AFFIRM, RACE, STAT, HOT CAFE, AF-CHF), qui ont inclus des sujets âgés en moyenne de 70 ans, ont montré que cette stratégie était similaire à celle de la réduction du rythme en termes de mortalité.
Le choix du traitement bradycardisant doit prendre en compte les cardiopathies associées. De façon générale, en l’absence de contre-indication, les bêtabloquants doivent être privilégiés, notamment en cas d’insuffisance cardiaque et/ou de coronaropathie. Enfin, l’association de deux médicaments bradycardisants doit être utilisée avec extrême précaution et sous surveillance rapprochée.
Le choix de la stratégie « retour en rythme sinusal » est moins utilisé dans cette population en raison de la plus grande prévalence de la FA permanente, de la difficulté à maintenir un rythme sinusal et du risque iatrogène des médicaments antiarythmiques.
Une cardioversion (pharmacologique ou électrique) peut être envisagée en cas de symptômes persistants sévères, en l’absence de cardiopathie évoluée ou de contre-indication à l’emploi des antiarythmiques. Le maintien du rythme sinusal fait le plus souvent appel au traitement par amiodarone. Les antiarythmiques de classe I ne sont pas indiqués en cas de cardiopathie, par conséquent leur place est très limitée chez les personnes âgées.
Les données concernant les traitements non pharmacologiques, comme l’ablation de la FA, sont peu nombreuses après 80 ans.
Traiter la cardiopathie sous-jacente
Chez le sujet âgé, la FA survient souvent dans un contexte de comorbidités cardiovasculaires (HTA, diabète) et de cardiopathie sous-jacente (coronaropathie, valvulopathie, hypertrophie ventriculaire gauche), qu’il est essentiel de prendre en charge.
1. Islam M, Poly T, Walther B, Yang H, Wu C, Lin M, Chien S, Li Y. Association between atrial fibrillation and dementia: a meta-analysis. Front Aging Neurosci 2019;11:305.
2. 2020 ESC Guidelines for the diagnosis and management of atrial fibrillation developed in collaboration with the European Association of Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Eur Heart J 2020 Aug 29;ehaa612.