Addictologie. La consommation croissante de ces drogues, liée à leur facilité d’accès, et les graves complications qu’elles provoquent nécessitent d’évoquer systématiquement leur usage devant un tableau clinique évocateur surtout si les analyses classiques sont négatives.
L’acronyme NPS pour new psychoactive substance (nouveau produit de synthèse) désignait initialement une molécule partiellement modifiée sur un plan chimique mais restant assez voisine d’une autre pour avoir les mêmes effets phar- macologiques (mimant la molécule mère, qu’il s’agisse d’une drogue classique ou de médicaments psychoactifs). Cette transformation permet de contourner la législation, on parle alors de legal highs ou euphorisants légaux. Chaque nouvelle substitution sur le squelette de la molécule de départ modifie à la fois la pharmacocinétique et la phar- macodynamie illustrant ainsi toute la complexité d’appréhender la pharmacologie et la toxicologie des nouveaux produits de synthèse. Les modifications chimiques apportées peuvent être infinies.

Plusieurs centaines de produits

L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) définit une drogue de synthèse comme « toute substance consommée à des fins abusives, pure ou en pré- paration, n’étant contrôlée ni par la Convention unique des Nations unies sur les stupéfiants de 1961, ni par la Convention des Nations unies sur les substances psychotropes de 1971, et qui peut représenter une menace pour la santé publique ».1 La définition est mouvante du fait du classement progressif par substance ou même par famille de substances. Il s’agit d’un phénomène mondial et les classements nationaux et internationaux illustrent la préoccupation grandissante des complications liées à l’usage de ces substances non contrôlées qui inondent massivement le marché des drogues grâce à Internet.
En France,2 261 nouveaux produits de synthèse ont été répertoriés depuis 2008, dont 47 en 2016 alors que 620 font l’objet d’une surveillance par The European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction (EMCDDA).3 Ces produits forment un groupe de substances hétérogène en termes de structure chimique et d’effets pharmacotoxicologiques. Il existe 8 grandes familles principales illustrées par le Centre d’évaluation et d'information sur la pharmaco- dépendance et d’addictovigilance (CEIP-A) de Paris sous forme d’une roue des drogues (v. figure), qui regroupent les cannabinoïdes de synthèse, les phénéthylamines dont les cathinones de synthèse, les pipérazines, les tryptamines, les opioïdes de synthèse, les benzodiazépines de synthèse ou research chemicalsbenzodiazepines (RC-benzodiazépines) et, la dernière catégorie comprenant les arylcyclohexylamines (la méthoxétamine de la famille de la kétamine et la phéncyclidine [PCP]) ainsi que les arylakylamines (le 6-APB).4, 5 Les principales caractéristiques pharmacocliniques des familles de substances les plus fréquentes sont présentées ici et résumées sur le tableau p. 81

Contexte d’utilisation

Il est intéressant d’aborder le contexte d’utilisation de ces nouveaux produits de synthèse car ce dernier connaît également des évo- lutions dans le temps. Si la consommation des drogues classiques (cocaïne, héroïne, cannabis) et de celles ayant émergé dans les années 1990 a suivi des mouvements culturels et musicaux dans un but essentiellement festif, celle des nouveaux produits s’en écarte souvent pour accompagner par exemple la prati- que sexuelle et être à l’origine des appellations chemsex et slam. Le chemsex se définit classiquement par l’usage de substances psychoactives avant ou pendant la pratique sexuelle afin d’améliorer la performance, la durée et le plaisir. Il peut être pratiqué par des hétéro- ou des homosexuels. Le slam, partie « hard » du chemsex, est défini par trois caractéristiques : 1) l’usage d’un psychostimulant, 2) par voie intraveineuse, 3) dans un contexte de pratique sexuelle. L’utilisation du terme slam (signifiant « claquer » en anglais), progresse au sein de la communauté des hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes.6, 7
Les contextes d’utilisation des nouveaux produits de synthèse sont multiformes du fait de leur facilité d’accès (achat sur Internet par un moteur de recherche quelconque et une carte bleue). De façon plus générale, pour le clinicien, la notion d’achat de substances sur Internet, de partage de produits avec un nom inconnu ou de cannabis sans odeur peuvent représenter des contextes demandant la recherche de nouvelles drogues de synthèse.

Des complications redoutables

Les effets pharmacologiques, clini- ques et toxicologiques ne diffèrent pas tellement des molécules classiques qui sont connues depuis longtemps. Les variations que l’on peut relever portent essentiellement sur l’intensité ou la prédominance d’un effet d’une molécule par rap- port à une autre de la même famille.4 Actuellement quatre grands groupes de drogues de synthèse occupent le terrain : les cannabinoïdes de synthèse, les cathinones, les fentanyloïdes et les RC- benzodiazépines.

Cannabinoïdes de synthèse

Ce sont des agonistes des récepteurs cannabinoïdes 1 (RCB1) dont on individualise sept principales familles (naphtoylindoles ; naphtylméthylindoles ; naphtoylpyrroles ; naphtylidèneindènes et naphtylméthylindènes ; phénylacétylindoles ; cyclohexylphénols ; benzoylindoles). Du fait de leur action sur les RCB1, ils produisent les mêmes effets que le cannabis avec cependant quel- ques complications, notamment neuropsychiatriques marqués par des comportements violents, des hallucinations auditives ou visuelles riches, colorées, à type de fractale ou de motifs géométriques, et des idées suicidaires. Des convulsions généralisées ont été observées au décours d’une inhalation. Une hypertension artérielle et des cas de syndrome coronaire aigu sont décrits dans la littérature.8 En 2016, 45 cas d’intoxications graves, dont 18 décès, avec trois molécules (MDMB-FUBINACA, MDMB-CHMICA et 5F-MDMB- PINACA), ont été signalés à l’EMCDDA.3 La consommation chronique peut induire, à l’instar du cannabis, un syndrome d’hyperémèse cannabique qui demeure peu ou pas connu des professionnels de santé (vomissements récurrents associés à des douleurs abdominales calmés par des douches chaudes compulsives) ainsi qu’une addiction.9

Dérivés phénéthylamines

Cette famille regroupe des substances psychostimulantes connues (dérivés amphétaminiques, MDMA) mais également des drogues de synthèse comme les cathinones, les NBOMe et autres. Ces molécules induisent donc les mêmes complications sympathomimétiques (syndrome sérotoninergique, troubles cardiovasculaires, neuropsychiatriques, hyperthermie maligne, mydriase, céphalées, bruxisme, convulsions, rhabdomyolyse toxique indépendante d’une hyperthermie ou d’un effort physique…).4 Ces produits sont associés au slam et au chemsex.

Cathinones

Elles constituent une famille de substances chimiques de synthèse dérivées de la cathinone naturelle qui est un alcaloïde issu de la plante khat (Catha edulis) dont les feuilles sont mâchées traditionnellement en Somalie et au Yémen, depuis des siè-cles, pour ses propriétés stimulantes.
Leurs complications caractéristiques sont d’ordre neuropsychiatrique à type d’attaques de panique prolongées, d’état délirant aigu, d’hallucinations acoustico-verbales, de paranoïa, de dépression, d’idées suicidaires et de troubles cognitifs. Des troubles maniaques sont décrits (de quelques heures à quelques jours) avec un sentiment de toute-puissance, une agitation psychomotrice, une fuite des idées et une dysphorie. On relève parti- culièrement, avec toutes ces molécules, un état de violence et de passage à l’acte auto- ou hétéro-agressif d’une part, et des comportements sexuels pouvant conduire à des actes médico-légaux d’autre part. D’autres produits peuvent être associés (métamphétamine, cocaïne, gamma- hydroxybutyrate [GHB], kétamine) ou le sildénafil pour favoriser l’érection, augmentant le risque cardiovasculaire par ailleurs.4, 6

Dérivés « 2C » et « NBOMe »

La famille des « 2C » appartient au groupe des dérivés phénéthylamines diméthoxy (substitutions en 2 et 5 du groupement phényl) et possède un fort pouvoir hallucinogène.
La sous-famille des 2C-x-NBOMe ou 25x-NBOMe comprend essentiellement des composés « 2C » substitués sur l’azote de la fonction amine par un groupement NBOMe (N-benzyl-O-méthyl) qui renforce encore l’effet hallucinogène. Dans les médias de langue anglaise, on dénombre 45 décès rapportés avec des NBOMe entre 2012 et mi-2015.10 Parmi les décès attribués aux « 2C », il semble que le syndrome d’excited delirium ou agitation extrême soit constant. Ce syndrome est caractérisé par une séquence d’événements à type de délire avec agitation, violence et hyperactivité. Il peut être grave en raison notamment d’une possible mort subite par arrêt cardiorespiratoire au cours de cet état d’agitation.4

Opioïdes de synthèse

Comme les opiacés naturels (héroïne, opium, morphine) et les opioïdes semi-synthétiques (hydrocodone, hydromorphone…), les opioïdes de synthèse produisent, de manière plus rapide et profonde, les effets secondaires graves du toxidrome opioïde : myosis, somnolence, hypothermie et dépression respiratoire pouvant entraîner la mort. Ils peuvent être vendus comme de l’héroïne ou de l’« héroïne synthétique » ou « research chemical ». Les fentanyloïdes sont particulièrement dangereux, y compris chez des usagers réguliers d’opioïdes, du fait de leur grande puissance pharmacologique ( 100 fois supérieure à la morphine), du délai d’action court et de l’hétérogénéité des échantillons de poudre. Leur manipulation s’avère délicate pour maîtriser la dose à consommer. De nombreux cas d’intoxication grave sont rapportés dans le monde11 notamment aux États-Unis. En 2016, plus de 5 000 décès par overdose de fentanyl et ses analogues depuis fin 2013 ont été recensés.12 Une alerte d’overdose est actuellement en vigueur en France depuis début 2017 à la suite du signalement de plusieurs décès.

Benzodiazépines de synthèse

Les effets anxiolytique, hypnotique et sédatif induits par les RC-benzodiazépines sont identiques voire supérieurs à ceux attendus avec les benzodiazépines conventionnelles via leur action centrale fortement potentialisatrice du système GABAergique. Les consommateurs de RC-benzodiazépines rapportent des troubles neuropsychiques (amnésie, désorientation, confusion) décrits comme persistants. L’intoxi- cation aiguë réalise des troubles de la vigilance, coma et dépression respiratoire.4

Quelle prise en charge ?

Un élément d’importance capitale reste l’identification de ces nouveaux produits qui échappent aux techniques analytiques de routine. Les données cliniques évoquent une famille de substances (stimulants, opioïdes, sédatifs…) mais les analyses restent négatives faisant douter du diagnostic causal. Cette situation ne doit pas faire retarder la prise en charge du patient dont les symptômes prévalent et impose également de pratiquer des prélèvements à visée diagnostique. Les analyses toxicologiques doivent impérativement être réalisées par un laboratoire possédant le matériel adéquat (détection par spectrométrie de masse) et la compétence dans la recherche des nouveaux produits de synthèse. Ces analyses préciseront la ou les substances réellement consommées car il peut exister une inadéquation entre une substance annoncée à l’achat et la molécule identifiée (estimée à 10 % dans une récente étude menée en Île-de-France).7
La prise en charge se fait en milieu hospitalier avec surveillance constante. Le traitement est symptomatique dans tous les cas, il n’existe un antidote que pour les molécules opiacées (naloxone) qu’il faut utiliser de manière répétée à des doses supérieures si l’on n’obtient pas une réponse immédiate devant un tableau évoquant une overdose des opiacés. En effet, les analogues fentanyloïdes requièrent des doses élevées du fait de leur puissance extrêmement élevée. Il existe depuis 2016 de la naloxone en spray nasal appelé Nalscue et mis à disposition des usagers par leur médecin (en autorisation temporaire d’utilisation). Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’un patient dépendant aux opiacés peut développer un syndrome de sevrage brutal au décours de ce traitement antidote et qu’une surveillance est donc nécessaire.
Concernant les nouveaux produits de synthèse stimulants, dérivés des phénéthylamines, le traitement est symptomatique avec correction des troubles hydroélectrolytiques. L’agitation nécessite de maintenir le patient dans une ambiance calme (si possible) ; une sédation par benzodiazépine (diazépam/clonazépam) peut être nécessaire. L’hyperthermie majeure impose un déshabillage, un refroidissement externe et une hydratation suffisante. Une hypertonie musculaire associée nécessite en plus l’administration de dantrolène par voie intraveineuse.
Dans le cas d’une intoxication aux RC-benzodiazépines, le flumazénil peut s’avérer nécessaire et permet, par la même occasion, de confirmer l’intoxication par les benzodia- zépines en cas de réveil rapide du patient après administration.

À ÉVOQUER SYSTÉMATIQUEMENT

Les risques liés aux nouveaux produits de synthèse sont les mêmes que ceux des drogues anciennes ou classiques. Cependant on peut parler d’un risque spécifique caractéristique au phénomène « nouvelles drogues de synthèse » qui réside à la fois dans le manque de connaissances pharmacologiques et toxi- cologiques sur ces drogues, la jeunesse du public qui peut être naïf de produit, la polyconsommation importante, la pureté du produit (dosage élevé qui demande une pesée précise), la facilité d’accès et l’inadéquation possible entre étiquetage et contenu. Face au phénomène émergent de ces nouvelles drogues, la question de leur usage doit être soulevée par le clinicien en routine qui pourra demander conseil et déclarer ses cas cliniques auprès du CEIP-Addictovigilance de sa région.
Références
1. Office des Nations unies contre la drogue et le crime. New psychoactive substances. https://www.unodc.org/LSS/Page/NPS

2. Observatoire français des drogues et des toxicomanies. Drogues, chiffres clés. 7e édition juin 2017. https://www.ofdt.fr/publications/collections/periodiques/drogues-chiffres-cles/7eme-edition-2017/

3. The European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction. Rapport européen sur les drogues. Tendances et évolutions. EMCDDA, 2017. http://www.emcdda.europa.eu/publications/edr/trends-developments/2017

4. Djezzar S, Marillier M, Batisse A, Chevallier C. Substances psychoactives à visée addictive et récréative, produits de coupe et modes de consommation. in : Toxicologie clinique sous la direction de F. Baud et R. Garnier. Paris : Lavoisier, 2017;23:767-843.

5. Hassan Z, Bosch O, Singh D, et al. Novel psychoactive substances – Recent progress on neuropharmacological mechanisms of action for selected drugs. Front Psychiatry 2017;8:152.

6. Batisse A, Peyrière H, Eiden C, Courné MA, Djezzar S ; Réseau français des centres d’addictovigilance. Usage de =psychostimulants dans un contexte sexuel : analyse des cas rapportes au Réseau francais des centres d’addictovigilance. Évaluation des risques liés à la pratique du SLAM. Therapie 2016;71:447-55.

7. Marillier M, Batisse A, Richeval C, et al. Chemsex, NPS & risk reduction management: preliminary results of a pilot study. Toxicol Anal Clin 2017;29:47-56.

8. Seely KA, Lapoint J, Moran JH, Fattore L. Spice drugs are more than harmless herbal blends: a review of the pharmacology and toxicology of synthetic cannabinoids. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry 2012;39:234-43.

9. Marillier M, Batisse A, Edel Y, et al. Cannabinoid hyperemesis syndrome: A Parisian case series. J Clin Psychopharmacol 2017;37:739-43.

10. Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Rapport d’enquête du CEIP de Lyon. ANSM 2015. http://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/ 65da663e2c365f71aa2ac 21741f47603.pdf

11. Zawilska JB. An expanding world of novel psychoactive substances: opioids. Front Psychiatry 2017;8:110.

12. Green TC, Gilbert M. Counterfeit medications and fentanyl. JAMA Intern Med 2016;176:1555-7.

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Résumé

Les alertes d’intoxication aux drogues de synthèse occupent le devant de la scène ces dernières années en France et à l’étranger. On assiste à une production infinie de dérivés de molécules psychoactives anciennes appartenant à des classes pharmacologiques diverses et créant ainsi la dénomination de nouveaux produits de synthèse ou new psychoactive substances. Face à un tableau clinique évocateur, le clinicien reste perplexe devant la négativité des analyses toxicologiques de routine.