Le glaucome est une neuropathie optique chronique et évolutive potentiellement cécitante dont le principal facteur de risque est l’augmentation de la pression intraoculaire. Le but du traitement du glaucome est de maintenir la fonction visuelle du patient et sa qualité de vie. La seule stratégie thérapeutique visant à ralentir la pro­gression de cette neuropathie consiste aujourd’hui à réduire la pression intra­oculaire.1,2 Il existe quatre classes principales de collyres antiglaucomateux pouvant être utilisés seuls ou en association : les analogues de prostaglandines (PG), qui agissent en augmentant l’évacuation de l’humeur aqueuse ; les bêtabloquants et les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique (IAC), qui réduisent la sécrétion de l’humeur aqueuse ; les alpha-2-agonistes, dont l’effet est mixte (tableau). Le glaucome est une maladie chronique, et les traitements sont souvent utilisés pendant plusieurs décennies. Il est important d’en connaître les effets locaux et de les prendre en compte.

Quelles complications pour quel traitement ?

Analogues de prostaglandines

Il s’agit du traitement antiglaucomateux le plus efficace et le mieux toléré. Les effets indésirables des analogues de PG sont principalement locaux. Une hypertrichose (cils plus épais, plus longs et plus foncés) survient dans les douze mois chez approximativement 50 % des patients. Elle est réversible à l’arrêt du traitement. Une pigmentation cutanée périoculaire peut se produire, plus fréquemment chez les patients à la peau foncée. Elle est également réversible à l’arrêt du traitement.
Les patients avec des iris clairs doivent également être avertis qu’une hyper­pigmentation de l’iris peut survenir.
Enfin, une hyperémie oculaire modérée peut être observée. Elle est plus fréquente en début de traitement.

Bêtabloquants

Après les PG, les bêtabloquants sont le deuxième traitement le plus efficace pour réduire la pression intraoculaire. Contrairement à ceux-ci, dont les effets indésirables sont essentiellement locaux, les bêtabloquants peuvent avoir des effets systémiques potentiellement graves. En effet, chez les patients atteints d’asthme ou de broncho­pneumopathie chronique obstructive (BPCO), ils peuvent induire une bronchoconstriction. Chez les patients avec un trouble du rythme cardiaque, ou qui sont déjà traités par bêtabloquants per os, les bradyarythmies et l’hypotension artérielle sont à craindre. Enfin, des effets indésirables sur le système nerveux central ont été décrits : dépression, labilité émotionnelle, troubles du sommeil, dysfonction sexuelle.

Alpha-2-agonistes

Les alpha-2-agonistes sont probablement les traitements antiglaucomateux les moins bien tolérés en raison de la fréquence élevée d’hyperémie conjonctivale et de réactions allergiques. Les allergies se développent généralement dans les semaines suivant le début du traitement mais peuvent être retardées.Les autres effets indésirables rapportés sont la sécheresse buccale et la somnolence.

Inhibiteurs de l’anhydrase carbonique

Les IAC réduisent la pression intraoculaire de manière moins importante que les autres classes thérapeutiques. Généralement bien tolérés, ils sont utilisés en association avec les autres traitements antiglaucomateux.

Effets toxiques des conservateurs

Les atteintes de la surface oculaire sont fréquentes chez les patients traités au long cours par des collyres antiglaucomateux.3 Les conservateurs associés aux principes actifs dans les collyres jouent un rôle central dans la genèse de ces atteintes toxiques. Les ammoniums quaternaires, et tout particulièrement le chlorure de benzalkonium (BAC), sont les conservateurs les plus utilisés dans les collyres destinés au traitement du glaucome.

Atteintes de la surface oculaire...

Elles peuvent se manifester à la fois par des symptômes de mauvaise tolérance (douleur ou inconfort à l’instillation, sensation de corps étranger, brûlures ou picotements oculaires, sécheresse oculaire, larmoiement, prurit palpébral) et par des signes d’atteinte de la surface oculaire (hyperhémie conjonctivale, kératite ponctuée superficielle, blépharite antérieure ou conjonctivite folliculaire) [figure].

... Mais aussi en profondeur

Outre les effets toxiques sur la surface oculaire, des études ont montré une toxicité et un effet pro-inflammatoire du BAC sur les structures internes de l’œil et notamment sur le trabéculum, lieu principal d’évacuation de l’humeur aqueuse.4 Au long cours, l’exposition au BAC engendrerait ainsi une trabéculopathie, augmentant la résistance à l’évacuation de l’humeur aqueuse et donc aggravant le glaucome lui-même.

Mieux faire sans changer de traitement

Comme dans toute affection chronique relativement asymptomatique, la bonne observance thérapeutique est l’un des défis les plus complexes de la prise en charge du glaucome. Ainsi, dans une étude où les patients se savaient pourtant surveillés avec un appareil électronique, 45 % d’entre eux n’ont pas instillé leurs gouttes de façon systématique.5 Plusieurs facteurs sont associés à une faible observance : effets indésirables, mauvaise compréhension des objectifs du traitement, mauvaises techniques d’instillation (y compris par handicap physique, arthrite, tremblements, etc.), coût du traitement.

Motiver et conseiller

Les professionnels de santé, en particulier les médecins généralistes, peuvent aider en encourageant l’adhésion au traitement, en en identifiant les freins potentiels et en renforçant l’importance d’une administration régulière et à heure fixe.
En outre, quelques conseils peuvent améliorer la tolérance et donc l’observance du traitement : retrait des lentilles de contact souples hydrophiles (réservoirs de principe actif et de BAC) au moins dans les quinze minutes qui suivent l’instillation du collyre, protection cutanée pour les PG afin d’éviter l’hyperpigmentation palpébrale. La position couchée sur le dos peut être conseillée aux personnes âgées, chez qui, de plus, la prescription de flacons est à privilégier (la manipulation des unidoses pouvant être difficile en cas de déformations articulaires).

Diminuer les effets généraux

Pour diminuer l’absorption systémique des collyres (bêtabloquants notamment), il est conseillé aux patients d’appuyer sur le méat lacrymal au niveau du canthus interne pendant deux minutes après l’instillation.

Alternatives thérapeutiques

Lorsque, malgré les conseils prodigués, les effets indésirables du traitement limitent l’observance ou rendent impossible sa poursuite, des alternatives médicales ou chirurgicales peuvent être proposées.
Pour améliorer l’observance, les formules des collyres hypotonisants disponibles sur le marché ont évolué.

Collyres à associations fixes

Il existe actuellement de nombreux collyres en combinaison fixe qui permettent d’instiller deux molécules en une seule goutte, ce qui simplifie le traitement, améliore l’observance et la tolérance. Les collyres en combinaison disponibles sont nombreux :
– association de PG et de bêtabloquant : bimatoprost-timolol, travoprost-timolol, latanoprost-timolol ;
– association d’IAC et de bêtabloquant : dorzolamide-timolol, brinzolamide-timolol ;
– association d’alpha-2-agonistes et de bêtabloquant : brimonidine-timolol ;
– association d’alpha-2-agonistes et d’IAC : brimonidine-brinzolamide. Cette dernière est généralement très mal tolérée, elle est à réserver aux patients mal équilibrés qui ont une contre-indication aux bêtabloquants.

Modes alternatifs de conservation

Chez tous les patients et plus particulièrement chez les patients ayant des altérations de la surface oculaire, une réduction de l’exposition au conservateur doit être privilégiée. La substitution des collyres contenant des conservateurs par des collyres n’en contenant pas (ou contenant des conservateurs moins irritants que le BAC) permet en effet une diminution significative des signes et symptômes. La plupart des collyres hypotonisants existent désormais en formule sans conservateur, en unidose ou en flacon multidoses. Il n’y a pas de différence d’efficacité sur la diminution de la pression intraoculaire entre les produits avec ou sans conservateur.

Formulations à libération prolongée

Ces collyres à base de polymères permettent de diminuer la concentration des collyres et donc leur passage plasmatique, tout en maintenant l’efficacité locale. Ils peuvent être une alternative aux collyres bêtabloquants standard lorsque les effets systémiques veulent être évités.

Autres traitements

La trabéculoplastie au laser (ou selective laser trabeculoplasty, SLT) permet une réduction de 11 à 40 % de la pression intraoculaire, en augmentant l’évacuation de l’humeur aqueuse. Elle peut ainsi être une alternative au traitement médical ou permettre de diminuer le nombre de traitements hypotonisants.
Une chirurgie du glaucome peut être indiquée lorsque les traitements par laser et/ou médicaux sont insuffisants, mal tolérés (sur le plan local ou général) ou mal suivis. Les chirurgies filtrantes (trabéculectomie ou sclérectomie profonde non perforantes) sont efficaces pour baisser la pression intraoculaire mais ne sont pas dénuées de complications. Il faut également noter que l’exposition prolongée à des collyres contenant des conservateurs diminue les chances de succès d’une chirurgie filtrante.
De nouvelles techniques chirurgicales dites « mini-invasives » se sont développées ces dernières années. Cependant, leur place exacte dans l’algorithme du traitement du glaucome reste encore à déterminer.
Références
1. Kass MA, Heuer DK, Higginbotham EJ, et al. The Ocular Hypertension Treatment Study: a randomized trial determines that topical ocular hypotensive medication delays or prevents the onset of primary open-angle glaucoma. Arch Ophthalmol 2002;120(6):701-13.
2. Heijl A, Leske MC, Bengtsson B, et al. Reduction of intraocular pressure and glaucoma progression: results from the Early Manifest Glaucoma Trial. Arch Ophthalmol 2002;120(10):1268-79.
3. Aptel F, Labbé A, Baudouin C, et al. Traitement du glaucome, conservateurs et surface oculaire. J Fr Ophtalmol 2014;37(9):728-36.
4. Baudouin C, Denoyer A, Desbenoit N, et al. In vitro and in vivo experimental studies on trabecular meshwork degeneration induced by benzalkonium chloride (an American Ophthalmological Society thesis). Trans Am Ophthalmol Soc 2012;110:40-63.
5. Okeke CO, Quigley HA, Jampel HD, et al. Adherence with topical glaucoma medication monitored electronically the Travatan Dosing Aid study. Ophthalmology 2009;116(2):191-9.

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essentiel

Les atteintes de la surface oculaire sont fréquentes chez les patients glaucomateux traités au long cours par des collyres hypotonisants.

Des conseils de bonne instillation permettent de diminuer les effets indésirables et d’améliorer l’observance.

Si le confort du patient ou l’observance restent insuffisants, recourir à des combinaisons fixes ou à des collyres sans conservateur.

La trabéculoplastie au laser peut permettre de diminuer le nombre de traitements antiglaucomateux.