La migration et ses conséquences sur la santé mentale sont de mieux en mieux connues. Ces dernières années, les familles migrantes et leurs enfants ainsi que les migrants mineurs non accompagnés (MNA) ont fait l’objet de recherches dans les pays concernés par leur accueil, afin d’anticiper leurs besoins en matière de santé publique et d’identifier des profils de vulnérabilité éventuels. En effet, parmi les migrants qui fuient leur pays d’origine et se réfugient dans un pays hôte, plus de 41 % ont moins de 18 ans.1
Des troubles psychiatriques plus fréquents
Il a été démontré que la prévalence des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent est de 20 % en moyenne.2 Les études qui s’intéressent à la santé mentale (et non à la souffrance psychique exprimée) trouvent des résultats en matière de bien-être encore plus alarmants. À titre d’exemple, le mal-être des adolescents dans le monde peut atteindre jusqu’à 25 % d’une classe d’âge en fonction des critères utilisés.3 Ces taux très élevés sont retrouvés également en France, oscillant entre 10 et 20 % en fonction de l’âge. De plus, ils ont été aggravés par la pandémie de Covid-19 et ses effets sur les parents et les enfants.
De nombreuses études soulignent une prévalence plus élevée de certains troubles psychiatriques parmi les enfants et adolescents réfugiés, avec 19 à 36 % d’états de stress post-traumatiques (ESPT) et 3 à 9,4 % de dépression, ainsi que des risques importants d’automutilation, corrélés à des niveaux de stress élevés.4 Il est cependant important de souligner qu’une majorité de migrants n’a pas de troubles psychiatriques et mobilise de grandes modalités d’adaptation et des ressources insoupçonnées face aux événements adverses traversés au cours de la migration. Par ailleurs, il n’existe pas de pathologie psychiatrique spécifique de la migration.5
Cependant, ces données s’inscrivent dans des contextes politiques et socio-historiques profondément marqués par une méfiance accrue vis-à-vis des migrants, un durcissement des conditions d’accueil, ainsi que la multiplication des obstacles et des dangers sur le chemin de leur exil (les morts de la traversée de la Méditerranée et de la Manche, l’encampement des frontières de l’Europe, la sous-traitance de la gestion des migrants par des pays tiers…).
Des facteurs de vulnérabilité psychique avant, pendant et après la migration
L’impact de la migration sur la santé psychique des familles migrantes dépend de plusieurs facteurs qui concourent à un vécu plus ou moins difficile de cette épreuve : les raisons de la migration, la mobilisation dans la perspective du projet migratoire, les conditions socio-économiques de la famille et de la communauté d’appartenance, les conditions socio-économiques générales dans le pays d’accueil, ainsi que l’histoire qui préfigure la migration.
L’influence des raisons de la migration
Lors de la phase prémigratoire, les migrants peuvent avoir vécu des événements adverses ou traumatiques. Il peut s’agir de persécutions, de torture, de guerre, de deuils de proches dans un contexte de guerre ou de meurtre, d’exposition à des scènes horribles ou de violences physiques et/ou sexuelles, de catastrophes naturelles, de crises socio-économiques, etc. Visant un groupe ou une communauté, certaines de ces violences peuvent disloquer les familles et créer des situations d’insécurité.
La décision de partir donne lieu à des pertes et des renoncements douloureux, qu’elle soit planifiée ou bien qu’elle engage la survie, occasionnant parfois une fuite sans retour possible.
Le voyage peut être particulièrement éprouvant
Durant le voyage, qui peut durer des années, les enfants et adolescents migrants, notamment les mineurs non accompagnés, sont particulièrement exposés à des événements pouvant mettre en jeu leur vie, ainsi que leur intégrité physique et sexuelle. Les traumatismes, notamment lorsqu’ils sont multiples et intentionnels, peuvent concourir au développement d’une forme particulière de trouble psychiatrique, l’état de stress post-traumatique complexe. Les deuils et les pertes symboliques ou réelles peuvent par ailleurs être des facteurs de risque de développer une dépression.
De nombreuses difficultés à l’arrivée
Les épreuves de la migration ne s’arrêtent pas à l’arrivée dans le pays hôte : le vécu post-migratoire peut s’avérer violent et difficile, teinté de racisme, d’hostilité et de discriminations diverses. Les démarches administratives s’avèrent souvent complexes, amenant les migrants à devoir prouver qu’ils ne sont pas des criminels ou des fraudeurs et remettant en question leur vécu. Par la suite, les incertitudes concernant leur statut légal impactent des conditions sociales plus ou moins précaires (logement instable et interdiction de travailler pour les parents). Enfin, un moindre accès à des soins médicaux d’urgence ou de routine est un facteur important de vulnérabilité psychique. La qualité de l’accueil est donc déterminante pour le bien-être des enfants migrants et de leur famille. Il importe, pour prendre en compte ces différents niveaux de risque, de faire la part des choses entre le culturel, le psychologique, le social (les contextes de précarité) et le politique (effets du non-accueil, de l’histoire coloniale et des discriminations). Une situation d’exclusion ou de non-droit doit être reconnue afin que la souffrance et les difficultés soient pensées comme une contrainte externe immédiate, une cause sociale ou politique et non comme une donnée psychologique ou culturelle. Une famille persécutée dans son pays d’origine peut légitimement se sentir menacée. Un contexte de très grande précarité sociale peut occasionner un sentiment de relégation ou d’abandon. L’environnement social concret doit donc être pris en compte sérieusement dans l’analyse de la situation des enfants migrants pris en charge.
Prendre en charge la famille dans son ensemble
Dans les lieux qui accueillent beaucoup de réfugiés, qu’on appelle aussi exilés, les familles qui consultent ne sont pas toujours « traditionnelles » dans le sens où nous l’entendons. Les membres de la famille ont migré ensemble et n’ont pas toujours à leur disposition des théories culturelles qui donnent du sens au désordre qui les habitent. Leur souffrance (à la fois celle du trauma et celle de l’exil) apparaît comme un non-sens absolu. Par ailleurs, les violences endurées sont « genrées », souvent au détriment des femmes. Dans ces situations, la culture d’origine ne peut pas être valorisée, car c’est la violence culturelle qui est fuie.
Il en va de même pour certains jeunes, lorsqu’ils fuient des logiques familiales violentes ou maltraitantes. Dans ces situations, il est nécessaire de trouver des modalités de récits et de reconnaissance des violences et des traumas qui permettent aux familles d’effectuer ce travail de figuration. Cela peut aussi passer par une reconnaissance des événements traumatiques vécus et de leurs effets lorsque des soins plus spécifiques ou un recours à des associations d’aide aux victimes sont envisagés, avec la rédaction d’un certificat ou d’un courrier médical. Il est possible d’utiliser, si besoin, dans un second temps, le matériel culturel. Parfois les niveaux traumatiques et culturels sont très intriqués, ce qui rend le maniement des leviers culturels plus difficile, car alors tout ce qui est culturel est menaçant. Dans ce cas, il vaut mieux se servir d’espaces intermédiaires créatifs et multiples (créations, dessins, photographies, objets, souvenirs) qui s’appuient sur les compétences des familles et des enfants.
Il est important de rendre figurable ce que chacun des membres de la famille a vécu, de nommer la violence et de la qualifier de telle sorte qu’il n’y ait pas de doute sur le vécu (« cela a bien existé », « c’est criminel », « c’est injuste », etc.) et parfois aider le récit traumatique en faisant écho à d’autres récits traumatiques (« d’autres familles nous ont expliqué que… ») ou encore témoigner d’un événement de guerre ou d’un trauma grave sous une forme élaborée (« je me souviens d’avoir entendu parler de… »). Une lecture courte d’un conte ou d’un texte peut aussi aider à nommer les événements autrement. Il est parfois possible de requalifier le trauma en le plaçant dans une posture marquée par le courage ou la résistance à l’adversité. En effet, les familles (comme les individus) craignent qu’on ne les croie pas (surtout s’ils sont déboutés de leur demande d’asile) ou bien craignent de « contaminer » les soignants avec leurs expériences douloureuses ; plus souvent, ils ont simplement honte. Des récits transgénérationnels peuvent émerger, comme le génocide pour les Arméniens. Les enfants sont toujours très intéressés par ces récits qui les rattachent à ce qu’ont vécu leurs parents ou leurs ancêtres.
Parfois, toute la famille n’a pas encore migré. Il reste des membres qui endurent les souffrances et violences que les patients ont fuies. Ces personnes restent dans une forme de douleur groupale : ils se sentent membres du même corps. Il faut alors ménager une place importante aux membres de la famille restés ou en chemin. Écouter leur parole, portée par ceux qui sont là, avec l’idée que l’apaisement n’est pas possible sans cela.
Le traumatisme de l’exil est vécu différemment selon l’âge
Face à un enfant ou un adolescent qui vient d’arriver, un paramètre supplémentaire doit être intégré, le vécu potentiellement traumatique de l’exil pour l’enfant qui fait lui-même le voyage. Ce traumatisme est ressenti directement par l’enfant mais surtout indirectement par le biais des parents. Les adultes sont déstabilisés par cet événement qui, même lorsqu’il est choisi, entraîne des ruptures entre les mondes internes et externes. Ils transmettent cette rupture à l’enfant par leur manière d’être avec lui. Selon l’âge, l’enfant exprime ses doutes, voire, dans certains cas, son traumatisme de manière différente.
Avant 3 ans, des signes fonctionnels et psychosomatiques
Chez l’enfant en dessous de 3 ans, il s’agit essentiellement d’expressions fonctionnelles et psychosomatiques que l’on doit identifier et relier au voyage ou à un éventuel événement traumatique (vomissements, insomnie et cauchemars, anorexie, douleurs abdominales). Ces symptômes peuvent impacter le développement psychomoteur, provoquer des états d’apathie ou d’agitation, des peurs irraisonnées et des troubles des fonctions instinctuelles. Lorsque les événements traumatiques ont eu lieu après l’âge de 18 mois, il est possible d’observer des symptômes de reviviscence, par le biais de la pensée et des jeux symboliques. Après avoir éliminé une cause organique, il convient d’établir un cadre rassurant pour la famille et l’enfant dans lequel le désarroi et la douleur puissent se dire. Il faut se garder d’être trop interventionniste, mais simplement proposer aux parents des possibilités d’accompagnement en respectant leurs propres manières de penser et de faire.
Entre 3 et 6 ans, laisser le temps de l’adaptation
De même, pour l’enfant entre 3 et 6 ans, en général non scolarisé dans le pays d’origine, le traumatisme s’exprime de façon essentiellement somatique : douleurs abdominales, vomissements et tout un cortège de symptômes fonctionnels (céphalées, douleurs abdominales), conduites d’évitement, phobies, troubles du sommeil, anxiété de séparation mais aussi régressions transitoires (pleurs, colères, énurésie et/ou encoprésie secondaires, perte de certaines acquisitions antérieures langagières ou comportementales). Cela peut également prendre la forme de comportements de jeux ou de dessins répétitifs. Ici encore, il convient, après un bilan somatique, de laisser le temps à l’enfant de s’adapter à ce nouveau monde. L’entrée à l’école maternelle est nécessaire, mais elle doit être faite sans précipitation et de manière très progressive. Il faut faire attention, en effet, de ne pas ajouter, à la rupture de l’exil, une rupture d’avec la famille et en particulier la mère. Si l’immersion est brutale, cela compromet l’entrée de l’enfant dans ce nouveau monde.
À partir de 6 ans, des expressions pathologiques sur le plan psychique
Pour l’enfant au-delà de 6 ans, en général scolarisé dans son pays d’origine, la pathologie s’exprime essentiellement sur le plan psychique par deux types de réaction qui parfois coexistent de manière paradoxale :
– une sidération psychique, des niveaux de stress élevés ou des troubles attentionnels qui se traduisent parfois par une impossibilité ou un retard dans l’apprentissage de la langue française et une difficulté à investir le monde extérieur ;
– une excitation psychique, une agressivité et des troubles des conduites dès que l’enfant est dans le monde extérieur et tout particulièrement à l’école. Ceci doit être corrélé avec son anxiété devant l’inconnu et l’étranger ainsi que le sentiment de vague hostilité qu’il en nourrit. À ces réactions s’ajoutent parfois des cauchemars répétitifs où la même scène apparaît de manière terrifiante : un avion qui s’écrase, sa mère qui meurt…
Une sensibilité exacerbée à l’adolescence
Les adolescents sont quant à eux très sensibles aux traumas de l’exil et à la perte de leurs groupes de pairs. Ils l’expriment par leur corps, leurs comportements parfois inhibés, parfois provocants, et par des affects dépressifs. En cas de souffrance psychique, ils peuvent avoir des conduites transgressives, des comportements à risque, auto- ou hétéro-agressifs (scarifications, tentatives de suicide, agressivité vis-à-vis des pairs ou des membres de la famille) et abuser de substances toxiques (alcoolisations aiguës, benzodiazépines, cannabis…). Ces symptômes témoignent de réactions ou de tentatives de faire face à des états de détresse, des symptômes dissociatifs (dépersonnalisation, déréalisation, parfois même vécus de transe ou de possession) ainsi que des sensations de vide intérieur, d’émoussement des affects ou de détachement.
L’école doit s’appuyer sur les ressources du jeune
L’école suppose toujours une certaine transformation des enfants pour s’adapter aux contraintes des apprentissages ; c’est forcément un processus empreint de violence et de séparation d’avec le milieu d’origine des enfants si ce milieu est différent de l’école sur le plan linguistique, social ou culturel. Mais si cette violence tend à l’effacement de l’histoire des enfants, de leur langue maternelle, de leurs attaches, de leurs appartenances, c’est alors un appauvrissement pour eux, qui doivent renoncer à une partie d’eux-mêmes pour apprendre à l’école, et ce de manière définitive ou presque, dans la mesure où ils auront intériorisé que cette partie d’eux-mêmes est mauvaise, inutile, voire néfaste. Or cela est non seulement faux mais aussi humiliant et susceptible d’aboutir à des malentendus, à des inhibitions, à des difficultés à apprendre et à habiter le nouveau monde. L’école est alors pour eux un lieu qui sécrète de la souffrance, du doute et une expérience de perte des rêves et illusions de réussite individuelle et collective.
À l’école, il est nécessaire de s’appuyer sur les ressources du jeune. Il arrive fréquemment que les professionnels s’interrogent sur les compétences d’un enfant qui peine à parler français et souhaitent rapidement s’appuyer sur des tests psychométriques pour déterminer une réorientation scolaire. Il est nécessaire, quand cela est possible, de solliciter un interprète ou un médiateur culturel. Certains tests étant faussés dans ces contextes précis, il existe par ailleurs des outils pour évaluer les compétences des enfants possédant au moins deux langues et comprendre leur parcours langagier.
L’évaluation langagière pour allophones et primo-arrivants (ELAL) d’Avicenne permet, par exemple, de valider ou d’invalider une inquiétude par rapport au langage et de réorienter vers d’autres hypothèses chez un enfant qui peine à parler français.6 En clinique, elle peut contribuer au diagnostic chez un enfant bilingue présentant des difficultés de parole et de langage et être le point de départ d’une réflexion avec la famille autour de la transmission ou de ses empêchements.
Lorsque le jeune n’est pas accompagné par ses parents
Pour les mineurs non accompagnés (MNA), par exemple, on ne peut pas s’appuyer directement sur la famille ; il faut donc aider davantage le jeune à construire le récit de son parcours. Cette histoire doit être différenciée de celle qui a été donnée aux travailleurs sociaux, juges, inspecteurs… pour que le jeune comprenne que le but n’est pas la vérification de son âge (savoir si le jeune est mineur ou non, ce qui conditionne l’accès à l’aide sociale), de son parcours, ni de la véracité de son discours. S’il ne peut pas tout reconstituer seul, ce qui est fréquent, on tente de l’imaginer avec lui. On s’appuie sur la personne qui l’accompagne (thérapeute, travailleur social, membre bienveillant de la communauté) pour tout ce qui concerne l’histoire vécue depuis son arrivée dans le pays d’accueil. Il est nécessaire de soutenir le récit du jeune en proposant des manières d’être, de comprendre et de faire qui soient ancrées dans le collectif, qui appartiennent à l’adolescent et à sa famille ou qui existent dans d’autres familles ou d’autres parties du monde. Il s’agit d’autoriser l’adolescent à utiliser ses propres manières de penser et de faire, et de donner une place à l’altérité, afin de favoriser les métissages et soutenir l’identité narrative du jeune. Quelle que soit la situation, la présence d’un interprète ou d’un médiateur (le médiateur assure des liens concrets entre le monde culturel interne et le cadre culturel externe ou en cours d’intériorisation) s’avère importante.
Des supports narratifs peuvent être utilisés pour faciliter l’émergence d’un récit chez ces jeunes. En effet, pour les adolescents qui ont appris souvent à se taire pour se protéger, le statut de la parole est particulier ; parler peut présenter un risque ou déterminer leur avenir. Il ne faut pas négliger le risque de « retraumatiser » le jeune si celui-ci se sent « forcé » à raconter, il faut donc à tout prix éviter un récit contraint, frontal et trop prématuré des événements traumatiques.7 Il est possible de tourner autour de ce récit sans se centrer sur les moments traumatiques. Il convient de travailler sur la relation entre le jeune et son référent éducatif (quand il en a un) pour renforcer cette relation et permettre qu’un projet adapté puisse se mettre en place.
Adapter les modalités de prise en charge
Les difficultés réactionnelles liées au traumatisme et à ses conséquences, à l’anxiété qui en découle, à des mouvements dépressifs doivent être repérées dans le dispositif de soins primaires, puis l’enfant peut bénéficier de l’orientation adéquate.
Maintenir la présence à l’école avec un accompagnement adéquat
Dans un premier temps, il est important de maintenir l’enfant à l’école en proposant, pour les situations les plus bruyantes, un suivi de l’enfant et de sa famille. Le psychologue de l’Éducation nationale, au sein même de l’école, peut être un médiateur très intéressant dans la mesure où cette pathologie de l’enfant, réactionnelle à un événement traumatique identifié, s’apaise en général rapidement pour peu qu’on la repère comme telle. Ce suivi peut aussi être fait par un pédiatre ou un psychiatre extérieur à l’école et toujours en ambulatoire. Le recours à une prise en charge hospitalière doit ici rester limité aux situations graves car il est souvent vécu par les familles nouvellement arrivées comme une violence du fait de la méconnaissance des manières de faire de la psychiatrie occidentale. Dans ce cas, une prise en charge brève dans un cadre de soins sensible aux contextes transculturels peut être nécessaire. Le recours au spécialiste doit permettre de créer un espace d’étayage suffisant pour que le traumatisme de la migration puisse s’élaborer par le récit de l’histoire de la famille, par des jeux ou des dessins avec l’enfant.
Éviter les ruptures
Il faut à tout prix éviter tout acte qui provoquerait une nouvelle rupture (hospitalisation intempestive, placement en urgence non motivé par un danger immédiat, exclusion de l’école).
La prise en charge de l’enfant doit se faire en lien avec la famille. Il est parfois nécessaire de décrypter pour les parents les réactions de leur enfant, afin de leur permettre de comprendre ses symptômes. Parfois, il faut prendre en compte la culpabilité ou l’impuissance des parents, voire ceux de l’éducateur ou de l’adulte référent s’il s’agit d’un mineur non accompagné. Les symptômes de l’enfant peuvent aussi se répercuter sur le parent, qui peut lui-même avoir des troubles psychiques, notamment un état de stress post-traumatique.
Prendre en compte la détresse des parents
Enfin, la prise en compte de la détresse des parents est primordiale pour soutenir leur capacité à protéger leurs enfants ; ces derniers ont des besoins physiques et émotionnels qui peuvent être impactés lorsque l’un des parents est affecté par un trouble psychique. Cela dépend de leur âge et de leur stade de développement : pour le nourrisson, la relation dyadique avec une mère qui a un ESPT est à risque élevé d’aboutir à un attachement insécure.8 Par ailleurs, l’ESPT post-migratoire d’un parent est associé à des comportements plus sévères du parent et des difficultés émotionnelles et de conduite de l’enfant. Ainsi, que ce soit à la suite d’un événement traumatique partagé par le parent ou l’enfant ou en conséquence d’un trouble chez un des deux parents, les interactions entre l’enfant et le parent, ainsi que sa capacité de contenance peuvent être affectées. Par la suite, cela peut aboutir à des états de stress post-traumatique complexes.
Tous ces éléments sont donc à prendre en compte lorsque l’enfant vient d’arriver. Pour le reste, la conduite à tenir est la même que devant un enfant ou un adolescent né en Europe.
Faciliter l’accès au soin
Pour bien accueillir ces enfants, il faut enfin que la famille ait un lieu de vie décent, que l’enfant puisse aller à l’école et accéder à des soins. Or la littérature internationale9 retrouve une sous-utilisation du système de santé pour les enfants de migrants. Les enfants et les familles migrantes se heurtent à des obstacles pour accéder aux services de santé, quels que soient le pays d’accueil et l’organisation des services.10 Par ailleurs, de nombreuses familles de migrants ont leurs propres modèles explicatifs de la santé et de la maladie mentale, qui peuvent différer sensiblement de ceux du système de soins de santé.
Les difficultés d’accès aux soins peuvent être dues à des facteurs liés aux patients : un passé d’expériences négatives avec les professionnels de la santé, des points de vue divergents des modèles biomédicaux occidentaux sur la santé, des croyances fatalistes et la stigmatisation des troubles mentaux. D’autres facteurs appartenant aux cliniciens qui les rencontrent contribuent à ces différences de traitement telles que les préjugés, les stéréotypes, l’incertitude dans la prise de décision clinique et la communication. Il faut reconnaître l’effet sur les soignants de la différence de l’autre et de ses manières de penser et de faire, et admettre que cela fait (nécessairement) réagir les professionnels de santé : c’est ce que l’on appelle le contre-transfert culturel. En le reconnaissant, il est possible de l’élaborer et le transformer pour qu’il n’empêche pas de prendre soin d’une famille venue d’ailleurs.
Des soins complexes mais efficaces
Les soins aux enfants migrants sont plus complexes, du fait d’une information insuffisante aux familles et des difficultés d’alliance avec elles, des difficultés à accéder aux « blessures invisibles »11 et des erreurs diagnostiques possibles, d’un moindre accès aux soins des enfants et d’une observance moins bonne, de prises en charge plus longues et moins efficaces et d’une plus grande proportion d’échecs thérapeutiques que pour les enfants autochtones. Néanmoins, certaines études montrent les bonnes capacités de résilience des enfants migrants, susceptibles de trouver des stratégies de survie12 si on les aide à maîtriser les risques qu’ils encourent.
1. HCR Global Report. Tendances mondiales 2020 du HCR. 2020 (18 juin 2021). www.unhcr.org/fr/apercu-statistique.html
2. OMS. Santé mentale des adolescents 2020. www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/adolescent-mental-health
3. Moro MR, Brison JM. Pour le bien-être et la santé des jeunes. Paris: O. Jacob 2019.
4. Kien C, Sommer I, Faustmann A, Gibson L, Schneider M, Krczal E, et al. Prevalence of mental disorders in young refugees and asylum seekers in european countries: A systematic review. Eur Child Adolesc Psychiat 2019;28:1295-310.
5. Baubet T, Moro MR. Psychopathologie transculturelle. Paris: Elsevier Masson 2013; 274 p.
6. Rezzoug D, Bennabi-Bensekhar M, Moro MR. L’Elal d’Avicenne. Le premier outil transculturel d’évaluation des langues maternelles des enfants allophones et primo-arrivants. L’Autre 2018;19(2):142-50.
7. Minassian S, Touhami F, Radjack R, Baubet T, Moro MR. Les détours du trauma lors de la prise en charge des mineurs isolés étrangers. Enfances & Psy 2017;74(2):115 25.
8. van Ee E, Kleber R, Jongmans M, Mooren T, Out D. Parental PTSD, adverse parenting and child attachment in a refugee sample. Attachment & Human Development 2016;18(3):273-91.
9. Saunders NR, Gill PJ, Holder L, Vigod S, Kurdyak P, Gandhi S, et al. Use of the emergency department as a first point of contact for mental health care by immigrant youth in Canada: A population-based study. CMAJ 2018;190(40):E1183 91.
10. Moro MR, Radjack R. Vers une équité en santé mentale pour les enfants de migrants : propositions transculturelles. Académie nationale de médecine 2022. www.academie-medecine.fr/vers-une-equite-en-sante-mentale-pour-les-enfants-de-migrants-propositions-transculturelles/
11. Baubet T, Saglio-Yatzimirsky MC. Migrants et santé : soigner les blessures invisibles et indicibles. La santé en action 2021;455:15-9.
12. Rutter M. Annual research review: Resilience - Clinical implications. J Child Psychol Psychiatry Allied Discip 2013;54(4):474-87.
Dans cet article
- Des troubles psychiatriques plus fréquents
- Des facteurs de vulnérabilité psychique avant, pendant et après la migration
- Prendre en charge la famille dans son ensemble
- Le traumatisme de l’exil est vécu différemment selon l’âge
- L’école doit s’appuyer sur les ressources du jeune
- Lorsque le jeune n’est pas accompagné par ses parents
- Adapter les modalités de prise en charge
- Des soins complexes mais efficaces