Depuis 1980, les entérobactéries productrices de bêtalactamases à spectre étendu sont présentes en milieu hospitalier, responsables d’infections en réanimation et parfois d’épidémies nosocomiales. La production d’une bêtalactamase à spectre étendu :
entraîne une hydrolyse de toutes les bêtalactamines sauf la céfoxitine et les carbapénèmes ;
est souvent associée à une multirésistance à d’autres antibiotiques d’intérêt majeur (fluoroquinolones, aminosides).
Les carbapénèmes (ertapénème, imipénème, méropénème) sont toujours efficaces et sont le traitement de référence en cas d’infection grave.
Depuis une dizaine d’années, ce mécanisme de résistance s’est répandu dans la communauté, tout particulièrement chez E. coli. Un nombre croissant de patients n’ayant jamais eu de soins médicaux sont colonisés ou infectés par une entérobactérie productrice de bêta­lactamases à spectre étendu. Cette évolution inquiétante de la résistance bactérienne doit rappeler à chaque prescripteur de privilégier l’antibiotique ayant le spectre le plus étroit et d’éviter les antibiotiques ayant un impact important sur le microbiote intestinal. Toute prescription antibiotique a un impact écologique individuel et collectif.
L’utilisation des carbapénèmes expose à l’émergence d’entéro­bactéries productrices de carbapénèmases (EPC). Les entérobactéries productrices de carbapénèmases sont résistantes à l’ensemble des bêtalactamines, le plus souvent dans un contexte de multirésistance, voire de pan-résistance. De telles situations sont devenues fréquentes dans certains pays (par exemple Grèce, Inde, pays d’Asie du Sud-Est), conduisant à des impasses thérapeutiques et des infections fatales. Ces souches sont encore exceptionnelles en France. Pour éviter une telle situation, différentes mesures sont prises. Rappelons le dépistage d’un portage d’entérobactérie productrice de bêtalactamases à spectre étendu, entérobactérie productrice de carbapénèmases ou entérocoques résistants à la vancomycine (bactéries hautement résistantes, BHR) en cas de rapatriement sanitaire et précautions d’isolement contact. En thérapeutique, l’utilisation des carbapénèmes doit être restreinte à des situations le nécessitant impérativement ; les carbapénèmes ne sauraient être utilisés lorsque des alternatives sont possibles. Les recommandations de traitement de l’infection urinaire, gravidique ou non, illustrent parfaitement ce principe.

Quelles sont les pistes thérapeutiques permettant d’épargner les carbapénèmes ?

La céfoxitine ou la témocilline (récemment commercialisée en France) sont connues pour être stables vis-à-vis des bêtalactamases à spectre étendu. L’expérience d’utilisation de la céfoxitine est limitée ; quant à la témocilline, elle est disponible en France depuis peu.
Les bêtalactamases à spectre étendu ne rendent pas toujours inutilisables certaines autres bêtalactamines dès lors qu’elles diffusent suffisamment au site infecté (par exemple les urines). Il s’agit du pivmécillinam, des pénicillines associées à des inhibiteurs de bêtalactamases, de certaines céphalosporines de 3e géné­ration (céfotaxime, ceftriaxone, ceftazidime), et de l’aztréonam, sous réserve que ces antibiotiques soient identifiés sensibles sur l’antibiogramme et que la concentration minimale d’inhibition (CMI) soit mesurée.
Certaines entérobactéries productrices de bêtalactamases à spectre étendu peuvent être sensibles au cotrimoxazole, aux fluoroquinolones (ciprofloxacine), aux aminosides (amikacine surtout, expliquant sa prééminence dans les recommandations en cas d’infection avec signes de gravité). La fosfomycine et la nitrofurantoïne sont généralement actives mais d’un usage limité aux infections urinaires basses. Ces différents antibiotiques ont fait l’objet d’études cliniques limitées dans le traitement des infections urinaires à entérobactérie productrice de bêtalactamases à spectre étendu, expliquant l’importance de se conformer aux recommandations d’experts, et de suivre leur évolution dans ce domaine.

Quelle est la place des carbapénèmes dans le traitement des infections urinaires, y compris chez la femme enceinte ?

La prévalence des entérobactéries productrices de bêtalactamases à spectre étendu dans les ECBU est d’environ 5 % en population générale en France. Des facteurs de risque d’infection urinaire à entérobactéries productrices de bêtalactamases à spectre étendu sont : colonisation urinaire ou antécédent d’infection urinaire à entérobactérie productrice de bêtalactamases à spectre étendu dans les 6 mois précédents, antibiothérapie par pénicilline + inhibiteur de bêtalactamases (par exemple amoxicilline + acide clavulanique), céphalosporines de 2e génération, céphalosporines de 3e génération, fluoroquinolone dans les 6 mois précédents, voyage récent en zone d’endémie d’entérobactérie productrice de bêtalactamases à spectre étendu (notamment structures hospitalières de pays dits émergents, l’Inde par exemple), hospitalisation dans les 3 mois précédents, vie en établissement de long séjour.
L’implication potentielle d’une entérobactérie productrice de bêtalactamases à spectre étendu doit être recherchée dans les pyélonéphrites avec signes de gravité (sepsis grave – ou sepsis dans sa définition depuis mars 2016 –, choc septique, nécessité d’un geste urologique) car une efficacité insuffisante de l’antibiothérapie exposerait à une perte de chance. Les principes thérapeutiques ne diffèrent pas entre la femme enceinte et les autres situations. Ainsi :
en cas d’infection urinaire avec signe de gravité, s’il existe un antécédent de colonisation urinaire et/ou d’infection urinaire à entérobactérie productrice de bêtalactamases à spectre étendu, le risque d’une infection à entérobactérie productrice de bêtalactamases à spectre étendu doit être couvert par l’association imipénème + amikacine.
en cas de choc septique, la présence d’un seul des facteurs de risque d’infection à entérobactérie productrice de bêtalactamases à spectre étendu doit conduire à utiliser l’association imipénème + amikacine.
secondairement, en fonction de l’antibiogramme, une désescalade et une stratégie d’épargne des carbapénèmes sont proposées autant que possible.•

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