Ces mécanismes de défense visent à transformer une réalité potentiellement insupportable pour qu’elle devienne vivable. La personne n’est évidemment pas consciente de protéger ainsi son équilibre psychique. Ces mécanismes sont nécessaires à tous, malades et professionnels. Dans les situations particulièrement dangereuses, prenant plus d’ampleur, ils sont plus visibles. Les comportements peuvent paraître en décalage avec la réalité. Nombre de médecins ont pu être surpris du manque de réactions de leurs patients à l’annonce d’une maladie grave ou encore de leur apparente incompréhension de son caractère létal. Ces attitudes déstabilisent et questionnent sur la meilleure conduite à adopter pour accompagner le patient dans sa confrontation à la maladie grave.
Tout plutôt que le déni !
Freud décrivait notre rencontre de la mortalité comme une impossibilité. Le déni défendrait du réel de la mort et de l’angoisse qu’elle génère. Elisabeth Kübler-Ross s’en est inspirée dans les années 70 pour construire sa conception des étapes du mourir (déni, colère, dépression, marchandage et acceptation). Cette théorisation a largement influencé les professionnels de santé.
Des travaux plus récents, à partir de l’accompagnement de patients en fin de vie, proposent un autre éclairage de leur fonctionnement psychique : ils traversent des moments de grande détresse1 car leur identité est blessée par la maladie mortelle, et d’autres où ils seront plus défensifs sans pour autant être dans le déni.2, 3 Les malades en fin de vie sont conscients de leur état même s’ils en construisent une représentation la plus supportable possible.
Des travaux plus récents, à partir de l’accompagnement de patients en fin de vie, proposent un autre éclairage de leur fonctionnement psychique : ils traversent des moments de grande détresse1 car leur identité est blessée par la maladie mortelle, et d’autres où ils seront plus défensifs sans pour autant être dans le déni.2, 3 Les malades en fin de vie sont conscients de leur état même s’ils en construisent une représentation la plus supportable possible.
Mécanismes identifiés récemment
Régression et dissociation, les plus courants, sont plutôt archaïques. Sublimation, humour et rêverie sont plus élaborés.4
La régression inquiète souvent les soignants. Le patient se replie dans une bulle intérieure protectrice. On la confond avec la dépression alors qu’elle est nécessaire : cette pause vitale fait revenir à un état infantile agréable qui panse la détresse psychique. Le patient cherche la tranquillité sans pour autant se couper de la relation : il peut apprécier d’être massé, nursé, « materné »… Par exemple, une personne grippée prend plaisir à rester au fond de son lit si quelqu’un veille à son confort et lui amène une tisane…
Le malade peut à nouveau se mobiliser lorsque l’énergie psychique est de retour.
Par dissociation (ou clivage), il fait coïncider la réalité mortelle et l’envie de vivre. C’est un phénomène très courant en soins palliatifs.5 Le patient paraît ambivalent : il évoque son décès et l’organisation de ses obsèques puis sans lien apparent ses projets de voyages ou envie de cadeaux pour les fêtes futures. Face à un tel comportement, un médecin peut douter que son patient ait compris la gravité de sa situation. Certes, ce dernier est atteint d’une maladie mortelle mais dans le même temps il est toujours en vie et donc apte à se projeter dans l’avenir. La dissociation fait coexister la mort prochaine et la vie qui continue. L’espoir est nécessaire à la vie. Même un médecin a le droit d’espérer avec son patient…
La sublimation, l’humour et la rêverie ne sont pas ce qui pose le plus de problème à l’entourage. Ils allègent, transforment une réalité aride en un espace de jeu possible. Un médecin peut rire avec son patient du caractère parfois « surréaliste » de ce qui est vécu.
Enfin, la sidération survient plutôt lors des annonces d’information « violentes ». Le patient est ailleurs, avec une pensée qui n’intègre pas ce qui est dit. Cela lui donne le temps d’amortir le choc et de mettre en place d’autres mécanismes de défense (comme l’intellectualisation, la dissociation...).
La régression inquiète souvent les soignants. Le patient se replie dans une bulle intérieure protectrice. On la confond avec la dépression alors qu’elle est nécessaire : cette pause vitale fait revenir à un état infantile agréable qui panse la détresse psychique. Le patient cherche la tranquillité sans pour autant se couper de la relation : il peut apprécier d’être massé, nursé, « materné »… Par exemple, une personne grippée prend plaisir à rester au fond de son lit si quelqu’un veille à son confort et lui amène une tisane…
Le malade peut à nouveau se mobiliser lorsque l’énergie psychique est de retour.
Par dissociation (ou clivage), il fait coïncider la réalité mortelle et l’envie de vivre. C’est un phénomène très courant en soins palliatifs.5 Le patient paraît ambivalent : il évoque son décès et l’organisation de ses obsèques puis sans lien apparent ses projets de voyages ou envie de cadeaux pour les fêtes futures. Face à un tel comportement, un médecin peut douter que son patient ait compris la gravité de sa situation. Certes, ce dernier est atteint d’une maladie mortelle mais dans le même temps il est toujours en vie et donc apte à se projeter dans l’avenir. La dissociation fait coexister la mort prochaine et la vie qui continue. L’espoir est nécessaire à la vie. Même un médecin a le droit d’espérer avec son patient…
La sublimation, l’humour et la rêverie ne sont pas ce qui pose le plus de problème à l’entourage. Ils allègent, transforment une réalité aride en un espace de jeu possible. Un médecin peut rire avec son patient du caractère parfois « surréaliste » de ce qui est vécu.
Enfin, la sidération survient plutôt lors des annonces d’information « violentes ». Le patient est ailleurs, avec une pensée qui n’intègre pas ce qui est dit. Cela lui donne le temps d’amortir le choc et de mettre en place d’autres mécanismes de défense (comme l’intellectualisation, la dissociation...).
Stratégies d’ajustement (coping)
Elles sont conscientes, contrairement aux mécanismes de défense. Les malades les expliquent et les justifient. Une étude réalisée auprès de 344 sujets en fin de vie révèle leur présence chez trois quarts des patients.
C’est un ensemble d’efforts cognitifs et comportementaux pour faire en sorte de mieux supporter la réalité. Ils peuvent faire appel à l’émotion (« j’essaye de ne pas y penser », « j’essaye de rester positive »…), au soutien social (« je sélectionne dans mon entourage les personnes qui sont positives pour moi ») ou encore la mise à distance de la maladie (« j’essaye de me la représenter comme une petite boule qui va rester tranquille »).
C’est un ensemble d’efforts cognitifs et comportementaux pour faire en sorte de mieux supporter la réalité. Ils peuvent faire appel à l’émotion (« j’essaye de ne pas y penser », « j’essaye de rester positive »…), au soutien social (« je sélectionne dans mon entourage les personnes qui sont positives pour moi ») ou encore la mise à distance de la maladie (« j’essaye de me la représenter comme une petite boule qui va rester tranquille »).
Et les défenses des soignants ?
Dans une enquête réalisée auprès de psychologues,6 ces derniers réagissaient à la détresse de leurs patients en éprouvant l’envie de les protéger de la dure réalité. De la même façon, les médecins sont influencés par leurs propres contre-transferts. Face à un sujet défensif, ils peuvent être dans l’incompréhension et juger son comportement de façon inadaptée : les attitudes régressives peuvent susciter des désirs de « réanimer » les malades en les stimulant. À l’inverse, les postures trop optimistes génèrent parfois l’envie de mettre en avant la réalité de la maladie mortelle… Les défenses et la détresse entraînent chez les professionnels des sentiments d’impuissance forts et déstabilisants. Pour les contrer, certains passages à l’acte (hospitaliser, mettre en place des traitements déraisonnables, imposer des décisions qui ne respectent pas le rythme du patient) visent davantage le besoin de se sentir puissant que le bien-être réel des personnes en fin de vie…
Comment s’ajuster aux défenses psychiques
Fort du savoir médical supposé du pronostic, s’ajuster à la compréhension des malades est un art « clinique » qui demande humilité, doute et empathie. Comment répondre en respectant l’équilibre psychique du sujet dont les questions parfois dérangent ?
S’informer plutôt qu’informer
Donner des informations médicales sans vérifier le degré de compréhension du patient est délétère et inutile. S’enquérir en début de consultation de ce qu’il sait et comprend aide à cerner sa représentation de la maladie et des traitements, ses craintes et ses attentes. Le médecin apporte alors des données complémentaires sans alourdir le tableau.
Se questionner avant de questionner
Utiliser sa propre empathie pour évaluer ce que l’on ressent face au patient est important. Ainsi si l’on se sent soi-même tendu, si on craint de donner des informations, cela peut signifier que la personne elle-même ne souhaite en recevoir davantage. Cela peut être vérifié en lui communiquant : « j’ai la sensation que vous appréhendez ce que je pourrais vous dire…». « Est-ce que vous voulez qu’on reporte à une autre consultation, est-ce que vous préférez qu’on en parle un jour où votre épouse sera présente ? » Différer le temps d’annonce des mauvaises nouvelles est souhaitable lorsque les circonstances ne sont pas adaptées. Un sujet peut choisir de se faire accompagner parce qu’il a besoin de cette forme de sécurité.
Incertitude de l’avenir
Les certitudes existent dans le présent. Les médecins en soins palliatifs pratiquent une clinique de l’incertitude. Avouer ne pas connaître l’avenir évite d’enfermer les malades dans des scénarios qui pourraient se révéler erronés. Les annonces de pronostic sont le plus souvent fausses et peuvent générer des comportements inadaptés (se dessaisir de ses biens et se retrouver paradoxalement dans l’attente d’un décès qui ne vient pas…). Rester au présent avec son patient aide à accompagner son ajustement à la situation. Concernant l’évolution médicale, on peut craindre des scénarios et les anticiper, pour autant il n’y a aucune certitude sur leur réalisation.
Répondre qu’on ne sait pas est possible…
Répondre qu’on ne sait pas est possible…
Accepter et respecter la vérité de chacun
Les comportements défensifs peuvent donner l’impression de malades irrationnels et déraisonnables. On peut vouloir les raisonner, les ramener au réel et à des comportements en apparence adaptés. Se rappeler que leur situation est intenable.
Leur vérité prime sur notre réalité, qui n’est que parcellaire et biaisée par notre formation. La survie au quotidien nécessite de se défendre psychiquement. On peut être auprès d’eux dans leur travail d'adaptation aux pertes (somatiques, relationnelles et identitaires) générées par la maladie, pour que la vie résiste le mieux possible à ces conséquences mortifères. Jusqu’au bout…
Leur vérité prime sur notre réalité, qui n’est que parcellaire et biaisée par notre formation. La survie au quotidien nécessite de se défendre psychiquement. On peut être auprès d’eux dans leur travail d'adaptation aux pertes (somatiques, relationnelles et identitaires) générées par la maladie, pour que la vie résiste le mieux possible à ces conséquences mortifères. Jusqu’au bout…
Références
1. Van Lander A. Apports de la psychologie clinique aux soins palliatifs. Toulouse: Erès; 2015.
2. Amar S. L’accompagnement en soins palliatifs. Approche psychanalytique. Paris: Dunod; 2012: 301.
3. Alric J. Fin de vie et psychanalyse. Montpellier: Sauramps Médical; 2016: 349.
4. Van Lander A. Adaptation et ajustement. In: Bioy A, Van Lander A, Mallet D, Belloir MN, eds. Aide-mémoire. Soins palliatifs. Paris: Dunod; 2017: 238-43.
5. Rodin G, Zimmermann C. Psychoanalytic reflections on mortality: a reconsideration. J Am Acad Psychoanal Dyn Psychiatry 2008;36:181-96.
6. Van Lander A. L’identité à l’épreuve de la maladie létale. Thèse de doctorat, 2012, Université-Lumière Lyon-2. https://bit.ly/352WVpr
2. Amar S. L’accompagnement en soins palliatifs. Approche psychanalytique. Paris: Dunod; 2012: 301.
3. Alric J. Fin de vie et psychanalyse. Montpellier: Sauramps Médical; 2016: 349.
4. Van Lander A. Adaptation et ajustement. In: Bioy A, Van Lander A, Mallet D, Belloir MN, eds. Aide-mémoire. Soins palliatifs. Paris: Dunod; 2017: 238-43.
5. Rodin G, Zimmermann C. Psychoanalytic reflections on mortality: a reconsideration. J Am Acad Psychoanal Dyn Psychiatry 2008;36:181-96.
6. Van Lander A. L’identité à l’épreuve de la maladie létale. Thèse de doctorat, 2012, Université-Lumière Lyon-2. https://bit.ly/352WVpr