La plainte mnésique est une situation fréquente en population générale (près d’une personne sur deux).1 Elle peut traduire aussi bien le vieillissement cérébral normal qu’une maladie neuro­dégéné­rative incurable ou une affection curable (par exemple, une hydrocéphalie à pression normale). La liste des causes de troubles de mémoire est donc vaste, comme détaillé dans l’article « Maladies de la mémoire », page 1081. Aussi, le rôle de tout médecin de soins primaires est capital pour l’orientation vers d’éventuelles explorations complémentaires, avec, comme habituellement en médecine, une préoccupation particulière envers les causes graves, fréquentes et curables. Une approche consensuelle a été formalisée en 2018 par le Collège de la médecine générale, la Fédération des centres mémoire de ressources et de recherche, la Société française de gériatrie et gérontologie, la Fédération française de neurologie et la Société de psychogériatrie de langue française, aboutissant à la proposition d’une stratégie graduée et personnalisée de diagnostic des troubles neurocognitifs impliquant médecins généralistes et spécialistes des troubles cognitifs.2
Devant une plainte mnésique, la première consultation a quatre objectifs :
– reconnaître les signes de gravité ;
– objectiver un trouble de la mémoire ;
– rechercher des signes associés ;
– dépister les causes évidentes, fréquentes et curables.
Cette consultation se déroule en deux temps.

Recueil des éléments de gravité et d’orientation étiologique

Toute consultation pour plainte mnésique doit se faire, dans la mesure du possible, en présence d’un proche, afin de mesurer le retentissement des troubles au quotidien, de savoir si la plainte est exprimée spontanément par le patient ou par l’entourage et d’obtenir des éléments anamnestiques éventuellement omis par le patient au cours de l’entretien (encadré).

Antécédents

Face à une plainte concernant la mémoire, l’interrogatoire du patient et de son entourage commence, comme habituellement, par le recueil des antécédents personnels et familiaux. Une attention particulière doit être portée aux antécédents neurologiques et psychiatri­ques (troubles de l’humeur, troubles anxieux…), à un retard de développement (dyslexie, dyspraxie, déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité…), à la notion de traumatismes crâniens (notamment graves et/ou répétés), à la consommation d’alcool et de drogues même sans dépendance, aux facteurs de risque cardiovasculaire, à la présence d’un déficit sensoriel (visuel et/ou auditif). Les antécédents familiaux de maladie neurologique ou psychiatrique doivent aussi être recherchés, particulièrement en cas de maladie neuro­dégénérative de début précoce (avant l’âge de 65 ans). Évaluer le niveau socio-éducatif et la maîtrise de la langue permet d’interpréter les performances aux tests.
Il faut recueillir la liste des traitements pris – actuellement ou durant les dernières années –, notamment à la recherche de psychotropes pouvant interférer avec les performances cognitives. Il est particulièrement utile de relever les molécules ayant une action anticholinergique (traitements de l’hyperactivité vésicale, antidépresseurs tricycliques, neuroleptiques…)3 et les narcotiques (benzodiazépines, morphiniques…).4

Analyse de la plainte mnésique

Concernant la plainte mnésique elle-même : le seul interrogatoire, même détaillé et conduit par un spécialiste, peut être mis en défaut. La décision de poursuivre ou non les investigations repose donc sur un faisceau d’arguments.
En premier lieu, la plainte peut être limitée par une méconnaissance ou une sous-estimation de la part du patient, ce qui est fréquent dans les maladies de la mémoire. La présence d’un proche fiable est cruciale pour compléter l’anamnèse.
De nombreux indices doivent faire considérer une plainte mnésique comme inquiétante (encadré) : description d’un authentique déclin par rapport à l’état antérieur, plainte isolée mais persistante, plainte évolutive s’accentuant avec le temps, déclin apparu dans les cinq dernières années ou après l’âge de 60 ans, plainte confirmée par l’entourage, plainte associée à une inquiétude, oubli d’événements autobiographiques pertinents récents malgré l’aide d’indices, troubles de l’orientation temporelle et/ou spatiale, troubles du langage (man­-que du mot plus important qu’auparavant, troubles de la compréhension…), difficultés d’utilisation d’objets, troubles du comportement (apathie, troubles du comportement alimentaire…).5,6
L’apparition concomitante de troubles de l’humeur, anxieux ou du sommeil peut fournir une orientation étiologique.
Enfin, l’évaluation des activités instrumentales de la vie quotidienne (à interpréter comparativement à l’état antérieur) est un élément clé pour quantifier la gravité du trouble.7 Cet entretien est aussi l’occasion d’évaluer le mode de vie et l’entourage du patient.

Recherche de signes associés

La présence de symptômes associés comme des hallucinations, un trouble de la marche, des mouvements anormaux, des chutes ou une incontinence urinaire peut orienter vers une maladie neurologique dégénérative multi-système (démence à corps de Lewy, sclérose latérale amyotrophique).
Les troubles d’installation rapide (quelques heures à quelques jours) et récents, associés à des fluctuations attentionnelles entrent dans le cadre des syndromes confusionnels, urgence médicale nécessitant une prise en charge spécifique, que nous ne traiterons pas ici. Enfin, une plainte mnésique d’évolution subaiguë (quelques semaines à quelques mois) associée à des signes neurologiques (épilepsie, troubles du mouvement, troubles de la marche…) et éventuellement à une altération de l’état général doit faire évoquer les rares cas d’encéphalites auto-immunes, par exemple paranéoplasiques ou thyroïdiennes, ou de maladie de Creutzfeldt-Jakob, et justifie une prise en charge spécialisée urgente.

Recherche de causes non neurologiques

La recherche d’un trouble de l’humeur ou anxieux ayant précédé le trouble cognitif et d’un syndrome d’apnées du sommeil par le questionnaire d’Epworth doit être systématique du fait de la prévalence et de l’importance qu’ils ont dans les troubles de la mémoire.

Examen physique

À l’issue de cet interrogatoire, un double examen doit être réalisé (tableau) : examen neurocognitif de débrouillage visant à objectiver un trouble cognitif et examen somatique, en particulier neurologique.

Évaluation cognitive grâce à des tests

L’examen cognitif en consultation de médecine générale fait appel à des tests globaux (c’est-à-dire évaluant plusieurs fonctions cognitives), tels que le MoCA (Montréal cognitive assessment) [https://mocacognition.com/fr/].8 Le mini-mental state examination (MMSE) est aussi un outil intéressant (fig. 1), il a une plus forte pondération sur les troubles mnésiques et un plus fort effet du niveau socio-éducatif que le MoCA.9 Des tests ciblés sur certaines fonctions cognitives, comme le test des 5 mots, sont aussi très utiles en consultation pour distinguer les différents mécanismes (encodage, stockage, récupé­ration) de troubles de la mémoire épisodique antérograde verbale.10 Néanmoins, ces aspects ont été repris partiellement dans le MoCA, qui a l’avantage supplémentaire d’explorer d’autres fonctions cognitives que la mémoire épisodique antérograde verbale. L’utilisation d’un test normé permet d’objectiver le trouble neurocognitif. Comme tous les outils de ­dépistage, ces tests peuvent manquer de sensibilité (notamment chez les individus de haut niveau socioculturel) et de spécificité. Ils constituent donc l’un des éléments qui contribuent à la prise de décision de poursuivre les investigations, mais pas le seul.

Interrogatoire de l’accompagnant complémentaire

L’interrogatoire de l’accompagnant sur les aspects rétro­grades de la mémoire permet de compléter rapidement et de manière qualitative les tests globaux : descriptions d’événements autobiographiques pertinents récents (dernières vacances, fêtes de famille, etc.), du dîner de la veille et des actualités du moment permettent de s’enquérir rapidement des difficultés mnésiques. Enfin, la présence d’un « signe de la girouette » (patient tournant sa tête vers l’accompagnant pour chercher ses réponses) est recueilli.

Examen somatique, à la recherche de signes neurologiques

L’examen physique doit rechercher des signes neuro­logiques associés, en particulier : signes extrapyramidaux (akinésie, tremblement, hypertonie, micrographie mais aussi marche à petits pas, freezing, décomposition du demi-tour, perte du ballant des bras), syndrome pyramidal, déficit moteur, amyotrophie. Un examen somatique général peut mettre sur la voie d’une pathologie néoplasique ou carentielle.

Quelle orientation à la fin de l’examen ?

Plusieurs cas de figure sont possibles au terme de cet examen (fig. 2) :
– le premier est celui d’une plainte mnésique sans signe de gravité, sans trouble cognitif objectivé aux tests et avec un examen neurologique normal. Le patient peut légitimement être rassuré dans un premier temps, en prévoyant une réévaluation, à six mois ou un an en l’absence de fait nouveau, ou sans délai en cas d’aggravation subite ;
– le deuxième cas est celui d’une plainte mnésique explicable par une cause extraneurologique. Il s’agit alors typiquement d’un « trouble cognitif léger » (c’est-à-dire sans perte d’autonomie), associé soit à un trouble de l’humeur ou anxieux (lui-même non atypique), soit à un syndrome d’apnées du sommeil, soit à une cause iatrogène crédible. Dans ce dernier cas, une prise en charge spécifique est proposée, suivie d’une réévaluation cognitive à distance si la plainte persiste ;
– dans tous les autres cas, il est nécessaire de poursuivre les investigations : plainte ayant un caractère inquiétant, même en l’absence de trouble cognitif objectif associé (notamment chez des patients de haut niveau socio­culturel), trouble neurocognitif objectif sans facteur explicatif évident, ou encore présence de signes neurologiques associés. Un bilan type « HAS » doit alors être réalisé : imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale et bilan biologique à la recherche d’un désordre endocrinologique ou métabolique. En cas d’anomalie (lésion cérébrale à l’IRM, trouble métabolique, carentiel ou endocrinien, par exemple), une prise en charge spécifique est mise en œuvre. En l’absence d’explication au terme des examens paracliniques, le patient est adressé au spécialiste (consultation mémoire, neurologue…).
Dans le cas particulier, peu fréquent, d’une plainte mnésique d’apparition brusque, même transitoire, la prise en charge doit être celle de tout trouble neurologique aigu : adressage de préférence au service d’accueil des urgences ou, à défaut, au spécialiste dans des délais rapides (à adapter selon le temps écoulé depuis le début des symptômes et/ou son caractère réversible), le plus souvent associé à une imagerie cérébrale en urgence.

Gravité très variable des causes des troubles mnésiques

L’abord d’un patient se plaignant de sa mémoire doit être rigoureux et systématique, étant donné la forte prévalence du trouble et la gravité hautement variable des causes sous-jacentes. Les principales urgences sont repérables par le bon sens (trouble d’évolution rapide, éventuellement associé à d’autres signes), même si le caractère spontanément réversible ne doit pas faussement rassurer (par exemple, accident ischémique transitoire à haut risque d’accident vasculaire cérébral [AVC]).
Toutes les plaintes ne sont pas à adresser en consultation mémoire (fig. 2), mais, dans toutes les situations, le diagnostic étiologique doit être recherché pour ne pas méconnaître une cause curable et, dans le cas d’une maladie dégénérative, pour informer le patient et son entourage et leur permettre de prendre les dispositions nécessaires. On estime en effet qu’environ la moitié des troubles neurocognitifs majeurs restent non diagnostiqués,11 quand toutes les recommandations confirment unanimement l’intérêt du diagnostic, même en cas d’incurabilité.12 Ces recommandations changeront certainement avec l’évolution des connaissances, de l’arrivée de potentiels biomarqueurs plasmatiques de la maladie d’Alzheimer13 et surtout de l’éventuelle mise sur le marché de médicaments aptes à changer le cours de la maladie et destinés aux stades débutants de la maladie d’Alzheimer.14
  • Persistante
  • Évolutive
  • Déclin par rapport à l’état antérieur
  • Confirmation de l’entourage
  • Inquiétude associée à la plainte
  • Déclin évoluant depuis les cinq dernières années
  • Déclin ayant débuté après l’âge de 60 ans
  • Oublis d’événements récents pertinents malgré indiçage
  • Anosognosie
  • Troubles du langage (manque du mot évolutif…)
  • Troubles du comportement (apathie, troubles du comportement alimentaire…)
  • Troubles de l’utilisation d’objets
  • Trouble de l’humeur ou anxieux atypique (premier épisode, résistance au traitement…)
  • Hallucinations, troubles de la marche, troubles moteurs, agitation dans le sommeil (troubles du comportement moteur en sommeil paradoxal)
  • Désorientation temporelle et/ou spatiale
  • Impact sur l’autonomie
  • (Installation rapide et récente, fluctuations attentionnelles ---> syndrome confusionnel)
  • (Installation subaiguë, autres signes neurologiques +/- généraux ---> prise en charge spécialisée urgente)
Encadre

Éléments inquiétants devant une plainte mnésique

Caractéristiques de la plainte

Persistante

Évolutive

Déclin par rapport à l’état antérieur

Confirmation de l’entourage

Inquiétude associée à la plainte

Déclin évoluant depuis les cinq dernières années

Déclin ayant débuté après l’âge de 60 ans


Signes associés

Oublis d’événements récents pertinents malgré indiçage

Anosognosie

Troubles du langage (manque du mot évolutif…)

Troubles du comportement (apathie, troubles du comportement alimentaire…)

Troubles de l’utilisation d’objets

Trouble de l’humeur ou anxieux atypique (premier épisode, résistance au traitement…)

Hallucinations, troubles de la marche, troubles moteurs, agitation dans le sommeil (troubles du comportement moteur en sommeil paradoxal)

Désorientation temporelle et/ou spatiale

Impact sur l’autonomie

(Installation rapide et récente, fluctuations attentionnelles ---> syndrome confusionnel)

(Installation subaiguë, autres signes neurologiques +/- généraux ---> prise en charge spécialisée urgente)

Références
1. Jonker C, Geerlings MI, Schmand B. Are memory complaints predictive for dementia? A review of clinical and population-based studies. Int J Geriatr Psychiatry 2000;15:983-91.
2. Krolak-Salmon P, Letrilliart L, Ceccaldi M, Andrieu S, Guérin O, Dubois B, et al. Vers une stratégie nationale de diagnostic des troubles cognitifs. Approche commune du Collège de médecine générale et des spécialistes des troubles neurocognitifs. Presse Médicale 2018;47(1):75-83.
3. Salahudeen MS, Duffull SB, Nishtala PS. Anticholinergic burden quantified by anticholinergic risk scales and adverse outcomes in older people: A systematic review. BMC Geriatr 2015;15:31.
4. Lapeyre-Mestre M. Impact des benzodiazépines sur les fonctions cognitives et le risque de démence. Revue des arguments de causalité issus des études observationnelles. Therapie 2019;74:407-19.
5. Haute Autorité de Santé (HAS). Guide parcours de soin Trouble neurocognitif associé à la maladie d’Alzheimer. 2018 https://vu.fr/TmJVU
6. Jessen F, Amariglio RE, Buckley RF, van der Flier WM, Han Y, Molinuevo JL, et al. The characterisation of subjective cognitive decline. Lancet Neurol 2020;19(3):271-8.
7. Lawton MP, Brody EM. Assessment of older people: Self-maintaining and instrumental activities of daily living. Gerontologist 1969;9:179-86.
8. Nasreddine Z, Phillips N, Bedirian V, Charbonneau S, Whitehead V, Collin I, et al. The Montreal Cognitive Assessment, MoCA: A brief screening tool for mild cognitive impairment. J Am Geriatr Soc 2005;53(4):695-9.
9. Folstein MF, Folstein SE, McHugh PR. “Mini-mental state”. A practical method for grading the cognitive state of patients for the clinician. J Psychiatr Res 1975;12:189-98.
10. Dubois B, Touchon J, Portet F, Ousset PJ, Vellas B, Michel B. « Les 5 mots », épreuve simple et sensible pour le diagnostic de la maladie d’Alzheimer. Presse Med 2002;31:1696-9.
11. Observatoire Cap Retraite. La France face à la prise en charge de la maladie d’Alzheimer 2015. https://vu.fr/KNsG
12. Le plan contre les maladies neuro-dégénératives 2014-2019. Gouvernement.fr 4 février 2021. https://vu.fr/crcf
13. Teunissen CE, Verberk IMW, Thijssen EH, Vermunt L, Hansson O, Zetterberg H, et al. Blood-based biomarkers for Alzheimer’s disease: Towards clinical implementation. Lancet Neurol 2022;21(1):66-77.
14. van Dyck CH, Swanson CJ, Aisen P, Bateman RJ, Chen C, Gee M, et al. Lecanemab in early Alzheimer’s disease. N Engl J Med 2023;388(1):9-21.

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Résumé

La plainte mnésique est une affection répandue en population générale qui peut relever aussi bien d’un vieillissement cérébral normal que d’une maladie neuro­dégénérative incurable ou d’une affection curable. Aussi, le rôle du médecin généraliste est-il capital pour l’orientation vers d’éventuelles explorations complémentaires. L’écueil du sous-diagnostic, notamment en raison de l’incurabilité fréquente de la cause suspectée, est contraire à toutes les recommandations actuelles. Face à une plainte mnésique, la consultation de soins primaires a quatre objectifs : reconnaître les signes de gravité (drapeaux rouges) et sa sévérité, objectiver un trouble cognitif associé à l’aide de tests cognitifs, rechercher des signes associés, et dépister des causes évidentes, fréquentes et curables. Cet article se veut un outil pratique, conforme aux recommandations de 2018 concernant la stratégie graduée et personnalisée de diag­nostic des troubles neurocognitifs. Il détaille les éléments inquiétants à rechercher à l’anamnèse, les éléments qui doivent faire l’objet d’une attention ou d’une évaluation particulière et enfin la conduite à tenir à l’issue d’une consultation de soins primaires.