Durant la période du confinement, les gastropédiatres ont vu le nombre d’appels augmenter pour une endoscopie en urgence. Interview du Dr Julie Lemale, service de gastropédiatrie, hôpital Trousseau, Paris.
La Revue du Praticien : Pour quels types de corps étrangers êtes-vous appelée en général lors des astreintes d’endoscopie ?
Dr Julie Lemale : Les ingestions de corps étrangers sont fréquentes chez les enfants. Accidentelles chez ceux de moins de 6 ans, elles peuvent être intentionnelles chez l’adolescent ou les enfants qui ont des troubles psychiatriques. La majorité des corps étrangers vont passer dans le tube digestif sans entraîner de lésions spécifiques et être éliminés dans les selles. Dans 10 à 20 % des cas, nous devons réaliser une endoscopie digestive haute pour le retirer. Les corps étrangers sont de tous types mais ceux pour lesquels nous sommes régulièrement appelés sont : les pièces de monnaie, les piles boutons, les aimants, les petits jouets en plastiques, ou les aiguilles. Depuis ces 10 dernières années, on observe une nette augmentation de l’ingestion de piles boutons et d’aimants.
Rev Prat : La période du confinement a-t-elle été marquée par plus d'accidents liés à l'ingestion de corps étrangers ?
J.L. : Effectivement ! en temps habituel, les ingestions de corps étrangers sont plus fréquentes en soirée et pendant le weed-end lorsque l’enfant est à la maison. La période de confinement a modifié les habitudes de vie, et nous avons été appelés en urgence pour des ingestions à n’importe quelle heure de la journée. Il est difficile de donner des chiffres précis sur le nombre d’endoscopies réalisées en urgence pour ce motif, mais il semble que pendant cette période qui vient de s’écouler, nous ayons reçu en Île-de-France plus d’appels pour des corps étrangers que d’habitude lors des astreintes d’endoscopie.
Rev Prat : Les risques sont-ils différents suivant le type de corps étranger ?
J.L. : Les risques secondaires à l’ingestion de corps étrangers sont liés à leur éventuelle impaction, notamment au niveau de l’œsophage, à leur nature (objets traumatisants, piles boutons, aimants, etc.) ou à leur taille.
Le blocage d’une pile bouton au niveau du tiers supérieur de l’œsophage constitue une urgence absolue. En fait, il existe un risque d’hémorragie digestive gravissime par la création d’une fistule œsophago-aortique. Plusieurs décès sont rapportés tous les ans. D’autres complications peuvent survenir comme des fistules œso-trachéales, des perforations œsophagiennes avec médiastinite ou encore des sténoses secondaires. L’extraction doit donc se faire en urgence. Si la pile est localisée dans l’estomac, les complications sont plus rares (souvent à type d’ulcération), et l’extraction doit se faire dans les 24 heures.
Les objets traumatisants (clou, punaise, aiguille, etc.) doivent être également retirés par voie endoscopique en urgence.
Concernant les aimants, l’ingestion d’un seul aimant ne constitue pas de risque spécifique. En revanche, l’ingestion de plusieurs aimants doit conduire également à une endoscopie urgente si ceux-ci sont encore dans l’estomac. En effet, l’attraction de deux aimants entre une paroi digestive conduit à une ischémie responsable d’une perforation ou d’une fistule. Il n’est pas rare que lorsque deux ou plusieurs aimants ont été ingérés séparément, entraînant une attraction de deux segments digestifs, l’extraction endoscopique soit impossible. Une intervention chirurgicale est donc nécessaire.
Le retrait des autres corps étrangers est moins urgent : une pièce dans l’œsophage peut être retirée dans les 24 heures en raison de l’inconfort qu’elle entraîne, mais si la pièce est localisée dans l’estomac chez un enfant asymptomatique, une surveillance pendant 3 ou 4 semaines peut être faite. Au-delà de ce délai, si la pièce persiste elle doit être extraite par voie endoscopique.
Enfin, pour des corps étrangers de grande taille, qui bien souvent ne franchissent pas le pylore, une endoscopie doit être réalisée rapidement.
Rev Prat : L’ingestion de caustiques nécessite -t-elle une prise en charge particulière ?
J.L. : L’ingestion de caustique représente un vrai problème de santé publique. Ces ingestions surviennent accidentellement principalement chez des enfants de moins de 3 ans. Les produits les plus souvent en cause sont des produits ménagers nettoyants, décapants ou déboucheurs de canalisations. Les lésions de la muqueuse œsophagienne sont d’autant plus sévères que le pH du caustique est < 2 ou > 12.
On demande à la famille d’apporter le produit que l’enfant a ingéré. Une évaluation des lésions cutanées, orales et des voies aériennes supérieures doit être faite, puis une endoscopie digestive haute, dans les 24 heures, pour faire le bilan lésionnel. Selon la gravité des lésions, un traitement spécifique est mis en place (anti-acides, repos digestif, antibiothérapies, méthylprednisone). Les enfants qui ont des ulcérations profondes, des plages de nécrose lors de l’évaluation initiale par l’endoscopie, doivent être suivis régulièrement après la phase aiguë. À moyen terme, ils peuvent développer des sténoses secondaires de l’œsophage et à long terme, ils ont un risque augmenté d’adénocarcinome ou de carcinome épidermoïde de l’œsophage.
Propos recueillis par le Dr Alexandra Karsenty, La Revue du Praticien
Le Dr Julie Lemale déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.