Le congé paternité rémunéré est l’une des politiques menées pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes (égalité salariale, partage égal des tâches domestiques, etc.). Peu d’études ont toutefois évalué ses répercussions sur la santé mentale des deux parents. C’est chose faite, avec une étude de l’Inserm récemment parue dans le Lancet. Les résultats sont surprenants !
Des chercheurs de l’Inserm et de Sorbonne Université (Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique) ont examiné l’association entre la prise d’un congé paternité de 2 semaines et les taux de dépression du post-partum (DPP) à 2 mois. Ce trouble psychique, très fréquent, touche environ 15 % des femmes et est la deuxième cause de mortalité maternelle après un accouchement. Si sa prévalence est plus élevée en présence de certains facteurs de risque (primiparité, âges extrêmes de grossesse, antécédents de DPP, d’abus et/ou maltraitances subies par la mère, précarité sociale, etc.), elle peut aussi survenir lorsque la grossesse s’est bien déroulée, chez des femmes sans antécédent psychiatrique et en l’absence de facteurs de stress social ou environnemental. Par ailleurs, des symptômes dépressifs en période postnatale peuvent également affecter les pères : selon plusieurs études, ils concerneraient jusqu’à 9 % d’entre eux dans l’année suivant la naissance.
Cette étude, dont les résultats ont été publiés dans The Lancet Public Health, s’est appuyée sur la cohorte nationale représentative Elfe (Étude longitudinale française depuis l’enfance) qui comprend plus de 10 000 couples hétérosexuels ; plus précisément, 13 075 mèresayant accouché en 2011 dans une des 320 maternités françaises de l’étude et 10 975 pères ont été inclus dans l’analyse. Les premières avaient un âge médian de 30,5 ans et les seconds de 32,6 ans au moment de la naissance de l’enfant. Les mères ont été interviewées en présentiel peu de temps après l’accouchement, puis les deux parents ont été interviewés par téléphone 2 mois après la naissance. Ils devaient rapporter si le père avait pris ou avait l’intention de prendre un congé paternité, et répondre tous deux au questionnaire Edinburgh Postnatal Depression Scale d’évaluation de la DPP.
Résultats : à 2 mois, 64,3 % des pères avaient déjà pris un congé paternité, 18,7 % n’en avaient pas pris et 17 % rapportaient avoir l’intention de le prendre. Parmi ceux ayant pris un congé paternité, 4,5 % rapportaient une DPP au questionnaire EPDS (et 4,8 % parmi ceux ayant l’intention de l’utiliser), contre 5,7 % de ceux ne l’ayant pas utilisé. En prenant en compte les caractéristiques socio-économiques des parents, ces différences restent significatives, ce qui suggère un effet bénéfique de ce congé sur la santé mentale des pères.
Chez les mères, en revanche, c’est l’inverse qui est observé : 16,1 % de celles dont le partenaire a utilisé le congé paternité rapportaient une DPP, contre 15,1 % de celles dont le partenaire avait l’intention d’utiliser le congé paternité, et 15,3 % de celles dont le partenaire ne l’avait pas pris. La prise du congé paternité par le conjoint ne semblait donc pas avoir d’effet bénéfique significatif sur la santé mentale des mères dans cette étude.
Comment expliquer ce résultat ? Les auteurs avancent plusieurs hypothèses : la durée de 2 semaines de congé paternité pourrait ne pas être suffisante pour prévenir la DPP des mères. Il pourrait aussi s’agir d’un biais de sélection. En effet, l’une des limites de l’étude – outre le caractère auto-déclaratif – était l’absence de prise en compte de la présence de troubles dépressifs antérieurs à la naissance et indépendamment d’une grossesse : « Il est ainsi possible que les pères dont la compagne est plus à risque de dépression prennent plus volontiers un congé paternité », précise le Dr Maria Melchior, directrice de ces travaux.
Autre hypothèse pour expliquer cette association négative observée chez les mères : la répartition inégale du temps alloué à la garde des enfants et aux tâches domestiques, même lorsque le conjoint ne travaille pas.
Ainsi, de futures recherches pourraient mieux explorer ces aspects, et évaluer aussi le retentissement de la durée du congé paternité sur la santé des deux parents et sur le développement des enfants, notamment depuis que cette durée a doublé, passant, en juillet 2021, à 25 jours calendaires (en plus des 3 jours de congés de naissance prévus par le Code du travail), et non plus seulement 11 jours.
Barry KM, Gomajee R, Benarous X, et al. Paternity leave uptake and parental post-partum depression: findings from the ELFE cohort study. Lancet 2023;8(1);E15-27.
Inserm. Les pères bénéficiant de 2 semaines de congé paternité seraient moins à risque de développer une dépression post-partum. 4 janvier 2023.
À lire aussi :
Bottemanne H, Joly L. Dépression du post-partum. Rev Prat Med Gen 2021 ;35(1062) ;489-95.