La conjonctivite est une inflammation de la conjonctive de l’œil, qui peut être d’origine virale, bactérienne, allergique ou irritative. Fréquente, elle est une pathologie bénigne ne menaçant pas la vision en l’absence de complications. Elle se manifeste par un tableau d’œil rouge (rougeur diffuse superficielle), larmoyant, peu ou pas douloureux, avec sensation de grains de sable, parfois un prurit, sans baisse d’acuité visuelle (BAV) – en effet, si la présence de sécrétions devant l’axe optique peut faire baisser transitoirement la vision, cette gêne disparaît après lavage ou après clignement palpébral ; en cas de BAV permanente, il faut rechercher une kératite associée.
En pratique, si la distinction entre une conjonctivite infectieuse et allergique ou irritative est relativement aisée (un écoulement indiquant en général une cause infectieuse), il n’existe pas à l’heure actuelle d’outils fondés sur des données probantes pour différencier cliniquement une origine virale et bactérienne, ce qui peut engendrer une prescription excessive d’antibiotiques topiques. Une revue systématique sur 32 études, récemment parue dans le JAMA, s’est donc donné pour but de déterminer la prévalence relative de la conjonctivite virale par rapport à la conjonctivite bactérienne chez les adultes et les enfants, et de distinguer les signes les plus évocateurs d’une cause virale ou bactérienne. Quels sont ses enseignements ?
Conjonctivites bactériennes
La cause bactérienne serait plus fréquente chez les enfants : selon cette étude, sa prévalence en population pédiatrique était plus élevée que celle de la conjonctivite virale (71 % contre 16 %), tandis que l’inverse était vrai chez les adultes (78 % pour les causes virales, vs 16 % pour les bactériennes, bien que les données aient été plus limitées).
Signes
Les sécrétions mucopurulentes sont associées à une plus grande probabilité de conjonctivite bactérienne (sensibilité : 0,76 [IC95%: 0,60-0,87] ; spécificité : 0,66 [IC95% : 0,58-0,73]). Chez l’enfant, l’association à une otite moyenne était également évocatrice.
Par ailleurs, la rougeur conjonctivale, uni- ou bilatérale, est généralement diffuse, parfois avec un intervalle libre. À noter : les sécrétions prédominent surtout le matin au réveil.
Traitement : les antibiotiques ne sont pas systématiques
La conjonctivite bactérienne est traitée avant tout par des lavages oculaires fréquents au sérum physiologique.
Un prélèvement pour examen bactériologique n’est pas nécessaire en première intention.
Le recours à un traitement antibiotique local n’est pas systématique (acide fusidique, tobramycine, rifamycine, etc). En effet, les antibiotiques abrègent la durée des symptômes, mais leur effet à huit jours n’est pas significativement supérieur à celui du placebo. Ce gain de confort individuel doit être mis en balance avec le risque de sélectionner des souches résistantes à certains antibiotiques si ceux-ci sont utilisés largement (avec donc un risque accru d’infections éventuellement sévères à germes résistants).
Ainsi, chez l’adulte, les conjonctivites bactériennes non graves (sans atteinte cornéenne) doivent être traitées par lavage au sérum physiologique associé à un antiseptique.
En cas de signe de gravité – sécrétions purulentes importantes, chémosis (œdème de la conjonctive), œdème palpébral, larmoiement important, BAV (même modérée) – ou sur un terrain fragile (diabète, immunodépression, pathologie oculaire associée), un collyre antibiotique ciblant les cocci à Gram positif doit être prescrit – les conjonctivites bactériennes étant le plus souvent dues à des germes à Gram positif. Éviter les fluoroquinolones en première intention.
L’antibiothérapie locale est systématique chez le nourrisson ayant une conjonctivite aiguë (rifamycine en collyre). En cas de conjonctivite bactérienne récidivante aux âges extrêmes de la vie, il faut réaliser un examen ophtalmologique, à la recherche d’une imperforation des voies lacrymales.
Les conjonctivites à Chlamydia associées à une infection urogénitale chez l’adulte nécessitent également un traitement antibiotique local et par voie orale. Les nouveau-nés peuvent être contaminés à l’accouchement si la mère est infectée.
Conjonctivites virales
Très contagieuses, elles surviennent souvent par épidémies. Le germe en cause est généralement un adénovirus. L’origine virale serait la plus fréquente chez les adultes.
Signes
Le contact avec une autre personne ayant un tableau d’œil rouge et l’association à une adénopathie prétragienne sont très évocateurs d’une conjonctivite d’origine virale. L’étude suggère, en outre, que la présence d’une pharyngite concomitante est également plus fréquente dans ces cas, par rapport aux conjonctivites bactériennes.
Enfin, le tableau est généralement unilatéral d’abord, puis se bilatéralise dans les jours qui suivent. On note un larmoiement et des sécrétions claires.
Traitement
Le traitement est symptomatique, avec lavage au sérum physiologique associé à un antiseptique.
Les mesures d’hygiène (lavage des mains et du linge de toilette) ainsi que l’éviction scolaire ou l’arrêt de travail sont de règle pour limiter les épidémies.
L’évolution est en général spontanément favorable en dix à quinze jours mais peut se compliquer de pseudomembranes fibrineuses et/ou de kératite dans les cas les plus graves. Les cas de conjonctivite très sévère doivent donc être examinés en ophtalmologie, notamment en cas de BAV permanente.
Autres causes
Outre les origines infectieuses, il faut savoir distinguer les causes allergique ou irritative pour traiter adéquatement.
Conjonctivite allergique
La forme la plus fréquente est la conjonctivite allergique aiguë, saisonnière ou perannuelle selon l’allergène, qui survient sur un terrain allergique souvent connu.
Le tableau est bilatéral, caractérisé par un prurit important avec une rougeur conjonctivale diffuse peu intense et parfois un chémosis. Un larmoiement et des sécrétions claires sont possibles.
Allergènes
Les conjonctivites allergiques saisonnières sont évoquées devant une symptomatologie qui revient chaque année à la même période. Les allergènes les plus fréquents sont les pollens de graminées, d’arbres ou d’herbacées. En France, le début du printemps signe l’allergie aux pollens d’arbres ; la fin du printemps et l’été, celle aux pollens de graminées. Toutefois, ces périodes peuvent être différentes en fonction de la région et du type de pollen.
Les conjonctivites perannuelles peuvent être dues à une allergie aux acariens, à la présence d’un animal au domicile, à des moisissures, etc.
Une conjonctivite qui apparaît toujours dans le même lieu est évocatrice d’une cause allergique également : dans des habitations où séjourne un animal, par exemple ; lorsqu’elle se manifeste uniquement sur le lieu de travail, une allergie professionnelle est à rechercher (allergie à la farine pour le boulanger…).
Enfin, d’autres formes de conjonctivite allergique moins fréquentes existent : kératoconjonctivite de la dermatite atopique, conjonctivite de l’allergie de contact (où de nombreux produits peuvent être en cause : conservateurs présents dans les collyres ou dans les produits d’entretien des lentilles de contact, shampoing, chlore, produits de maquillage…) qui peut être associée à un eczéma de contact sur les paupières. La kératoconjonctivite vernale est une forme d’allergie oculaire sévère touchant les jeunes garçons avant la puberté : elle se caractérise par une conjonctivite allergique chronique avec des poussées inflammatoires aiguës le printemps et l’été, se compliquant de lésions cornéennes qui peuvent être graves ; elle nécessite un suivi très régulier en ophtalmologie.
Traitement
L’éviction du ou des allergènes dont la responsabilité a été démontrée par l’interrogatoire et les examens complémentaires est indispensable, quand cela est possible.
Le traitement repose également sur le lavage oculaire quotidien et les collyres antihistaminiques et/ou antidégranulants mastocytaires.
En cas de tableau très bruyant, on peut prescrire une cure courte de corticoïdes.
Conjonctivite par irritation
Le syndrome sec oculaire est très fréquent et peut être responsable d’une rougeur oculaire associée à une sensation de grains de sable ou à des douleurs oculaires superficielles.
La sécheresse peut être qualitative (dysfonction des glandes de Meibomius dans la rosacée oculaire, iatrogène sur instillation prolongée de collyres conservés, post-conjonctivite fibrosante comme dans la pemphigoïde cicatricielle oculaire et après un syndrome de Stevens-Johnson) ou quantitative (idiopathique liée à l’âge, iatrogène, syndrome de Gougerot-Sjögren).
Le diagnostic est fait principalement par le test de Schirmer (en cas de sécheresse oculaire quantitative seulement), la mesure du temps de rupture du film lacrymal (break-up time) et surtout la recherche d’une kératite ponctuée superficielle épithéliale après instillation de fluorescéine.
Le traitement du syndrome sec oculaire est chronique et repose sur l’instillation de substituts lacrymaux sous forme de solutions ou de gels mouillants (bannir les collyres contenant des agents conservateurs, qui peuvent être à l’origine d’un véritable syndrome sec iatrogène).
Enfin, une conjonctivite d’irritation est également possible en présence de fumée du tabac ou de poussières.
Serrar Y, Fortoul V, Denis P. Item 83. Infections et inflammations oculaires. Rev Prat 2022;72(6);679-87.
Ameli. Reconnaître une conjonctivite. 23 septembre 2022.
Ameli. Conjonctivite : consultation et traitement. 23 septembre 2022.