La pandémie de Covid-19 a eu diverses répercussions en matière de santé mentale, aussi bien par les conséquences neuropsychiatriques directes du virus chez les patients atteints que par les conséquences indirectes en population générale des mesures sanitaires prises pour enrayer l’épidémie.
D’une part, celle-ci a conduit à une saturation des services de médecine et de réanimation dans le monde entier, et d’importantes conséquences psychiatriques post-réanimation ont été constatées de manière universelle par les soignants. Les séquelles physiques perdurant dans le temps et liées aux formes longues de l’infection ont aussi un retentissement sur la santé mentale des patients, comme toute pathologie physique chronique.
D’autre part, le contexte sanitaire préoccupant et la répétition des confinements et couvre-feux sont des facteurs de stress supplémentaires pour les patients qui se trouvent plus à risque de développer une pathologie psychiatrique.1 Les études en population générale ont révélé une diminution du bien-être psychologique et des scores plus élevés d’anxiété et de dépression en comparaison aux temps de « l’avant Covid-19 ». Dans le même sens, des données inquiétantes sur le stress et l’anxiété ont été rapportées par l’Organisation mondiale de la santé à travers le monde.2,3
Toutes les études s’accordent à dire que trois grands troubles psychiatriques doivent être dépistés et pris en charge dans le contexte sanitaire actuel : l’anxiété pathologique, l’épisode dépressif et le trouble de stress post-traumatique.
Effets neuropsychiques du virus
L’infection par le SARS-CoV-2 occasionnerait par elle-même des troubles neuro–psychiatriques. Elle peut aussi être indirectement responsable d’un « syndrome post-réanimation » chez les patients ayant été hospitalisés dans ces services hospitaliers spécifiques. L’association de deux, voire trois, troubles neuropsychiatriques est fréquente dans les suites du Covid-19 (jusqu’à 40 % des patients).
Atteinte virale spécifique
Certains patients ont des troubles neuropsychiatriques persistants à distance de l’infection : anosmie, troubles cognitifs et attentionnels, apparition d’une anxiété, d’une dépression, de symptômes psychotiques, de crises convulsives, de comportements suicidaires.4 Plusieurs études ont révélé une prévalence élevée de dépression (> 40 %) chez des patients atteints de Covid-19. Les troubles comportementaux peuvent apparaître jusqu’à plus de six mois après l’infection virale. Ces symptômes peuvent précéder, être contemporains ou apparaître après les symptômes respiratoires. Ils ne sont donc pas liés à la seule insuffisance respiratoire. Cela suggère une atteinte virale cérébrale indépendante – les coronavirus pourraient en effet être à l’origine de dysrégulations cognitives, émotionnelles, neurovégétatives et comportementales par le biais de mécanismes biologiques.5
Syndrome post-réanimation
Plusieurs études ont révélé une prévalence de troubles anxieux pouvant s’élever à 37 % et de troubles de stress post-traumatique à 44 % chez des patients ayant été hospitalisés pour Covid-19.
Le syndrome post-réanimation concernerait, quant à lui, 50 à 70 % des patients hospitalisés dans ces services. Il associe des troubles physiques, cognitifs, psychologiques et psychiatriques, mais aussi sociaux, avec des répercussions à long terme sur la qualité de vie des patients. Les conséquences psychiatriques de ce syndrome concernent jusqu’à 50 % des patients atteints.
Conséquences des mesures sanitaires
Incertitudes, isolement, changements de rythme, perte de contrôle, peur de la mort sont autant de facteurs pouvant favoriser le développement de pensées dépressives, de désespoir, d’anxiété et de solitude.
Confinement, une expérience souvent douloureuse
Le confinement représente un changement du rythme quotidien et des habitudes. Cela peut être déstructurant, en particulier pour les enfants qui ont besoin de rituels et d’un rythme régulier pour se sentir sécurisés.
Il favorise l’isolement social, facteur majeur de souffrance psychique identifié dans de nombreuses études.
De surcroît, le stress économique, les difficultés d’accès aux lieux communautaires et religieux et aux structures de soins en santé mentale, ainsi qu’une couverture médiatique incessante sur la crise sanitaire ont pu exacerber la peur et l’anxiété. Or la crise dure, et ce stress latent aussi. À l’échelle nationale, presque 40 % de la population a déclaré une anxiété et une inquiétude vis-à-vis de l’avenir, alimentées par les confinements, mais surtout par leurs conséquences relationnelles, sociales, professionnelles et financières.
Une revue de la littérature a confirmé les effets néfastes du confinement sur le plan psychique : augmentation des symptômes post-traumatiques, confusionnels et du sentiment de colère.6
Vigilance sur la souffrance des travailleurs
Le télétravail accroît la charge mentale, par la confusion entre vie personnelle et vie professionnelle qu’il engendre. Une enquête réalisée auprès d’un panel de 2 007 salariés entre avril et mai 2021 a révélé que 44 % d’entre eux étaient en détresse psychologique (dont 17 % la décrivaient comme « élevée »). Dans cette même enquête, le taux de dépression nécessitant un accompagnement chez les salariés avoisinait les 36 %. Enfin, le nombre de burn out aurait doublé en un an, s’élevant à 2 millions de personnes souffrant d’une forme sévère.7
Violences intrafamiliales
Depuis le début de la pandémie, les violences à l’encontre des femmes et des enfants ont significativement augmenté dans de nombreux pays, aggravées par la mise en place des confinements et des mesures de distanciation.8 L’accroissement de la souffrance psychique et la fermeture des structures pouvant servir de refuges (écoles, activités de loisirs, lieux d’accueil associatifs, etc.) participent certainement à cette dramatique augmentation.
Quels facteurs de risque ?
De nombreux facteurs de risque d’augmentation de manifestations psychiatriques ou de détérioration du bien-être psychologique ont été recensés.
Tenir compte des antécédents et du sexe du patient
Santé altérée du patient (maladie chronique, handicap, troubles mentaux préexistants), existence d’un proche atteint du Covid-19, sexe féminin sont autant de facteurs de risque de développer un trouble psychique dans le contexte pandémique actuel.
Adolescents et étudiants
Bien que les adolescents soient moins fréquemment infectés et fassent des formes moins graves de Covid-19 que les adultes, la pandémie a eu des conséquences délétères sur leur santé mentale. 9 De nombreuses données ont en effet montré une augmentation des troubles mentaux durant la pandémie. En particulier, une revue systématique a conclu que les adolescents sont désormais plus à risque d’avoir des taux importants de dépression et d’anxiété.
Quant aux populations étudiantes, considérées fragiles sur le plan psychique, plusieurs études se sont intéressées aux conséquences des mesures sanitaires sur leur santé mentale : une instabilité de l’humeur a été mise en évidence, plus fréquente chez les étudiants ayant un antécédent de trouble psychiatrique. Or il a été montré que, lorsqu’elle était liée au confinement, une plus faible stabilité de l’humeur pouvait accroître le risque d’épisode dépressif.10
Professionnels de santé
Hors pandémie, les médecins ont un risque accru de décès par suicide par rapport aux non-médecins (+40 % chez les hommes et multiplié par plus de 2 chez les femmes).11 La pandémie et les mesures prises pour l’enrayer n’ont pu qu’aggraver ce risque (surcharge de travail, perte de contrôle, incertitude...). Les études ont en effet montré que les professionnels de santé ont, dans le contexte actuel, un risque augmenté de symptômes dépressifs, diminution de la qualité du sommeil, épisodes dépressifs caractérisés, anxiété et détresse psychologique.
Périnatalité, période particulièrement sensible
Les mesures sanitaires et la nécessité d’adapter les pratiques peuvent également avoir des conséquences sur la santé mentale en périnatalité. En particulier, les proches de la parturiente n’ont pas toujours pu assister à la naissance : cette expérience déconcertante peut accroître la peur et l’angoisse des femmes en travail et augmenter le risque de trouble de stress post-traumatique du post-partum, notamment chez les femmes ayant un traumatisme préexistant. De plus, il faut noter qu’en période périnatale, les femmes s’imposent souvent des mesures de distanciation plus drastiques que celles du reste de la population, allant à rebours des techniques psychothérapeutiques recommandées dans la dépression et l’anxiété (activation comportementale, exposition, etc.). Le climat d’incertitude et de peur ont pu accroître l’angoisse des (futurs) parents et être source d’inquiétude majorée dans la période sensible qu’est l’arrivée d’un enfant.
Dépister les troubles
Une fois les facteurs de risque identifiés, trois troubles doivent donc être prévenus et recherchés : anxiété, dépression, stress post-traumatique. Les effets psychiatriques de la pandémie de Covid-19 sont prégnants voire s’aggravent actuellement : l’enquête déclarative CoviPrev12 note une augmentation des états anxieux et des problèmes de sommeil entre juillet et septembre 2021. Il paraît important de questionner tous les patients sur leur entourage. Cela est d’autant plus nécessaire en cas d’antécédents psychiatriques connus.
Par ailleurs, une évaluation du bien-être des patients au travail est essentielle. Un échange et une orientation vers le médecin du travail peuvent aider.
Interroger la dynamique familiale et les relations au sein du couple et avec les enfants permet au patient d’exprimer ses difficultés et de pouvoir aborder les éventuels conflits (voire les violences subies ou infligées).
Patients ayant eu le Covid-19
Pour ces patients, les conséquences physiques à court et long terme occupent souvent une place prépondérante en consultation. Or ils sont probablement aussi plus à risque de développer un trouble psychiatrique, même s’ils ne semblent pas affectés psychiquement au début. La persistance de handicaps physiques à distance de l’infection peut dégrader progressivement la qualité de vie. Il est important d’évaluer leur humeur avec des questions ouvertes simples (par exemple « Compte tenu de la fatigue que vous me décrivez, comment vous sentez-vous sur le plan du moral ? »), d’explorer avec eux les possibilités d’activités de loisirs, d’interroger la qualité de leur sommeil et de leur appétit, etc.
Rechercher un trouble anxieux
La couverture médiatique permanente de la crise est l’un des principaux facteurs de stress en population générale. Il est donc pertinent d’interroger les patients fragiles sur leur consommation d’informations. La consultation des médias en ligne et d’information continue est souvent un facteur de rumination et de majoration des inquiétudes. Nombreux sont les patients ayant développé, dans ce contexte, des symptômes d’anxiété généralisée, avec une anticipation anxieuse de l’avenir.
Trouble de stress post-traumatique
Il se manifeste sous des formes spécifiques dans le contexte actuel.
Chez les soignants, le burn out et la difficulté à la reprise du travail dans les suites d’un arrêt peuvent s’apparenter à un symptôme d’évitement.
Parmi les patients ayant séjourné en réanimation, nombreux sont ceux qui expriment des difficultés à se rendre de nouveau dans les grandes surfaces ou les lieux publics (par peur d’être de nouveau infectés), comportement également apparenté à de l’évitement. Certains expliquent se laver constamment les mains avec du gel hydroalcoolique ou désinfecter systématiquement toutes les surfaces qu’ils touchent, rappelant une hypervigilance.
Ces comportements, de même que les reviviscences et les cauchemars traumatiques parfois associés, peuvent paraître normaux face aux événements vécus, ils doivent pourtant être pris en charge s’ils altèrent le quotidien du patient.
Outils d’aide diagnostique
En cas de doute sur la présence d’un trouble anxieux, post-traumatique ou dépressif, il est possible d’utiliser des outils de dépistage simples et de passation rapide. Par exemple, l’échelle Hospital Anxiety and Depression (
Prise en charge
Patients déjà suivis en psychiatrie
Il est essentiel de fournir aux personnes déjà engagées dans des soins psychiatriques des conseils de prévention et une prise en charge dès l’émergence de nouveaux symptômes. Il s’agit d’anticiper les circonstances déstabilisantes, en particulier en lien avec une rupture des soutiens du patient. Un plan d’action doit être élaboré avec les patients et leur famille pour identifier les symptômes devant alerter, et assurer la présence d’un entourage soutenant et bienveillant si nécessaire.
Symptomes de novo
En cas d’apparition d’un trouble anxieux ou dépressif, qu’il s’agisse d’un sujet atteint de Covid-19 ou non, une psychothérapie peut être proposée, en orientant par exemple vers un psychologue. Si nécessaire, un traitement antidépresseur de type sérotoninergique peut être associé. En cas de résistance à cette prise en charge et de persistance de la symptomatologie après un mois, il faut adresser le patient à un psychiatre afin de réévaluer le trouble et de permettre une adaptation thérapeutique.
Particularité du stress post-traumatique
En cas de doute sur la présence d’un trouble de stress post-traumatique, le patient est orienté au plus tôt vers un psychiatre, qui pourra éventuellement l’adresser à un centre régional de psychotraumatologie, pour une évaluation et une psychothérapie spécifiques.
Que dire aux patients ?
Les effets psychiatriques de la pandémie de Covid-19 sont prégnants voire s’aggravent actuellement.
Consulter son médecin traitant à l’apparition du moindre symptôme psychique et maintenir le suivi en soins psychiatriques si une prise en charge est déjà en place.
Inciter le patient à solliciter le médecin du travail si la fin du télétravail l’angoisse ou si, au contraire, le télétravail le met en difficulté.
Ne pas se laisser inonder d’informations par les médias.
1. Vindegaard N, Benros ME. COVID-19 pandemic and mental health consequences: Systematic review of the current evidence. Brain Behav Immun 2020;89:531-42.
2. Moutier C. Suicide prevention in the COVID-19 era: Transforming threat into opportunity. JAMA Psychiatry 2021;78(4):433-8.
3. Gunnell D, Appleby L, Arensman E, et al. Suicide risk and prevention during the COVID-19 pandemic. Lancet Psychiatry 2020;7(6):468-71.
4. Boldrini M, Canoll PD, Klein RS. How COVID-19 affects the brain. JAMA Psychiatry 2021;78(6):682-3.
5. Postolache TT, Benros ME, Brenner LA. Targetable Biological Mechanisms Implicated in Emergent Psychiatric Conditions Associated With SARS-CoV-2 Infection. JAMA Psychiatry 2021;78(4):353-4.
6. Brooks SK, Webster RK, Smith LE, Woodland L, Wessely S, Greenberg N, et al. The psychological impact of quarantine and how to reduce it: rapid review of the evidence. Lancet 2020;395(10227):912-20.
7. Baromètre T4 Empreinte Humaine – Infographie sur l’état psychologique, risques psychosociaux & épuisement des salariés français. Disponible sur : https://bit.ly/3u7oQSp
8. Ertan D, El-Hage W, Thierrée S, et al. COVID-19: urgency for distancing from domestic violence. Eur J Psychotraumatol 2020;11(1):1800245.
9. Van Dam L, Rhodes J, Spencer R. Youth-initiated mentoring as a scalable approach to addressing mental health problems during the COVID-19 crisis. JAMA Psychiatry 2021;78(8):817-8.
10. Taquet M, Quoidbach J, Fried EI, et al. Mood homeostasis before and during the Coronavirus disease 2019 (COVID-19) lockdown among students in the Netherlands. JAMA Psychiatry 2021;78(1):110-2.
11. Albuquerque J, Tulk S. Physician suicide. CMAJ 2019;191(18):E505.
12. Santé publique France. Comment évolue la santé mentale des Français pendant l’épidémie de COVID-19 – Résultats de la vague 27 de l’enquête CoviPrev. 23 septembre 2021