La constipation est une affection fréquente, touchant environ 10 % des enfants de moins de 1 an1 et jusqu’à 27 % de ceux de 2 ans.2 Bien que fonctionnelle et bénigne dans la très grande majorité des cas, elle altère fortement la qualité de vie des enfants et de leurs parents,3 et entraîne des coûts importants.4 En pratique, il faut l’évoquer devant tout nourrisson qui émet difficilement des selles dures (critères diagnostiques de Rome IV en encadré ci-dessous).5
Causes organiques : rares
Elles doivent être éliminées par l’interrogatoire et l’examen physique. Il faut vérifier l’absence de malformation anorectale en inspectant la marge anale (fig. 1). Un toucher rectal n’est pas nécessaire. On recherche également une fossette sacro-coccygienne. Si elle est superficielle, borgne, de diamètre < 5 mm, située à moins de 25 mm de l’anus et sans lésion cutanée associée (lipome, hypertrichose diffuse ou touffe de poils, tâche pigmentée, hémangiome, kyste dermoïde…), aucun examen complémentaire n’est nécessaire. Dans le cas contraire, un dysraphisme spinal occulte (spina bifida) doit être recherché par imagerie de la moelle épinière (échographie chez un nourrisson de moins de 1 mois et IRM au-delà).
La maladie de Hirschsprung est liée à l’absence de cellules ganglionnaires au niveau des plexus de Meissner et Auerbach, d’où un défaut de propulsion fécale entraînant une occlusion distale basse. Si le diagnostic est porté le plus souvent dès la période néonatale, certaines formes peuvent se révéler plus tardivement. C’est le cas par exemple des nourrissons allaités exclusivement au sein ayant un transit d’entraînement (lié au lait maternel) : l’occlusion peut être identifiée uniquement au sevrage. En cas de doute, l’enfant doit être adressé à un chirurgien-pédiatre pour une biopsie rectale profonde, ou après 3 mois pour une manométrie anorectale.
Un nourrisson allaité exclusivement qui, au bout de quelques semaines, modifie son transit (de 1 selle après chaque tétée à 1 selle tous les 3 ou 4 jours) sans aucune plainte ni perte de poids a probablement une fausse constipation au lait de mère, qui ne nécessite ni examen ni traitement.
L’allergie aux protéines de lait de vache (PLV) a aussi été mise en cause ; si suspicion, une épreuve d’exclusion/réintroduction des PLV peut être proposée.
Hypercalcémie, hypokaliémie et hypothyroïdie s’accompagnent parfois d’une constipation, mais en sont exceptionnellement révélatrices.
Enfin, citons deux pièges : la maladie cœliaque, qui apparaît à l’introduction du gluten et s’accompagne d’une constipation dans 30 % des cas ; les tubulopathies, responsables d’une constipation par déshydratation chronique. Dans ces deux cas, la croissance staturo-pondérale est en général altérée.
Prise en charge
Les règles hygiénodiététiques sont primordiales : apport normal en fibres et hydratation sont conseillés. En effet, il a été montré que les enfants constipés consommaient moins de fibres que ceux ayant un transit normal.7 D’autre part, dans les enquêtes diététiques, il apparaît que moins de 50 % des enfants < 3 ans ont un apport en fibres suffisant. Il convient donc de rééquilibrer leur régime, sans pour autant dépasser les recommandations. Les eaux fortement minéralisées ne sont pas adaptées pour la reconstitution des biberons. Mesure la plus importante : éduquer voire rééduquer la défécation (toilet training). Trop souvent, les enfants sont mal positionnés avec les jambes pendantes alors que pour une bonne évacuation de l’ampoule rectale, l’angle formé entre le rachis et les cuisses doit être < 90 ° (fig. 2). Il faut proscrire les efforts de poussée avec les muscles abdominaux qui entraînent la fermeture du sphincter anal et les remplacer par un relâchement de ce dernier (on demande à l’enfant de bloquer son expiration pendant quelques secondes). Enfin, chez un nourrisson qui émet des selles volumineuses témoins d’un mégarectum et d’une probable hyposensibilité rectale, il faut devancer la sensation de besoin en ritualisant la mise au pot (ou aux toilettes) après chaque repas.
En cas d’échec, deux types de laxatifs peuvent être utilisés chez les enfants. Les osmotiques provoquent un appel d’eau dans l’intestin, ce qui permet de ramollir les selles. Avant 6 mois, seuls le lactulose (Duphalac) et le lactitol (Importal) ont l’AMM. Au-delà, le macrogol (Forlax, Movicol…), plus efficace, doit être privilégié. La posologie recommandée est d’environ 0,5 g/kg/j, en une prise par jour, à poursuivre tant que la constipation persiste, sans limite de durée. En pratique, les doses et la durée de traitement sont adaptés au transit, l’objectif étant d’avoir au moins 3 selles de consistance et de volume normaux par semaine (rassurer les parents sur l’absence de tachyphylaxie). En deuxième intention, les laxatifs lubrifiants comme l’huile de paraffine (Lansoÿl) sont utiles, en cas de douleur à la défécation, pour améliorer le confort à l’exonération et la cicatrisation d’une éventuelle fissure.
Traiter tôt et suffisamment longtemps est crucial. Les résultats sont meilleurs si la prise en charge est débutée avant 3 mois d’évolution.8 En effet, un cercle vicieux peut s’installer : l’émission de selles dures et volumineuses cause une douleur à la défécation, voire une fissure anale responsable d’un anisme (fermeture du sphincter anal lors des efforts de poussée). Ce dernier engendre une stagnation de selles dans l’ampoule rectale (fécalomes) et donc un mégarectum et une hyposensibilité induisant à leur tour l’émission de selles dures et volumineuses (fig. 3). Il faudra alors plusieurs mois ou années de traitement avant que la sensibilité rectale redevienne normale. C’est pourquoi un arrêt trop précoce du traitement entraîne inévitablement une récidive.
Qu’en retenir ?
➜ 10 % des nourrissons sont constipés dès l’âge de 1 an.
➜ Les causes organiques, exceptionnelles, sont éliminées par l’interrogatoire et l’examen physique. ➜ Surcharger le régime en fibres n’est pas utile, mais il faut veiller à rééquilibrer une alimentation qui en serait déficiente. Aucun aliment n’est interdit.
➜ Utiliser de préférence le macrogol car il n’est pas absorbé et n’entraîne pas d’accoutumance, et éviter les traitements locaux (crèmes, suppositoires).
➜ Insister sur le « toilet training ».
Diagnostiquer la constipation avant 4 ans
Au moins 2 des critères suivants (pendant 4 semaines consécutives) :
1. moins de 3 exonérations par semaine
2. comportement rétentionnel
3. défécation difficile et/ou douloureuse
4. selles volumineuses
5. présence d’un fécalome rectal
De plus, chez les enfants ayant acquis la propreté, on peut inclure les critères suivants :
6. épisodes d’encoprésie avec fuites fécales involontaires au moins 1 fois/semaine
7. émission de selles volumineuses pouvant obstruer les toilettes
RÉFÉRENCES
Turco R, Miele E, Russo M, et al. Early-life factors associated with pediatric functional constipation. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2014;58:307-12.
Diagnostiquer la constipation avant 4 ans
Au moins 2 des critères suivants (pendant 4 semaines consécutives) :
1. moins de 3 exonérations par semaine
2. comportement rétentionnel
3. défécation difficile et/ou douloureuse
4. selles volumineuses
5. présence d’un fécalome rectal
De plus, chez les enfants ayant acquis la propreté, on peut inclure les critères suivants :
6. épisodes d’encoprésie avec fuites fécales involontaires au moins 1 fois/semaine
7. émission de selles volumineuses pouvant obstruer les toilettes
RÉFÉRENCES
Turco R, Miele E, Russo M, et al. Early-life factors associated with pediatric functional constipation. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2014;58:307-12.
2. Mota DM, Barros AJ, Santos I, Matijasevich A. Characteristics of intestinal habits in children younger than 4 years: detecting constipation. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2012;55:451-6.
3. Belsey J, Greenfield S, Candy D, Geraint M. Systematic review: impact of constipation on quality of life in adults and children. Aliment Pharmacol Ther 2010;31:938-49.
4. Choung RS, Shah ND, Chitkara D, et al. Direct medical costs of constipation from childhood to early adulthood: a population-based birth cohort study. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2011;52:47-54.
5. Benninga MA, Nurko S, Faure C, Hyman PE, St. James Roberts I, Schechter NL. Childhood functional gastrointestinal disorders: neonate/toddler. Gastroenterology 2016;150:1443-55.e2.
6. Tabbers MM, DiLorenzo C, Berger MY, et al. Evaluation and treatment of functional constipation in infants and children: evidence-based recommendations from ESPGHAN and NASPGHAN. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2014;58:265-74.
7. Morais MB, Vítolo MR, Aguirre AN, FagundesNeto U. Measurement of low dietary fiber intake as a risk factor for chronic constipation in children. J Pediatr Gastroenterol Nutr 1999;29:132-5.
8. van den Berg MM, van Rossum CH, de Lorijn F, et al. Functional constipation in infants: a followup study. J Pediatr 2005;147:700-4.
Pour en savoir plus
Chouraqui J.-P. Item 280. Constipation chez l’enfant. Rev Prat 2016;66(1):e21-6.
Chouraqui J.-P. Item 280 - Focus. Constipation chez l’enfant : physiopathogénie et signes d’alerte.
Rev Prat 2016;66(1):e5.