En mars dernier, la France était confinée, et les soignants chaque soir applaudis. Un an après, la reconnaissance n’est plus de mise. Récemment, un couple qui n’était pas tout jeune tapissait le métro parisien d’une multitude de petits autocollants sur lesquels on pouvait lire « Non à la dictature sanitaire ! ». Plus les épidémies se prolongent, plus les Cassandre que sont les soignants ont mauvaise presse. Ce n’est pas nouveau. Parcourant la Russie en 1831 au moment du choléra, Pouchkine écrivait « À peine arrivé, j’apprends qu’aux alentours on condamne l’entrée des villages, on établit des quarantaines. Le peuple gronde, insensible à une rigoureuse nécessité et préférant le mal à l’incertitude et l’inconnu à une gêne habituelle. »1 Dans certains endroits, des médecins « accusés d’avoir empoisonné l’eau et le pain » avaient même été massacrés. Si on ne tue plus les médecins (ce n’est pas vrai partout), force est de constater combien le discours médical et scientifique est bousculé par « tout ce que l’on entend », pour reprendre une expression courante des patients lorsqu’ils expriment leurs doutes et leurs inquiétudes. Peu importe que le génome du SARS-CoV-2 ait été décrypté en quelque mois, que la mortalité hospitalière ait été réduite de moitié, qu’en moins d’un an des tests et des vaccins efficaces aient été produits. Ces avancées spectaculaires pèsent peu de poids face au mécontentement général suscité par les stratégies sanitaires visant à contrôler la pandémie. Un désaveu qui touche en premier les responsables politiques en charge des affaires mais aussi, par ricochet, les scientifiques et les médecins, dont les discours sont dénoncés par beaucoup comme confus, contradictoires ou orientés, si ce n’est soumis aux intérêts des industriels, et ce d’autant que les caractéristiques de l’épidémie n’ont pas permis que se structure un puissant mouvement associatif de patients, contre-poids aux dérapages des réseaux sociaux et aux nuisances des vérités alternatives et des théories du complot, comme cela avait été le cas lors de l’émergence du sida (mais internet n’existait pas alors…).
Dans la cacophonie des crises qu’elle engendre (la crise des masques, puis celle des tests, et maintenant celle des vaccins…), la pandémie actuelle peut toutefois nous aider à réfléchir à nos propres responsabilités dans l’origine de cette défiance. L’inconduite scientifique, les mauvaises pratiques, la surmédiatisation de certains médecins, les conflits d’intérêts, les fonctionnements en « silo » des différentes professions de santé : tous ces aspects ont trouvé bien des illustrations pénibles depuis un an. Autre exemple significatif : le serpent de mer de la vaccination des soignants. Brusquement, le public découvre que des soignants refusent d’être vaccinés et, au moment où il s’agit de convaincre la population de l’utilité du vaccin, voilà que se greffe le débat (ancien) sur l’obligation vaccinale des premiers ! Cette question qui revient chaque année avec la vaccination antigrippale aurait dû être tranchée depuis longtemps, tant cette obligation ne se discute pas ! Ce qu’elle révèle est profondément déroutant et choquant pour le public : comment imaginer que des soignants, parce qu’ils refusent de se faire vacciner, peuvent contaminer les patients dont ils ont la charge et comment accepter d’être vacciné si ceux qui le proposent le refusent pour eux-mêmes ?
Malgré tout, sur le terrain, la relation de confiance entre les médecins et leurs patients n’est pas affectée, mais gardons-nous de penser que cela est irréversible… 

1. Pouchkine A. Le choléra de 1831 (traduction G. Aucouturier). Paris : éditions Gallimard, coll La Pléiade, 1973 : pages 795-7.