Une étude française récemment publiée dans le journal One Health fait état d’une haute séroprévalence de l’infection par le SARS-CoV-2 chez les chiens et chats vivant avec des personnes ayant eu un diagnostic de Covid-19 : 47 animaux domestiques (13 chiens et 34 chats) appartenant à 31 personnes Covid+ ont été testés en juin 2020, sur prélèvement sanguin, 2 à 3 mois après que l’infection confirmée de leurs propriétaires. De plus, 38 animaux (22 chiens et 16 chats) vivant dans des foyers où le statut infectieux des propriétaires était inconnu ont aussi été inclus. Dans le premier groupe, 21 % des animaux avaient des anticorps anti-SARS-CoV-2 (24 % des chats et 15 % des chiens) ; dans le second groupe, seulement un chat a été positif. Ainsi, le risque d’être séropositif pour le SARS-CoV-2 était 8 fois plus élevé pour les animaux domestiques partageant un foyer avec une personne Covid+ que pour ceux vivant dans des foyers de statut inconnu, suggérant que la contamination se fait principalement de l’homme à l’animal et non dans le sens inverse. Cette séroprévalence arriverait même à 53 % selon une estimation des mêmes chercheurs, sur la base de données suisses selon lesquelles certains types de tests utilisés (tests d’anticorps anti-N) sous-estiment considérablement la proportion d’humains – et, par extension, peut-être d’animaux – exposés au virus (par rapport aux tests d’anticorps anti-S). Si, selon cette étude, on ne peut pas conclure à une transmission d’animal à animal au sein d’un même foyer, ni de l’animal à l’homme (mais la taille des échantillons limite la portée de telles conclusions), la question de savoir si ces animaux peuvent contribuer à la dynamique de l’épidémie est centrale…
Et c’est en particulier avec l’apparition des variants qu’elle revient sur le devant de la scène : si la mutation en position 501 (N501Y) au niveau de la protéine Spike, commune aux trois principaux variants dits « d’intérêt » (britannique, brésilien et sud-africain), les rend plus transmissibles chez les humains, cela peut-il être aussi le cas chez d’autres espèces animales ? Et si oui, avec quels risques en retour pour l’homme ?
À cet égard, une nouvelle étude (preprint)recense pour la première fois des cas d’animaux domestiques infectés par le variant B.1.1.7 (dit britannique). Le centre vétérinaire londonien où ces cas ont été recensés a remarqué, en effet, une augmentation de l’incidence des myocardites entre décembre 2020 et février 2021, de 1,4 % à 12,8 % (8,5 % pour les chats ; 4,3 % pour les chiens), qui coïncidait avec la vague épidémique due à ce variant du SARS-CoV-2 dans la ville. Ces 11 patients félins (8) et canins (3), sans antécédent de pathologie cardiaque, avaient un tableau clinique similaire : léthargie d’apparition brusque, perte d’appétit, tachypnée et dyspnée secondaires à une insuffisance cardiaque congestive, voire, dans certains cas, syncopes ; toutefois, aucun n’avait eu un syndrome pseudo-grippal ou des signes respiratoires primaires.
Étant donné que la plupart des propriétaires avaient eu des signes respiratoires compatibles avec une Covid-19 (dont certains avaient une infection confirmée par PCR) dans les 3 à 6 semaines précédant la survenue des myocardites chez leurs animaux, les vétérinaires ont testé ces derniers à la recherche d’une infection par le SARS-CoV-2. Si tous les tests PCR sur prélèvements naso- et oropharyngés sont revenus négatifs, les PCR sur prélèvements rectaux de 3 animaux sont revenus positifs, indiquant une infection par le variant B.1.1.7. Les sérologies de 3 autres ont montré des anticorps anti-SARS-CoV-2 (dont 1 pour qui la PCR avait été négative, et 2 non renseignée). Au total, 6 des 11 animaux ayant eu ces myocardites avaient donc été infectés par le variant (4 chats, 2 chiens) ; parmi eux, 4 étaient cas contact confirmés (sur un total de 5 cas contact sur les 11 animaux étudiés).
Certes, le lien de causalité entre ces manifestations cliniques et l’infection par le SARS-CoV-2 ne peut pas encore être établi avec certitude. Mais cette étude souligne, d’une part, que ce lien doit être exploré pour savoir si, contrairement aux cas jusqu’ici reportés (où les infections par la « lignée historique » du virus semblaient résulter dans des manifestations majoritairement pauci- ou asymptomatiques chez les animaux), les nouveaux variants peuvent, eux, être plus pathogènes. D’autre part, démontrant que les animaux domestiques peuvent être contaminés par les nouveaux variants, elle souligne aussi l’importance d’enquêter sur la possibilité d’une plus grande transmission entre animaux et de l’animal vers l’homme. Car cette publication n’est pas la seule à avoir recensé un cas d’infection par le variant britannique : au Texas (États-Unis), celui-ci a également été décelé chez un chien et un chat vivant dans le même foyer, deux jours après que leur propriétaire eut été lui-même diagnostiqué pour une Covid-19. Ce même projet de recherche, mené depuis juin 2020 par les Centers for Disease Control et l’université Texas A&M, a trouvé que, sur plus de 450 animaux de compagnie vivant dans un foyer où au moins une personne a été contaminée par le SARS-CoV-2, plus de 60 ont été infectés, dont un quart avait des symptômes (éternuements, toux, diarrhée, fatigue).
Une autre question soulevée par l’infection des animaux par les nouveaux variants est l’élargissement de l’éventail des espèces susceptibles d’être contaminées. Dans une autre étude preprint récente, des chercheurs de l’Institut Pasteur rapportent que les variants sud-africain (B.1.351) et brésilien (P1) peuvent non seulement infecter des souris de laboratoire, mais aussi s’y répliquer abondamment au niveau des poumons, alors que cette espèce n’était pas sensible à la « lignée historique ». Celle-ci ne se fixait, en effet, que faiblement aux récepteurs ACE2 des souris et des rats. S’il n’y a pas encore d’évidence que les souris sauvages puissent être elle aussi infectées, ces résultats incitent à accroître la surveillance, car si celles-ci devenaient un réservoir où le virus muterait à son tour, le risque d’une transmission interespèces dans le sens inverse (vers l’homme) serait élevé. En effet, comme le signalent les auteurs de cette étude, il est possible que les rongeurs aient été l’hôte ancestral de certains bêtacoronavirus. « Depuis le début de l’épidémie, et depuis que les coronavirus humains sont apparus à partir d’animaux, il a été très important d’établir dans quelles espèces le virus peut se répliquer, en particulier s’il s’agit d’espèces vivant à proximité de l’homme », explique Xavier Montagutelli, premier auteur de l’étude.
Pour l’instant, la seule évidence d’un franchissement de la barrière d’espèces dans le sens inverse, après une infection des animaux par l’homme (spillback), est celle observée dans les cas d’infections chez les visons d’élevage à la fin de 2020, qui a abouti à leur abattage. Mais ces dernières données concernant à la fois des rongeurs et des animaux de compagnie exhortent à la surveillance et soulignent l’importance, dans la réponse apportée à la pandémie, du concept de « One Health », selon lequel une approche collaborative globale entre médecins, vétérinaires et agronomes est nécessaire pour comprendre et gérer les risques sanitaires pour humains et animaux dans le cadre plus large de la santé des écosystèmes. Une approche d’autant plus à l’ordre du jour si on considère que, comme les souris et les hommes, 130 espèces de mammifères, 75 espèces d’oiseaux et 67 espèces de poissons, entre autres, ont des récepteurs ACE2 qui pourraient faciliter l’infection par le SARS-CoV-2…
Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien
Pour en savoir plus
Gozlan M. Des variants du SARS-CoV-2 peuvent infecter des chats et des chiens de compagnie, et même des souris. Le Monde – Réalités biomédicales, 21 mars 2021.
Grimm D. Major coronavirus variant found in pets for first time. Science, 19 mars 2021.
Goodman B. COVID-19 Variants Now Detected in Animals, May Find Hosts in Mice. Medscape, 24 mars 2021.
Haseltine W. From Cats And Dogs To Minks And Mice, Covid-19 Variants Are Infecting The Ecosystem. Forbes, 26 mars 2021.
À lire aussi
Dossier – One Health, élaboré selon les conseils de la Pr Barbara Dufour. Rev Prat 2021;71:97-8.
Nobile C. Les variants du SARS-CoV-2 en 5 questions. Rev Prat (en ligne), 25 février 2021.