Il y a encore quelques moins, on disait que le SARS-CoV-2 ne mutait pas rapidement. Qu’en est-il de sa rapidité d’évolution aujourd’hui ?
Tout au long de l’année 2020, la vitesse d’évolution (estimée par le nombre moyen de mutations qui se fixent dans le génome viral par an) était comparable à celle du virus influenza B ; depuis l’émergence des variants, elle est un peu plus rapide, du même ordre de celle de l’influenza A. Mais, indépendamment de cette vitesse, en 2020, la quasi-totalité des mutations qui se fixaient dans les génomes du SARS-CoV-2 étaient neutres, c’est-à-dire qu’elles causaient des infections similaires à celles de la lignée originale (aussi appelée « sauvage »). À l’exception de la mutation D614G, qui est aujourd’hui présente dans presque toutes les lignées virales et semble favoriser la transmissibilité interhumaine.
En revanche, fin 2020, la situation a changé avec l’émergence des variants, dont les génomes possèdent un plus grand nombre de mutations que la moyenne et, surtout, qui causent des infections différentes par rapport aux souches sauvages.
Quels sont les variants les plus inquiétants aujourd’hui ?
Les plus importants sont ceux qui ont un effet sur l’infection : on les appelle « variants préoccupants ». Aujourd’hui, l’Organisation mondiale de la santé en liste trois.
Le variant V1 (repéré en Angleterre) est 40 à 60 % plus contagieux que les lignées sauvages et aussi plus virulent. En effet, deux études britanniques (publiées dans Nature et dans le British Medical Journal) ont montré que le risque de décès augmenterait de 40 à 70 % par rapport aux infections par la souche sauvage. Heureusement, ce variant ne semble pas échapper à la réponse immunitaire et on a observé un taux très faible de réinfections. Quant aux variants V2 et V3 (détectés en Afrique du Sud et au Brésil respectivement), ils sont probablement un peu plus contagieux que les souches sauvages (environ 25 % pour V2 selon nos estimations), mais nous n’avons pas d’information sur leur virulence. En revanche, ils portent une mutation (E484K) qui explique probablement en grande partie leur grande capacité à échapper à l’immunité naturelle et même parfois vaccinale.
Que penser des autres variants qui font la une des journaux chaque semaine ?
Plus on fait des séquençages, plus on détecte des mutations potentiellement inquiétantes ! Le variant détecté à Lannion, en Bretagne, par exemple, semble être associé à des infections des voies respiratoires basses et être moins détecté via les tests nasopharyngés. On parle de « variants d’intérêt » : il s’agit de lignées virales qui font penser à des variants préoccupants, car ils ont un nombre inhabituel de mutations ou ils sont associés à des clusters ou des croissances épidémiques. Mais il n’y a pas de démonstration, sur le terrain, qu’ils causent des infections différentes.
Pourquoi ces variants deviennent-ils majoritaires ?
Le V1 est devenu majoritaire car beaucoup plus contagieux, un sujet infecté contamine en moyenne 4 ou 5 personnes (au lieu de 3 pour les lignées ancestrales). Pour les variants V2 et V3, la situation est plus compliquée. Pour la comprendre, il faut rappeler que la capacité d’un virus à se transmettre dépend aussi de la population cible. Au Brésil, où une grande partie de la population a été infectée lors de la première vague, comme en atteste la mortalité de masse en 2020 dans certaines villes, les variants V2 et V3 se sont retrouvés favorisés car, à la différence de V1 par exemple, ils pouvaient causer des réinfections dans des hôtes immunisés aux autres lignées virales. Le variant majoritaire d’aujourd’hui prépare peut-être le terrain pour le variant de demain.
Quelle est la situation en France ? Certains ont évoqué le fait qu’on serait « protégé » (des autres variants) par le V1…
Ces virus ne sont pas en compétition directe pour un hôte. On peut les comparer à des coureurs de « sprint » : chaque variant est dans sa ligne pour la course et celui qui se propage le plus vite devient le plus visible. On estime que début décembre il y avait quelques centaines d’infections causées par V1 en France. Les mesures mises en place en janvier (notamment le couvre-feu à 18h) ont suffi à contrôler la propagation des lignées sauvages, mais on sait depuis février qu’elles étaient insuffisantes pour ce variant plus contagieux, qui est rapidement devenu majoritaire (il cause plus de 80 % des infections aujourd’hui). Ces dernières semaines, dans certaines régions, on commence à voir une augmentation (en proportion) du variant V2 (V3 est pour le moment rare). D’une certaine manière c’est logique car en Île-de-France, par exemple, 30 à 40 % des personnes ont été infectées par le SARS-CoV-2 et ne peuvent pas être infectées par le V1… mais V2 et V3 peuvent « franchir » l’immunité de ces personnes, ce qui leur donne un avantage.
Et dans le Grand Est, pourquoi les V2-V3 régressent-ils ?
Le plus vraisemblable est qu’en Moselle il y a eu une importation précoce des variants V2 et V3 par hasard, par exemple avec un événement de super-propagation. Disons, pour garder notre métaphore sur les « sprinteurs », qu’ils ont commencé la course avant ; mais comme le V1 est plus rapide, il les a dépassés.
Où en est-on de la surveillance en France ?
Nous n’avons pas la même puissance de séquençage que les Anglais. Le dépistage des variants se fait avec des tests dits de criblage, qui ne permettent pas de distinguer le V2 du V3. En effet, ces tests visent la mutation N50Y, commune aux 3 variants, et la E484K portée par les V2 et V3. La majorité du séquençage est faite par 4 centres mais l’échantillonnage, c’est-à-dire le choix des échantillons analysés, n’est pas très clair ce qui limite la précision des analyses. Mais cela permet de connaître la nature des principales lignées qui circulent et de voir par exemple que V3 est rare.
Que penser de la notion de convergence évolutive, impliquant que le SARS-CoV-2 aurait un nombre restreint de possibilités pour évoluer (ce qui amènerait à une stabilisation rapide du virus) ?
C’est une question délicate. On a effectivement vu des événements de convergence, avec par exemple la mutation D614G, qui est apparue et s’est fixée dans plusieurs lignées à travers le monde. La mutation N501Y et elle aussi apparue indépendamment dans les 3 lignées de variants V1, V2 et V3. Toutefois, elle n’est pas apparue tout de suite et a probablement eu besoin pour se fixer d’autres mutations (pour protéger des effets délétères engendrés par celle-ci). Une étude en prépublication suggère qu’effectivement la mutation N501 représente une sorte de « passage obligé » pour le virus, mais qu’elle semble ouvrir un nouveau champ des possibles (ce dernier peut désormais fixer des mutations qui étaient délétères pour lui avant). De plus, un certain nombre de lignées en croissance, B.1.525 en France ou B.1.617 en Inde n’ont pas la mutation N501Y… Ainsi, le fait que l’on ait vu des convergences en 2020 ne signifie pas que ce soit le cas en 2021. Là-dessus des expériences de génération de mutation peuvent nous aider à mieux anticiper ce que donnera la co-évolution entre notre système immunitaire et les variants.
Quel dernier message voulez-vous donner à nos lecteurs ?
Pour le moment, on peut être optimiste car il n’existe pas de variant qui s’échappe entièrement à la réponse vaccinale, notamment pour les vaccins à ARN. Autre bonne nouvelle : on peut, en théorie, mettre à jour la formule de ces vaccins de manière relativement rapide. Mais il est clair que plus on laisse se fixer les mutations, plus le SARS-CoV-2 évolue rapidement.
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
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