La persistance de symptômes après une infection par le SARS-CoV-2 fait l’objet d’intenses recherches depuis plus de deux ans. Menées sur des cohortes plus ou moins restreintes, elles fournissaient souvent des résultats hétérogènes sur l’épidémiologie et les causes de cette affection. Aujourd’hui, des chercheurs proposent dans le Lancet un changement de paradigme permettant de mieux la comprendre – pour mieux la traiter –, alors qu’une vaste étude du Global Burden of Disease fournit enfin des données plus fiables sur sa prévalence…
Épidémiologie du Covid long : des nouveautés !
Une nouvelle étude du Global Burden of Disease, parue dans le JAMA, est la plus vaste publiée à ce jour sur le sujet. Elle a réuni les données de 1,2 million de sujets de 22 pays (provenant de 54 études et 2 bases de données médicales) qui ont eu un Covid symptomatique entre 2020 et 2021. L’objectif était d’estimer la proportion au niveau mondial de personnes ayant eu, 3 mois après leur infection, l’un des trois types de symptômes de Covid long suivants : fatigue persistante avec myalgies ou sautes d’humeur ; problèmes cognitifs (étourderie ou difficultés pour se concentrer : « brouillard cérébral ») ; problèmes respiratoires persistants (principalement dyspnée et toux).
Après ajustement pour l’état de santé avant le Covid, les chercheurs ont estimé à 6,2 % (IC95% : 2,4-13,3) la proportion de personnes qui avaient au moins l’un de ces trois types de symptômes 3 mois après l’infection. Cette prévalence est nettement inférieure à celle évoquée ailleurs : jusqu’à 20 % des patients Covid selon l’OMS, 30 % selon Santé publique France, voire plus de 40 % selon d’autres études récentes mais de plus petite envergure et comprenant moins de pays.
Parmi ces cas de Covid long, 51 % rapportaient de la fatigue et des myalgies, 60,4 % des problèmes respiratoires persistants et 35,4 % des problèmes cognitifs. La durée moyenne de ces symptômes était estimée à 9 mois pour les personnes ayant été hospitalisées et 4 mois pour les non-hospitalisées. Ainsi, à 12 mois de l’infection, 15 % d’entre eux avaient encore des symptômes. Si cette proportion est bien en-deçà de celles décrites dans d’autres études (certaines allant jusqu’à 85 % de prévalence d’au moins un symptôme de Covid long à 1 an), ces dernières prenaient souvent en compte un plus vaste éventail de symptômes que ceux décrits par le Global Burden of Disease, et sur de bien plus petites cohortes.
Enfin, confirmant les résultats de travaux antérieurs, cette étude montre que les femmes sont plus touchées que les hommes (10,6 % vs 5,4 %), représentant 63,2 % des cas de Covid long qui y sont consignés, et que le fait d’avoir été hospitalisé à la phase aiguë du Covid est un facteur de risque de persistance de symptômes (27,5 % des sujets hospitalisés – et 43,1 % de ceux hospitalisés en soins intensifs – rapportaient au moins un des trois types de symptômes à 3 mois, contre 5,7 % des sujets qui n’ont pas été hospitalisés). Les auteurs remarquent toutefois que, étant donné que les patients hospitalisés sont minoritaires, les cas de Covid long « issus » d’une infection légère à modérée sont plus nombreux (en nombre absolu) – allant jusqu’à représenter 90 % des personnes vivant avec un Covid long aujourd’hui.
Une nouvelle approche pour comprendre la maladie
Malgré une attention croissante de la part des autorités sanitaires et des scientifiques (diverses recommandations de prise en charge, grand nombre d’études), cette entité est encore mal comprise. Cette incertitude entraîne des répercussions sur la prise en charge des patients.
Les manifestations cliniques du Covid long étant très diverses, fluctuantes et non spécifiques, aucune pathogénie claire n’a pu être établie à ce jour qui puisse les expliquer, bien qu’un grand nombre d’hypothèses physiopathologiques aient été évoquées. Parmi elles : des réservoirs viraux persistants, notamment dans le cerveau, une réactivation concomitante du virus d’Epstein-Barr, des troubles de la coagulation consécutifs à l’infection, des séquelles d’organes après la phase aiguë de la maladie grave (cicatrices pulmonaires, complications de la réanimation, etc.), un stress post-traumatique lié à la maladie ou à sa prise en charge, des dysrégulations immunitaires (présence d’auto-anticorps pathogènes générés lors de l’inflammation induite par l’infection virale, en particulier pour les formes graves).
C’est pourquoi, dans un commentaire qui vient d’être publié dans le Lancet, des médecins danois proposent qu’un nouveau paradigme, plus holistique, soit adopté pour expliquer le Covid long – et, ainsi, pour mieux le traiter.
Comme dans beaucoup d’affections chroniques – en particulier dans les syndromes de fatigue postvirale, aussi décrits pour d’autres infections (Ebola, EBV, CMV…) –, des relations simples de cause à effet entre mécanismes physiopathologiques et symptômes sont difficiles à établir, et n’expliquent pas, par ailleurs, tout l’éventail de la souffrance. Des modèles explicatifs cohérents sont essentiels pour répondre aux inquiétudes des patients et pour optimiser leur prise en charge, ainsi que pour mieux guider la recherche. Dès lors, une « troisième voie » est proposée dans ce papier : le Covid long pourrait être expliqué par un faisceau de facteurs biologiques, psychologiques (liés au vécu) et sociaux (ou environnementaux) hétérogènes, avec des relations complexes entre déclencheurs, mécanismes et symptômes (v. schéma ci-contre).
Une étude française sur plus de 26 000 volontaires, parue dans le JAMA en 2021suggérait, par exemple, qu’une infection Covid auto-déclarée (non nécessairement confirmée) était davantage associée à des symptômes persistants (troubles de sommeil, douleurs articulaires, troubles respiratoires, palpitations…) qu’une infection confirmée par sérologie – laquelle, au contraire, n’était positivement associée qu’à la persistance d’une anosmie. Les auteurs en concluaient que les symptômes attribués à un Covid long devraient faire l’objet d’une évaluation plus complète afin de ne pas méconnaître d’autres possibles causes, le SARS-CoV-2 n’étant peut-être pas l’unique coupable.
Ce type d’interactions complexes aboutissant à la naissance et la persistance de symptômes variés est déjà étudié dans le domaine des désordres fonctionnels, pour lesquels des approches thérapeutiques intégratives se révèlent les plus efficaces. Elles sont d’ailleurs déjà évoquées dans les recommandations actuelles de prise en charge du Covid long, au sein d’une démarche pluridisciplinaire. « Nous suggérons qu’il est temps de briser les tabous fondés sur une compréhension dualiste de la maladie physique et la maladie mentale, et d’intégrer les connaissances existantes sur les symptômes somatiques fonctionnels, afin de fournir de meilleures explications et de meilleurs traitements », plaident les auteurs du papier du Lancet.
Global Burden of Disease Long COVID Collaborators. Estimated Global Proportions of Individuals With Persistent Fatigue, Cognitive, and Respiratory Symptom Clusters Following Symptomatic COVID-19 in 2020 and 2021. JAMA 2022;328(16):1604-15.
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Martin Agudelo L. Covid long : et si le virus d’Epstein-Barr était en cause ? Rev Prat (en ligne) 5 juillet 2021.
Martin Agudelo L. Covid long : une nouvelle piste pour l’expliquer ? Rev Prat (en ligne) 2 décembre 2022.
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À lire aussi : Dossier – Troubles somatoformes, élaboré selon les conseils du Dr Jean-Arthur Micoulaud-Franchi. Rev Prat 2019;69(2);195-223.