Compte tenu de l’insuffisance de la protection vaccinale chez les personnes immunodéprimées, se traduisant par une surreprésentation de ces patients parmi les hospitalisés pour Covid, le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale met à jour ses recommandations sur l’articulation entre vaccination et prophylaxie dans cette population. Quelles sont les principales nouveautés ?

 

Mesure du niveau de protection vaccinale : changement de méthode

Jusqu’à présent, le critère établi par le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale (COSV) pour déterminer si un sujet immunodéprimé* répondait bien à la vaccination – et guider ainsi la poursuite des rappels vaccinaux ou l’accès aux anticorps monoclonaux – était le seuil de 264 BAU/Ml (Binding Antibody Units). En-deçà de ce taux, déterminé par une étude publiée dans Nature en septembre 2021, la protection conférée par la vaccination était jugée insuffisante.

Dans son nouvel avis, datant du 28 mars 2022, il propose de supprimer ce seuil de 264 BAU/mL comme critère de décision, et de le remplacer par une évaluation au cas par cas fondée sur deux éléments :

– facteurs de risque d’immunosuppression (âge, comorbidités, durée et intensité de l’immunosuppression, survenue d’infections Covid-19 ou non, etc.) et contextes d’exposition (parents d’enfants scolarisés, conditions de travail, etc.) propres à chaque patient ;

– seuils de positivité des sérologies choisis par les laboratoires, pour déterminer de manière binaire si le sujet répond ou non à la vaccination (disparition de la notion de « faiblement répondeurs »).

Cette évaluation détermine la conduite à tenir selon le patient (poursuite de la vaccination et/ou prophylaxie par anticorps monoclonaux, v. tableau ci-dessous).

*Liste des sujets immunodéprimés concernés par ces mesures, définie par le COSV dans ses avis :

– transplantés d’organes solides ;

– transplantés récents de moelle osseuse ;

– dialysés ;

– atteints de maladies auto-immunes sous traitement immunosuppresseur agressif de type anti-CD20 (rituximab [Mabthéra, Rixathon, Truxima]) ou antimétabolites (mycophénolate mofétil [Cellcept, Myfortic], azathioprine [Imurel]) ;

– de certains types de lymphomes traités par anti-CD20 ou inhibiteurs de BTK ;

– de leucémie lymphoïde chronique ;

– de formes rares de déficits immunitaires primitifs ;

– de myélomes sous traitement ;

– ayant reçu dans l’année un traitement lymphopéniant et qui n’ont pas de lymphocytes B circulants.


Peut-on combiner les deux stratégies de protection ?

Le COSV considérait dans son précédent avis (19 novembre) que la vaccination et la prophylaxie par anticorps monoclonaux s’excluaient mutuellement, en raison du risque d’annulation de l’efficacité vaccinale par l’injection d’anticorps monoclonaux neutralisant la protéine Spike.

Néanmoins, il estime aujourd’hui que certains patients (v. tableau) peuvent bénéficier d’une protection combinée, fondée à la fois sur la prophylaxie par anticorps et la vaccination. En effet, des données récentes suggèrent que, passé un délai d’une quinzaine de jours après l’administration d’anticorps monoclonaux, le risque de neutralisation de la protéine synthétisée grâce au vaccin serait faible.

Figure

Précision : dans le cas des patients traités pas anticorps anti-CD20, il paraît raisonnable d’attendre un délai d’au moins 6 mois après la fin du traitement pour débuter la vaccination.


Quel traitement en prophylaxie ?

Aujourd’hui, le seul traitement disponible en prophylaxie préexposition est le cocktail d’anticorps monoclonaux Evusheld (tixagévimab-cilgavimab), car il conserve une capacité neutralisante contre le variant omicron (même si son efficacité contre BA.1 est divisée par un facteur 40 environ, son activité neutralisante contre BA.2 ne serait que modérément diminuée).

Toutefois, pour améliorer son efficacité prophylactique face à ce variant, le COSV préconise (suivant l’avis de l’ANRS Maladies infectieuses émergentes) de :

– doubler la dose à 600 mg pour les patients encore non traités ;

– réadministrer le plus rapidement possible 300 mg aux patients traités depuis décembre, quelle que soit la date de la première administration.

Pour rappel, ce cocktail est indiqué chez les patients âgés de 12 ans et plus et pesant au moins 40 kg :

– ayant un déficit de l’immunité lié à une pathologie ou à des traitements et non répondeurs à la vaccination ;

– ou non éligibles à la vaccination et à haut risque de forme sévère de Covid-19.

Il s’administre en dose unique par injection intramusculaire tous les 6 à 12 mois. Une PCR négative de moins de 72 heures est nécessaire avant le début du traitement.

Attention : en raison d’un risque cardiovasculaire identifié lors des essais cliniques, les autorités sanitaires recommandent la prudence avant d’envisager ce traitement pour les patients à haut risque cardiovasculaire (dyslipidémie, diabète, obésité, hypertension, tabagisme, âge avancé...) ; les patients doivent être avertis qu’en cas de symptômes d’événements cardiovasculaires (notamment douleur thoracique, essoufflement, malaise...) ils doivent consulter immédiatement un médecin.

Par ailleurs, deux traitements en thérapeutique sont disponibles (lorsque le patient a été infecté par le SARS-CoV-2 et est à risque élevé d’évoluer vers une forme grave) : l’anticorps monoclonal Xevudy (sotrovimab) et l’antiviral Paxlovid (nirmatrelvir-ritonavir) qui peut être prescrit en ville.

Le COSV déplore enfin que l’accès à ces stratégies de prévention pour les personnes immunodéprimées soit encore très hétérogène et globalement faible en France : par exemple, seuls 17 000 patients environ ont été traités par Evusheld (sur 50 000 doses disponibles), alors que le nombre de personnes éligibles a été estimé à environ 100 000. Il plaide ainsi pour la poursuite des efforts afin d’améliorer ces accès sur l’ensemble du territoire, compte tenu du maintien de la gravité de l’infection par le variant omicron dans cette population.


Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien

Pour en savoir plus :

Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale. Adaptation des recommandations de protection des personnes profondément immunodéprimées contre la Covid-19. 28 mars 2022.