Depuis le début de la pandémie, plus de 2 000 molécules ont montré une activité in vitro contre le SARS-CoV-2, dont des centaines ont fait l’objet d’essais cliniques de phase I à III, avec des résultats décevants (et des coûts colossaux). Des chercheurs de l’Institut Pasteur ont trouvé la clé qui permettrait d’améliorer le tri des molécules et de concentrer les ressources sur celles ayant un véritable potentiel…

 

Ces chercheurs ont évalué, dans des cultures cellulaires, l’association entre un mécanisme appelé la phospholipidose (accumulation excessive de phospholipides dans les tissus) et l’effet antiviral induit par 19 médicaments, dont l’hydroxychloroquine, l’azithromycine, l’amiodarone, la sertraline…

Résultats : la phospholipidose serait à l’origine de l’effet antiviral observé in vitro pour une grande partie de ces médicaments, dont la plupart sont des amphiphiles cationiques. Cette propriété physico-chimique peut en effet provoquer une phospholipidose dans les cellules et les organes : en s’accumulant dans des compartiments intracellulaires tels que les endosomes et les lysosomes, ces molécules peuvent directement ou indirectement inhiber la transformation des lipides. Or la réplication du SARS-CoV-2 dépend elle-même des lipides cellulaires, ce qui pourrait expliquer le lien entre les deux… L’inhibition de la production de phospholipides a d’ailleurs déjà été associée à l’inhibition de la réplication d’autres coronavirus.

Les auteurs ont en effet observé que la corrélation entre ces deux phénomènes était très étroite : les molécules qui induisent une phospholipidose sont antivirales aux mêmes concentrations, qu’il s’agisse ou non de médicaments amphiphiles cationiques (par exemple, l’azithromycine). En revanche, les molécules qui leur sont apparentées par leur activité cible, mais qui n’induisent pas de phospholipidose (par exemple, la melperone), n’ont pas eu d’effet antiviral sur le SARS-CoV-2…

Toutefois, l’induction d’une phospholipidose par ces molécules ne se traduit pas par un effet antiviral in vivo, du moins aux concentrations observées dans une deuxième phase de cette étude sur modèle murin. S’agissant d’un mécanisme qui se produit rarement à des concentrations inférieures à 100 nM, il ne pourrait être exploité in vivo du fait de son potentiel toxique : le traitement devrait être administré pendant un temps trop long, nécessaire à la survenue d’une efficacité antivirale ; or à long terme la phospholipidose nuit aux cellules humaines. En conclusion, la plupart des composants testés n’avaient pas d’effet antiviral réel

Ainsi, selon les auteurs de l’étude, l’évaluation systématiquement la phospholipidose au stade in vitro permettrait d’identifier les « fausses pistes » des molécules dont l’effet antiviral serait dû à ce mécanisme, donc inexploitable cliniquement, afin ne pas engager des recherches supplémentaires sur de tels composants. Car, selon leurs estimations, depuis le début de la pandémie, les dépenses liées aux essais cliniques menés sur des molécules amphiphiles cationiques inductrices de phospholipidose – prétendument antivirales – pourraient dépasser 6 milliards de dollars : plus de 300 essais cliniques de phase I à III auraient concerné ce genre de molécules… dont 57 % portaient sur l’hydroxychloroquine et la chloroquine. Prendre en compte ce facteur de confusion permettrait donc de concentrer les ressources sur les molécules ayant un véritable potentiel…

Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien

Pour en savoir plus :

Médicaments repositionnés contre la Covid-19 : l’activité antivirale peut être induite par la phospholipidose. Institut Pasteur 22 juin 2021.

Tummino TA, Rezelj VV, Fischer B, et al. Drug-induced phospholipidosis confounds drug repurposing for SARS-CoV-2.Science 22 juin 2021.