De nombreux pays ont connu de nouvelles vagues épidémiques lorsque les mesures restrictives ont été assouplies, montrant que l’immunité de la population, obtenue soit par l’infection, soit par la vaccination, est indispensable pour limiter la circulation du SARS-CoV-2. La réponse immunitaire induite par l’infection fait donc l’objet d’intenses recherches, à la fois pour comprendre les processus impliqués dans la protection et pour développer des vaccins efficaces.
Si près de la moitié des personnes infectées par le SARS-CoV-2 sont asymptomatiques, la réponse immunitaire antivirale n’est pas bien caractérisée chez ces sujets.
Plusieurs études ont montré que les titres des anticorps chez les patients infectés par le SARS-CoV-2 sont corrélés positivement avec la sévérité de la maladie. De même, une réponse cellulaire plus robuste a été observée chez les convalescents après une forme sévère, mais non après une forme légère. Ces résultats semblent suggérer que si les individus asymptomatiques peuvent se débarrasser du virus via l’immunité innée, leur immunité adaptative spécifique serait faible.
Pour étudier les réponses des anticorps associés à des infections asymptomatiques ou symptomatiques, des équipes de l’Institut Pasteur, du CNRS et du Vaccine Research Institute (VRI, Inserm/université Paris Est Créteil) se sont appuyées sur des études épidémiologiques de terrain et sur la cohorte hospitalière FrenchCOVID coordonnée par l’Inserm. Outre la capacité de neutraliser le virus, les chercheurs se sont intéressés à d’autres fonctions des anticorps induits, dites « non neutralisantes ». Il s’agit de deux mécanismes majeurs de la réponse immunitaire : la cytotoxicité dépendante des anticorps (antibody-dependent cellular cytotoxicity [ADCC]), phénomène en deux étapes, durant lequel les cellules infectées sont d’abord reconnues par les anticorps, puis détruites par les cellules natural killer (NK) ; et l’activation du complément, qui permet l’élimination des cellules ciblées par les anticorps.
Dans ce travail publié dans la revue Cell Reports Medicine le 21 avril 2021, les auteurs ont analysé ces différentes fonctions des anticorps contre les SARS-CoV-2 chez 52 personnes infectées asymptomatiques, 119 patients ayant une forme bénigne et 21 patients hospitalisés.
Ils ont montré que l’infection induit des anticorps polyfonctionnels, c’est à dire possédant une activité neutralisante mais aussi capables d’activer d’autres mécanismes de défense tels que les cellules tueuses NK ou les molécules du complément.
Les niveaux d’anticorps sont légèrement plus faibles chez les personnes asymptomatiques en comparaison à celles symptomatiques, mais des anticorps polyfonctionnels sont retrouvés chez tous les individus. Ces résultats indiquent que l’infection induit des anticorps capables de tuer les cellules infectées quelle que soit la sévérité de la maladie. Des échantillonnages longitudinaux ont également montré que les fonctions des anticorps suivent une cinétique similaire d’induction et de contraction.
« Cette étude révèle de nouveaux modes d’action des anticorps et suggère que la protection induite par une infection asymptomatique est très proche de celle observée après une infection symptomatique », conclut Olivier Schwartz, co-auteur principal de l’étude et responsable de l’unité Virus et immunité à l’Institut Pasteur et au VRI.
Si les réponses humorales sont semblables en cas d’infection asymptomatique et symptomatique, qu’en est-il des réponses cellulaires ?
Une étude parue récemment dans le JEM s’est intéressée à cette question. Étant donné que la fréquence des lymphocytes T spécifiques du SARS-CoV-2 dans le sang peut changer après la clairance virale, une comparaison quantitative entre les individus symptomatiques et asymptomatiques devrait être effectuée au même moment après l’infection. L’absence de symptômes rend toutefois une telle évaluation difficile. Pour contourner cette difficulté, les auteurs ont utilisé un modèle intéressant : ils ont sélectionné 85 individus asymptomatiques issus d’une cohorte de travailleurs masculins vivant dans un dortoir densément peuplé où une circulation active (récente) du SARS-CoV-2 avait été détectée. Grâce à une étude sérologique longitudinale de 6 semaines, ils ont pu estimer approximativement la date de l’exposition virale (en fonction de la cinétique d’apparition et de disparition des anticorps contre les protéines virales NP et S).
En utilisant des tests Elispots (quantifiant la production d’IFNγ après exposition à des pools peptidiques couvrant différentes protéines structurales du virus), les chercheurs ont pu comparer les réponses T spécifiques contre le SARS-CoV-2 chez ces patients asymptomatiques avec celles d’une cohorte de patients hospitalisés ayant eu des formes modérées à sévères, infectés à des moments similaires.
De façon surprenante, la fréquence des lymphocytes T était équivalente, suggérant que, au cours de la phase précoce de l’infection, la quantité de lymphocytes T spécifiques contre le SARS-CoV-2 n’est pas proportionnelle à la gravité de la maladie.
Au cours du temps, une diminution de cellules T spécifiques était observée dans les 2 cohortes (contraction de la réponse). Toutefois, leur fréquence à 2 à 3 mois était plus faible après une infection asymptomatique qu’après une forme modérée ou sévère.
Une explication possible pourrait être que, chez les patients symptomatiques, l’antigène viral persiste plus longtemps, la réplication virale étant généralement plus intense.
Les chercheurs ont ensuite analysé la quantité totale de cytokines sécrétées dans le sang après stimulation avec différents peptides du SARS-CoV-2 : étonnamment, la quantité d’IL-2 et d’IFN-γ était beaucoup plus élevée chez les individus asymptomatiques. Notons que ces deux cytokines sont cruciales pour contrôler l’infection (comme cela a été montré chez la souris). Par ailleurs, leur production était accompagnée par une sécrétion proportionnelle d’IL-10 et de cytokines pro-inflammatoires (IL-6, TNF-α et IL-1β). En revanche, une sécrétion disproportionnée de cytokines inflammatoires était déclenchée après stimulation des échantillons des sujets symptomatiques.
Les auteurs concluent donc que les individus infectés par le SARS-CoV-2 asymptomatiques sont capables de monter une réponse efficace et équilibrée qui protège l’hôte sans provoquer de pathologie apparente. Ces sujets n’auraient donc pas une faible immunité antivirale, comme précédemment évoqué, mais, au contraire, ils seraient à même de développer une réponse immunitaire cellulaire spécifique contre le virus hautement fonctionnelle.
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
Dufloo J, Grzelak L, Staropoli, et al. Asymptomatic and symptomatic SARS-CoV-2 infections elicit polyfunctional antibodies. Cell Rep Med (2021):100275.
Le Bert N, Clapham H E, Tan A T. Highly functionnal virus – specific cellular immune response in asymptomatic SARS-CoV-2 infection. J Exp Med 2021;218(5):e20202617.