Si de nombreuses études ont suggéré des effets persistants du Covid sur la santé mentale – notamment le « brouillard mental » et les symptômes dépressifs souvent intégrés dans la définition du « Covid long » –, cette étude est la première à examiner sur un temps aussi long (1 an) un ample éventail d’événements neuropsychiatriques : troubles anxieux, dépressifs, de l’adaptation, du sommeil, de l’usage des opiacés et d’autres substances, déclin neurocognitif…
Les auteurs de cette étude avaient déjà publié des travaux montrant que les personnes infectées par le SARS-CoV-2 avaient un surrisque cardiaque jusqu’à 1 an après l’épisode Covid ; des cohortes similaires (issues de la base des données du département des anciens combattants des États-Unis) ont été utilisées pour évaluer le risque de troubles psychiatriques :
– un groupe de plus de 150 000 personnes d’âge moyen 61 ans (± 16 ans), 89 % d’hommes, ayant eu le Covid entre le 1er mars 2020 et le 15 janvier 2021 (dont 86 % avaient eu des formes non graves, sans hospitalisation), et n’ayant pas d’antécédent pour les événements étudiés dans les 2 années précédentes ;
– deux groupes contrôle sans histoire documentée d’infection : le premier constitué de plus de 5 millions de contrôles « contemporains » (sujets ayant utilisé le système médical des anciens combattants durant la pandémie) et le second composé d’autant de contrôles « historiques » (ayant utilisé le système en 2017).
Résultat : comparés aux sujets contrôle contemporains (soumis donc aux mêmes facteurs de stress pandémiques délétères pour la santé mentale : économiques, sociaux, sanitaires…), les sujets ayant eu le Covid avaient un risque augmenté, dans l’année suivant l’infection, d’avoir un trouble anxieux (hazard ratio : 1,35), un trouble dépressif (HR : 1,39) et des idéations suicidaires (HR : 1,46), du stress et des troubles de l’adaptation (HR : 1,38) ; d’utiliser des antidépresseurs (HR : 1,55) et des benzodiazépines (HR : 1,65), de se voir prescrire des opioïdes (HR : 1,76) et d’avoir des troubles de l’usage des opioïdes (HR : 1,34) et d’autres substances (HR :1,20) ; enfin, d’avoir un déclin neurocognitif (HR : 1,80) et des troubles du sommeil (HR : 1,41).
Si les analyses par sous-groupes (sujets ayant été hospitalisés pour Covid vs sujets non hospitalisés) montraient que le surrisque d’événement neuropsychiatrique était d’autant plus important que la sévérité du Covid avait été grande, les patients ayant eu des épisodes non graves étaient loin d’être épargnés. Ainsi, toujours comparées aux contrôles contemporains, les personnes infectées par le SARS-CoV-2 mais non hospitalisées avaient un surrisque dans l’année suivante d’avoir : des troubles anxieux (HR : 1,69 ; vs. HR : 2 ,34 chez celles ayant été hospitalisées) et un usage de benzodiazépines (2,62 ; vs. 4,41), des troubles dépressifs (1,77 ; vs. 2,43), des troubles du sommeil (1,68 ; vs. 2,50), une prescription d’opioïdes (2,39 ; vs. 4,07), des troubles de l’usage de substances psychotropes (1,87 ; vs. 2,21)…
Par ailleurs, deux groupes contrôles supplémentaires ont été constitués pour comparer ces risques entre les sujets Covid et, d’une part, des personnes ayant eu une grippe saisonnière entre octobre 2017 et février 2020 (n = 72 207), et d’autre part des personnes hospitalisées pour toute raison autre que le Covid entre octobre 2017 et février 2020 (n = 786 676). Conclusions : les surrisques de séquelles neuropsychiatriques chez les patients Covid étaient également observés lorsqu’on comparait les sujets infectés mais non hospitalisés pour Covid à ceux non hospitalisés pour la grippe saisonnière, et les sujets hospitalisés pour Covid à ceux hospitalisés pour d’autres raisons.
À noter que cette étude a inclus des personnes infectées lors de la première année pandémique : le risque neuropsychiatrique lié à l’infection par les variants successifs (et notamment par omicron) est-il le même ? Par ailleurs, la période considérée précède la mise à disposition des vaccins : l’analyse ne tient donc pas compte des séquelles d’une infection Covid post-vaccinale (peut-être moins importantes ?) ; toutefois, un second article abordant cette question est en cours de révision par les pairs. Elle concernait, enfin, majoritairement des hommes, âgés en moyenne de 60 ans, ce qui rend les résultats peu généralisables.
Quant aux mécanismes en cause, plusieurs pistes sont évoquées : neuro-inflammation, dérégulations causées par la réponse immunitaire sur le système nerveux central, infiltration des cellules T périphériques du parenchyme cérébral, dérégulation de la microglie et des astrocytes… Des changements dans les modes de vie pourraient aussi être en cause (notamment une diminution de l’activité physique), avec des facteurs non biologiques (problèmes financiers, changements professionnels, isolement social, deuil, traumatisme…).
Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien
Pour en savoir plus :
Al-Aly Z. Risks of mental health outcomes in people with covid-19: chort study.BMJ 2022;376:e068993.
Wadman M. COVID-19 patients face higher risk of brain fog and depression, even 1 year after infection.Science Insider 16 février 2022.