Interview de Karine Lacombe, infectiologue, et Marc Garnier, anesthésiste-réanimateur à l’hôpital Saint-Antoine (Paris).
La mortalité hospitalière liée à la Covid-19 aurait diminué durant les premiers 4 mois de l’épidémie, selon une étude (preprint) analysant les 91 304 hospitalisations qui ont eu lieu en France entre le 13 mars et le 30 juin. Bien que le profil des patients hospitalisés ait changé au cours de cette période, avec notamment une augmentation des patients plus jeunes et donc moins fragiles (ce qui reflète probablement une transmission accrue du virus chez les jeunes après le déconfinement), les auteurs montrent que cette diminution concerne toutes les classes d’âge. Globalement, la probabilité d’être hospitalisé en réanimation aurait diminué de 50 % et celle de décès de 52 %. S’il faut rester prudents sur ces données car nous n’avons pas assez de recul sur la mortalité depuis la reprise de l’épidémie, et que rien ne laisse suggérer une moindre dangerosité du virus, cette tendance à la baisse est sans doute due à une meilleure connaissance de la maladie et des traitements…
La prise en charge des patients à l’hôpital s’est-elle améliorée ?
KL : Oui, la première grande évolution a été la démonstration de l’efficacité de la dexaméthasone : elle baisse de 20 % la mortalité chez les patients sous oxygénothérapie non invasive et de 35 % chez ceux qui reçoivent de l’oxygène à haut débit ou qui sont intubés.
MG : En effet, plus l’état du malade est grave, plus ce traitement fonctionne ; aujourd’hui, l’administration de corticoïdes est quasi systématique alors qu’au début de l’épidémie, on ne savait pas si elle était efficace. Ainsi traités, les patients évoluent moins vers la réanimation et donc le décès.
KL : Le 2e traitement est le remdesivir : cet antiviral permet de réduire la durée des signes cliniques de 4 jours (11 vs 15 jours) chez les personnes bénéficiant d’une oxygénothérapie (à faible débit), en revanche il n’a pas d’impact sur la mortalité. Il faut l’administrer assez précocement, avant J10. La 3e molécule est le tocilizumab (anticorps bloquant le récepteur de l’IL-6), qui diminue de 44 % la progression vers l’intubation ou le décès. Les interventions de supports – oxygénothérapie et anticoagulation – sont aussi très importantes.
Quelle est la prise en charge standard actuelle d’un patient hospitalisé pour Covid ?
KL : Un patient hospitalisé et qui requiert donc une oxygénothérapie est mis sous dexaméthasone 6 mg/j pendant 10 jours ; on peut associer un traitement complémentaire, l’anticoagulation préventive ou curative en fonction du risque (recos du GFHT). Ensuite, des traitements plus spécifiques sont discutés, par exemple le tocilizumab chez les patients qui ont un important degré d’inflammation ; si ces traitements ne suffisent pas, les patients sont alors inclus dans les essais thérapeutiques pour qu’ils puissent bénéficier d’une autre molécule.
Y a-t-il eu des changements dans les techniques d’oxygénothérapie ?
KL : Les patients reçoivent de l’oxygène en service de médecine, mais si leurs besoins dépassent les 10 L/min, il faut les transférer en réanimation car ils peuvent s’aggraver très rapidement. La technique de décubitus ventral, longtemps réservée à la réanimation, permet également d’améliorer la ventilation, y compris chez les patients qui ne peuvent pas passer en unité de soins critiques (ayant de comorbidités trop importantes contre-indiquant la réanimation).
MG : Au tout début de l’épidémie, il était recommandé – notamment pour protéger le personnel – d’intuber le patient dès qu’il avait une forme grave et des besoins très importants d’oxygène. En effet, on craignait que les autres supports ventilatoires non invasifs utilisés en réa – oxygène à haut débit (> 40 L/min) ou ventilation non invasive (au moyen d’un masque) – augmentent l’aérosolisation du virus. Toutefois, l’intubation (et le coma artificiel induit) sont associés à une augmentation de la durée de séjour, des risques de complication et de la mortalité, quelle qu’en soit la cause. Avec l’expérience de la première vague de Covid et les quelques données de la littérature, aujourd’hui, on propose systématiquement des techniques non invasives en première intention (sauf chez des malades très graves) : dans 30 à 50 % des cas, les patients s’améliorent en quelques jours et peuvent retourner en service de médecine, avec une évolution moins lourde. Le bénéfice est aussi collectif car cela permet de garantir plus de places en réanimation. Malheureusement, dans environ 50 % des cas cela n’est pas suffisant et une intubation est nécessaire…
L’organisation de l’hôpital a-t-elle aussi un rôle dans la baisse de la mortalité ?
MG : Lors de la première vague, pendant 2 mois, le système hospitalier a pu mobiliser toutes ses ressources pour s’occuper quasi exclusivement des patients Covid, avec une rapidité exceptionnelle. Aujourd’hui, devant la remontée de l’épidémie, les plans envisagés ne sont pas les mêmes. Une raison très importante est qu’aujourd’hui, nous avons aussi les autres malades (AVC, infarctus, mais aussi les chirurgies programmées, les cancers, etc.) à gérer ; on ne pourra pas redéployer autant de ressources et de lits de réanimation. C’est pour cela qu’il faut minimiser à tout prix l’ampleur de cette 2e vague !
Quel message voulez-vous donner aux médecins généralistes ?
KL : En cas d’infection Covid-19 chez des patients ayant un facteur de risque (obésité, cardiopathie, insuffisance respiratoire, diabète ou surpoids, immunodépression), il faut mettre en place une surveillance de la saturation en oxygène à domicile (à mesurer 2 fois par jour). Dès le premier signe d’hypoxie (saturation < 96 %, il faut envisager une hospitalisation. En effet, les patients arrivent souvent trop tard aux urgences, après 4-5 jours d’évolution à domicile.
MG : Surveiller, c’est important, d’autant plus qu’on a vu des malades infectés par le SARS-CoV-2 qui avaient des saturations très basses et qui ne se plaignaient pas d’être essoufflés. On ne peut pas toujours se fier au ressenti du patient avec ce virus ! Mais les généralistes ont-ils le temps d’organiser ce suivi ? Ce n’est pas évident, même si aujourd’hui, des saturomètres portables sont accessibles. On peut également s’appuyer sur des structures d’aide à domicile, parfois organisées par les caisses primaires d’assurance maladie.
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
Photo : Karine Lacombe, DR.