La crampe musculaire, phénomène a priori banal, peut devenir invalidante ou plus rarement révéler une pathologie grave, et pose souvent des difficultés au niveau thérapeutique. Une fiche avec la conduite à tenir et la prise en charge en MG.
Facile à reconnaître, la crampe musculaire est une contraction involontaire douloureuse d’un segment ou de la totalité d’un muscle ou de plusieurs muscles, débutant habituellement brutalement et ne dépassant pas quelques minutes. Les localisations les plus fréquentes sont le mollet, la cuisse ou le pied.
Les crampes touchent 15 à 53 % de la population générale adulte, mais certains patients sont particulièrement exposés : les femmes enceintes (45 %, surtout durant les deux derniers mois), les patients atteints de cirrhose (33 à 88 %), d’insuffisance rénale, les sportifs et les personnes âgées (50 à 56 % après 65 ans, avec une prédominance nocturne).
Démarche diagnostique
L’interrogatoire recherche : le terrain et le traitements ; la sévérité ; le site : habituel (mollet, pied) ou non ? ; les circonstances (repos, activité physique, gravidité) et les horaires de survenue, les signes d’accompagnement.
L’examen clinique, d’abord neurologique, cherche un déficit moteur et/ou sensitif, une amyotrophie ou une hypertrophie, une aréflexie et des signes d’hyperexcitabilité nerveuse périphérique (fasciculation, myokymie, neuromyotonie), puis une anomalie orthopédique (statique du pied, mobilité de l’articulation tibio-tarsienne), vasculaire (insuffisance veineuse ou artérielle) ou de l’examen général (déshydratation, œdème ou dysfonctionnement hormonal). Au terme de ce recueil, il est facile d’éliminer les myalgies sans contractures, les contractures secondaires à la douleur et les « crampes professionnelles », comme celle dite de l’écrivain dont le mécanisme est une dystonie.
Quel bilan ?
Les crampes musculaires, en l’absence de tout autre symptôme ou signe, ne justifient généralement aucun examen supplémentaire.
En cas de caractère invalidant, localisation inhabituelle, et/ou d’anomalies à l’examen (voir figure), on prescrit un électroneuromyogramme (ENMG) et un bilan biologique sanguin de « débrouillage » : ionogramme, créatinine, transaminases, bilirubine, gamma-glutamyltransférase, thyréostimuline, cortisol et créatine phosphokinases (notamment pour éliminer une myopathie métabolique).
Selon le contexte (au cas par cas), un complément d’investigation peut être réalisé. Chez le sujet âgé, des radiographies de la cheville et du pied (déformation et troubles de la statique) et un doppler veineux, voire artériel, peuvent être proposés. En cas d’anomalie de l’examen neurologique ou de l’ENMG, des explorations plus spécialisées peuvent se révéler nécessaires : IRM du rachis, ponction lombaire, recherche d’un cancer, dosage des anticorps anti-canaux potassium voltages-dépendants [VGKC] (présents chez 5 à 38 % des patients ayant un syndrome d’hyperexcitabilité nerveuse périphérique : syndromes crampes-fasciculation, d’Isaac ou de Morvan).
Quelles causes ?
Si ENMG normal (hormis l’enregistrement des crampes) :
- crampes idiopathiques (ou essentielles) : nocturne, liée à la grossesse, sportif ou familiale ;
- ou liées à une anomalie biologique :
- hypovolémie (déshydratation, œdème, diarrhée, vomissement),
- hyponatrémie,
- endocrinopathies (hypothyroïdie, insuffisance surrénale),
- cirrhose,
- urémie,
- hémodialyse ;
- ou d’origine médicamenteuse : diurétiques, agonistes β2-adrénergiques, labétolol, nifédipine, cimétidine, danazol, ciclosporine, clofibrate, anticholinestérasiques, statines, IPP…
Une anomalie de l’ENMG peut faire suspecter :
- une maladie du motoneurone : radiculopathie, neuronopathie motrice, neuropathies tronculaires uniques ou multiples, polyneuropathie ;
- un syndrome d’hyper excitabilité nerveuse périphérique, souvent associé à une maladie auto-immune (diabète, myasthénie, thyroïdite) ou de nature paranéoplasique (thymome avec ou sans myasthénie, cancer pulmonaire, adénocarcinome, lymphome).
Quels traitements ?
Traiter la cause, le cas échéant, est essentiel : affection du motoneurone, désordre métabolique ou arrêt de la prise d’un médicament toxique.
Le traitement de premiers secours consiste en l’extension passive ou le massage du muscle contracté.
La prévention consiste à éliminer les facteurs prédisposants et à réduire la consommation d’alcool et de caféine. Des exercices d’étirements musculaires des mollets et des cuisses quotidiens semblent diminuer la fréquence des crampes essentielles. Chez le sportif : échauffement avant un effort physique, entraînement quantitativement et qualitativement correct, bonne alimentation et effort adapté aux possibilités physiques.
Concernant les traitements pharmacologiques, il n’y actuellement pas de recommandation en France. Aucun médicament n’a fait preuve de son efficacité avec une balance bénéfices/risques favorable dans les crampes essentielles.
Sont parfois prescrits :
- des inhibiteurs des canaux calciques, en particulier le diltiazem 30-60 mg le soir ;
- des préparations de vitamine B et E ;
- la gabapentine, chez les patients ayant une maladie du neurone moteur hors sclérose latérale amyotrophique ;
- le diazépam ou le clonazépam dans les cas graves, mais le patient doit être surveillé afin d’évaluer l’efficacité du traitement et l’apparition d’effets indésirables.
Le magnésium, prescrit souvent chez les personnes âgées, n’a pas démontré son efficacité contre placebo. Attention à ses effets indésirables potentiellement graves chez les insuffisants rénaux et les femmes enceintes (risque d’hypocalcémie néonatale et d’anomalie osseuse*).
La quinine a longtemps été le traitement de référence des crampes essentielles : il s’agit d’un stabilisateur membranaire qui diminue l’excitabilité au niveau de la plaque motrice, réduisant ainsi la contractilité du muscle et allongeant sa période réfractaire. Mais sa balance bénéfices/risques n’est pas favorable en raison des effets indésirables graves liés à son utilisation : thrombopénie, hémolyse, hépatite, allergies, troubles du rythme cardiaque (allongements de l’intervalle QT) ; de plus, elle expose à de nombreuses interactions médicamenteuses.
Drouet A. Comment optimiser la prise en charge des crampes musculaires ? Rev Prat 2013;63(5):619-23.
Drouet A. Crampes musculaires. Rev Prat Med Gen 2015;29(940):317-8.
ebmfrance.net. Crampes dans les jambes. 5 janvier 2023.
Garrison SR, Korownyk CS, Kolber MR, et al. Le magnésium pour les crampes des muscles squelettiques. Cochrane Database Syst Rev 2020;9.
Référence :
* Crampes essentielles. Prescrire 2022;42(466);608-10.