Nul n’est besoin de rappeler l’efficacité des produits de protection solaire pour éviter les coups de soleil. Mais tous les solaires présents sur le marché ne se valent pas. Comment choisir parmi les dizaines de marques disponibles (galénique, filtres organiques ou minéraux, bio ou non, « naturels »…) ? Faut-il éviter certains ingrédients ? Quid des produits étiquetés enfants ou bébés ? Le point avec Céline Couteau et Laurence Coiffard*, docteurs en pharmacie, Université de Nantes.
De quoi est composé un produit solaire ?
Un produit solaire est un cosmétique qui renferme différentes catégories d’ingrédients : des excipients (qui permettent d’obtenir la forme galénique souhaitée, c’est-à-dire soit une émulsion, soit une huile – ces deux galéniques étant les plus fréquentes – soit un stick, etc.), des actifs (les filtres UV, dont la présence est indispensable) et des additifs (qui assurent la stabilité de la formule et permettent sa conservation dans le temps). Les autorités de santé considèrent à l’heure actuelle que tout produit solaire présent sur le marché doit contenir des filtres UV réglementés. En 2022, il en existe 30, listés en Annexe VI du Règlement (CE) N° 1223/2009, avec une dose limite à ne pas dépasser (qui diffère pour chaque filtre). Parmi ceux-ci, on compte 28 filtres organiques (appelés improprement « chimiques » par une fraction de l’industrie qui souhaite jeter le discrédit sur cette catégorie de filtres) et 2 filtres inorganiques ou minéraux, l’oxyde de zinc et le dioxyde de titane.
Tous les produits solaires présents sur le marché se valent-ils ?
Absolument pas ! Malgré cette réglementation sur les filtres, et étant donné le nombre élevé de produits disponibles, la grande majorité ne font l’objet d’aucun contrôle par les autorités de santé. Ce n’est donc pas parce qu’un produit est vendu dans le commerce qu’il est de qualité. Il existe actuellement une grande différence entre les sociétés bio (qui se font d’ailleurs la guerre entre elles, certaines utilisant de l’oxyde de zinc et d’autres du dioxyde de titane, les unes et les autres se présentant comme plus éthiques et plus responsables) et les sociétés conventionnelles qui utilisent des filtres organiques. C’est dommage, car les filtres organiques et inorganiques devraient être utilisés conjointement : par expérience (nous avons testé au laboratoire des centaines de formules) les solaires formulés uniquement à base de minéraux sont beaucoup moins efficaces que ceux formulés avec des filtres organiques.
Les filtres UV sont très décriés, mais que faut-il en penser ?
Certaines familles chimiques comme les benzophénones ou les cinnamates ne sont effectivement pas dénués d’effets allergisants. On parle aussi d’effet de perturbateur endocrinien, pour les benzophénones et l’octocrylène par exemple, mais les données sont à relativiser car les résultats in vitro ne sont pas associés à des effets biologiques démontrés chez l’humain. On leur attribue également des effets écotoxiques, mais il faut savoir que la part des produits solaires dans le blanchiment du corail est négligeable en comparaison d’autres causes comme la pollution industrielle ou le réchauffement de l’eau. Il faut encore une fois se méfier des messages marketing : les molécules les plus anciennes (et donc les plus étudiées) sont les plus décriées alors les filtres les plus récents (bis-éthylhexyloxyphénol méthoxyphényl triazine, diéthylhexyl butamido triazone, méthoxypropylamino cyclohexénylidène éthoxyéthyl cyanoacétate), dont certains brevetés par de grands groupes (donc beaucoup moins librement étudiés), sont présentés comme totalement inoffensifs.
En pratique, par prudence, on évite les produits contenant de l’octocrylène chez l’enfant. Pour les produits renfermant des filtres minéraux, oxyde de zinc et dioxyde de titane sous forme de nanoparticules (ce qui est indispensable pour qu’ils soient efficaces !), les formes en spray doivent être proscrites (du fait d’un risque au niveau pulmonaire).
Avec ces précautions et en les utilisant aux doses recommandées, les filtres UV sont des ingrédients actifs indispensables, dont la balance bénéfices/risques est tout à fait favorable.
Peut-on donc en appliquer tous les jours ?
De nombreux produits cosmétiques du quotidien – crèmes hydratantes, fonds de teint... – contiennent des filtres afin de préserver la peau des UV tous les jours de l’année. Il faut vraiment lutter contre ce concept marketing ! Si les filtres UV sont des actifs intéressants lors des expositions solaires, on ne sait pas ce que peut engendrer leur emploi en continu durant toute une vie. Il y a une notion de bénéfices/risques à prendre en compte. De plus, un fond de teint (application en petite dose unique le matin, tous les jours) et un produit solaire (application généreuse, toutes les 2 heures, en cas d’explosion solaire) ne s’utilisent pas de la même façon, ce qui entraîne des mésusages et un brouillage du message de santé publique.
Un produit solaire 100 % naturel, est-ce possible ?
Non ! En 2017, l’ANSM a publié, à destination de l’industrie cosmétique, un avis explicitant qu’un produit ne renfermant que de l’huile de karanja sans ajout de filtres UV ne peut pas être reconnu comme un produit solaire. Malgré cela, on trouve sur le marché quelques références se targuant d’être des solaires 100 % naturels, ce qui n’est pas possible. Il faut donc les exclure totalement.
Faut-il privilégier une forme galénique en particulier ?
L’efficacité étant proportionnelle à l’épaisseur de film laissé sur la peau, il faut privilégier les crèmes qui adhèrent bien à la peau et éviter les formes en spray beaucoup trop fluides. On ne recommande pas non plus les huiles solaires aux personnes à phototype clair car ces produits s’appliquent difficilement en couche épaisse.
Faut-il éviter certains ingrédients ?
L’alcool (nom INCI : Alcohol), qui est un exhausteur de pénétration – c’est-à-dire qu’il favorise le passage transdermique des composants – n’a absolument rien à faire dans ces formules qui doivent rester à la surface de la peau. On recommande donc d’utiliser des produits sans alcool, d’autant plus chez l’enfant. Il faut également éviter ceux renfermant des extraits végétaux (réglisse, panicaut, Colocassia antiquorum, mangue, frangipanier, tanaisie, reine des prés, lilas, calendula, consoude….) puisque ces derniers ont souvent des propriétés anti-inflammatoires, d’où un masquage des coups de soleil et un sentiment de fausse sécurité.
Il existe sur le marché de nombreux produits bébés, qu’en penser ?
Actuellement, certaines gammes solaires se présentent comme des produits bébés, et pour certains même utilisables dès la naissance. Ceci est absurde puisqu’il est acté par les autorités de santé que l’on ne doit pas exposer au soleil un enfant de moins de 3 ans. Les nourrissons doivent être préservés des rayons UV. Lorsque l’enfant marche et peut, en promenade ou lors du jeu, passer de l’ombre à la lumière, il est possible de lui appliquer un bon produit solaire. Attention : les solaires étiquetés « enfant » ne sont pas un gage de qualité, car ils n’ont pas fait l’objet de tests particuliers… il y a même des produits « bébé » contenant des nanoparticules en forme spray, qui sont à proscrire comme nous l’avons déjà évoqué.
Que faudrait-il faire pour que les produits solaires soient mieux règlementés ?
Dans la mesure où, en filtrant les radiations UVA et UVB, ils permettent de diminuer le risque de cancers photoinduits, ces produits sont beaucoup plus que de simples cosmétiques : ils ont une place dans la stratégie globale de prévention des cancers cutanés. Ils devraient donc, logiquement, émarger dans la catégorie des dispositifs médicaux, voire dans celle des médicaments. En France aujourd’hui, seulement 5 produits ont le statut de dispositif médical. Aux États-Unis, les produits de protection solaire sont considérés comme des médicaments OTC (« over the counter » : sans prescription). Cette mesure permettrait d’« épurer le marché » des dizaines de produits qui ne sont pas conformes.
*La Pr Laurence Coiffard est membre du Conseil scientifique permanent « Médicaments de dermatologie » de l'ANSM et membre correspondant national de l'Académie nationale de pharmacie.
Céline Couteau et Laurence Coiffard, docteurs en pharmacie, publient régulièrement sur leur site « Regard-sur-les-cosmetiques » les résultats des tests de laboratoire de plusieurs produits solaires : https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/
Dans cet article
- De quoi est composé un produit solaire ?
- Tous les produits solaires présents sur le marché se valent-ils ?
- Les filtres UV sont très décriés, mais que faut-il en penser ?
- Peut-on donc en appliquer tous les jours ?
- Un produit solaire 100 % naturel, est-ce possible ?
- Faut-il privilégier une forme galénique en particulier ?
- Faut-il éviter certains ingrédients ?
- Il existe sur le marché de nombreux produits bébés, qu’en penser ?
- Que faudrait-il faire pour que les produits solaires soient mieux règlementés ?