Fréquentes, méconnues, mal comprises…
Les crises non épileptiques psychogènes (CNEP) sont des changements brutaux et paroxystiques du comportement moteur, des sensations ou de la conscience évoquant des crises épileptiques mais non liées à une décharge neuronale excessive.
Elles sont classées comme troubles dissociatifs dans la CIM-10. On les nomme parfois dissociatives ou fonctionnelles. Elles touchent les femmes dans 75 % des cas, souvent au début de l’âge adulte. Plus de 80 % des patients ont été étiquetés et traités comme épileptiques pendant plusieurs années. La qualité de vie est fortement altérée (plus que par l’épilepsie).1-3
C’est la 3e cause de perte de connaissance après les malaises vagaux et l’épilepsie. Environ 20 % des patients consultant leur médecin pour une sémiologie de crise paroxystique reçoivent le diagnostic de CNEP. Leur incidence est de 5/100 000/an, proche de celle de la SEP ou de la maladie de Parkinson.
Elles sont en lien avec des perturbations neuro-fonctionnelles. Il existe des altérations (de base et en termes de connectivité) sur de multiples circuits cérébraux impliquant l’expression et la régulation émotionnelle, la conscience, la perception de soi et l’exécution motrice. Le rôle des émotions et de la dissociation est central. Les trois quarts des patients ont un antécédent traumatique (abus sexuels, violence physique, émotionnelle, décès brutal…) mais cela n’est pas obligatoire. Différents profils sont décrits dont un sans vécu de traumatisme touchant plus les hommes. On distingue 3 types de facteurs : ceux qui prédisposent, ceux qui précipitent, et ceux qui perpétuent (les 3 P : figure).1, 3
Elle ressemble par définition à celle des crises d’épilepsie. Il existe des sous-types cliniques de CNEP avec des associations caractéristiques de signes critiques, elles peuvent être hyperkinétiques (mouvements amples) ou au contraire paucikinétiques (tremblement discret) ou encore syncopales (perte de tonus brutal). La plupart des patients ont une altération de la conscience. Certains signes sont plus évocateurs : durée longue (plus de 5 min), évolution fluctuante des signes durant la crise, caractère asynchrone des mouvements, flexion-extension du bassin, opistho- tonos, dénégation de la tête, fermeture des yeux, pleurs, phrases prononcées. Mais aucun d’eux individuellement n’est pathognomonique ni sensible. Le diagnostic différentiel avec certaines crises frontales n’est pas toujours aisé.
Plus de 70 % des patients ont des comorbidités psychiatriques, en particulier anxieuses et dépressives. Les troubles de la personnalité sont rares. D’autres pathologies fonctionnelles sont souvent associées. L’épilepsie affecte 10 à 30 % des patients, 30 % ont des antécédents de traumatismes crâniens.
Complexe avec divers degrés de certitude selon les explorations disponibles, il est fait avec 7 ans de retard en moyenne.
L’idéal est de disposer d’un enregistrement d’une crise habituelle en vidéo-EEG, qui démontre l’absence d’activité épileptiforme. Malheureusement, cela n’est pas toujours possible : examen non disponible, pas de crise concomitante. Un avis pluridisciplinaire est requis, notamment celui d’un neurologue spécialisé en épilepsie et d’un psychiatre familier des CNEP. La normalité d’un EEG simple ne permet pas d’éliminer l’épilepsie ni d’affirmer la CNEP.2 Demander aux patients de solliciter leur entourage pour les filmer au moment des crises est utile.
Il débute très clairement dès l’annonce diagnostique. C’est une étape capitale, déterminante pour le pronostic. Elle permet l’arrêt des crises chez 40 % des patients. Ces derniers ne retenant que 20 % de ce qui leur est dit, le rôle du généraliste est de reprendre les messages principaux et de rassurer : « Ce n’est pas de la simulation, on vous croit », « C’est une vraie maladie, fréquente », « Il se passe bien quelque chose dans votre cerveau », « Il n’y a pas de lésion mais des problèmes de réglages des diffé-rentes zones cérébrales », « Les crises peuvent s’arrêter », « Vous pouvez apprendre à gagner du contrôle sur elles », « Les antiépileptiques ne sont pas efficaces ». Une vidéo d’annonce est téléchargeable gratuitement sur http://bit.ly/2C6Qo1N. On peut conseiller au patient des supports de psychoéducation : un site www.lareponsedupsy.info/cnep, des plaquettes d’informations imprimables, un livre avec beaucoup d’outils et d’exercices pratiques.4 Plus il comprend et accepte ses crises, meilleure est l’évolution.4, 5
Les antiépileptiques n’ont aucune efficacité (même si un effet placebo peut parfois faire croire l’inverse). Mais ils ne doivent pas être arrêtés brutalement (risque d’une crise d’épilepsie de sevrage).
La place des psychotropes est discutée, les anxiolytiques peu-vent avoir un intérêt ponctuel. Les antidépresseurs type IRS ou IRSNA sont très intéressants en cas de comorbidités anxieuses ou dépressives et pourraient favoriser une régulation émotionnelle.
Craignant de faire une crise en public, les patients restreignent parfois leurs activités, sorties, rencontres. C’est un facteur de pérennisation très important altérant leur qualité de vie. Le généraliste doit les aider à se résigner. Le but est de prendre le contrôle sur les crises mais surtout sur sa vie.
On demande au patient de tenir un agenda détaillé de celles-ci pour tenter d’identifier les facteurs déclenchants en notant les circonstances de survenue, les émotions, les pensées, les conséquences sur l’activité, l’entourage. On encourage le patient et ses proches à identifier les symptômes précédant la crise, l’aura pré-crise.
Les experts s’accordent tous sur l’intérêt d’un suivi par un psychologue ou un psychiatre. Seule les thérapies cognitivo- comportementales (TCC) ont clairement démontré leur efficacité mais d’autres sont possibles. Une méthode TCC en 12 sessions pour prendre le contrôle des crises (non) épileptiques est disponible depuis peu en France.6
L’EMDR (Eye-Movement Desensitization and Reprocessing) et l’hypnose en particulier sont très intéressants en cas de vécu traumatique. Le patient qui craint souvent de passer pour un fou va difficilement chez un psy. Le généraliste doit favoriser et encourager ce suivi. Dans l’idéal, le psy devrait être familier des CNEP ou des troubles fonctionnels. Le but est d’identifier les 3P et de donner des outils pour contrôler, modifier, atténuer les facteurs qui peuvent l’être. Le spécialiste guide le patient vers une meilleure identification des émotions et lui transmet des techniques de gestion émotionnelle et de la dissociation.3
Encadre

Idées fausses sur les CNEP

« Ce sont des fausses crises, des pseudo-crises. » Les CNEP sont réelles, non simulées.

« Les crises ne ressemblent à rien de connu ; c’est pas reproductible. » Il existe des types précis, elles sont reproductibles chez le même individu et entre les individus dans le monde.

« S’il y a perte d’urine, des blessures ou une morsure de langue, cela confirme l’épilepsie. » Il n’y a aucune différence de fréquence de perte d’urine entre CNEP et épilepsie. Des morsures de langue (du bout et non sur le côté) sont possibles.

« Une prescription d’antiépileptiques par un neurologue confirme le diagnostic d’épilepsie. » Sans enregistrement d’une crise en vidéo-EEG, les erreurs diagnostiques sont fréquentes et un patient peut avoir les 2 types de crises.

« C’est de l’hystérie. » La personnalité histrionique est rarissime.

« Il n’y a rien à faire, on n’en guérit pas. » Plus de 60 % des sujets ne font plus de crises à 20 mois.

Encadre

Qu’est-ce que la dissociation ?

Phénomène physiologique et répandu (rien à voir avec la discordance schizophrénique), c’est une perte d’unité transitoire entre la conscience, les fonctions sensorimotrices, les pensées, la mémoire, les émotions. Elle survient lors d’activités répétitives (par exemple : au volant de sa voiture sur un trajet connu où l’on conduit de façon automatique, en pensant à autre chose).

C’est aussi un mécanisme de défense utile lors d’un traumatisme, déconnectant le corps des émotions et des pensées. Mais elle devient parfois plus fréquente, intense et pathologique.

Dans les CHEP, à l’origine, on suppose qu’il y a souvent un événement traumatisant avec un mécanisme dissociatif fort. Puis la dissociation se répète au moindre stress. Ensuite, à la faveur d’un facteur déclenchant, cela s’accentue, s’aggrave jusqu’à devenir une crise psychogène. Enfin, la dissociation peut devenir presque automatique, comme réflexe...

références
1. Brown RJ, Reuber M. Psychological and psychiatric aspects of psychogenic non-epileptic seizures: A systematic review. Clin Psychol Rev 2016;45:157-82.

2. LaFrance WC Jr, Baker GA, Duncan R, Goldstein LH, Reuber M. Minimum requirements for the diagnosis of psychogenic nonepileptic seizures: a staged approach: a report from the International League Against Epilepsy Nonepileptic Seizures Task Force. Epilepsia 2013;54:2005-18.

3. De Toffol B, Biberon J, Hingray C, El Hage W. Crises non épileptiques psychogènes (CNEP). EMC (Elsevier SAS, Paris), Neurologie, 2015 [Article 17-045-A-55].

4. Hingray C. Savoir pour guérir : les crises non épileptiques psychogènes. La réponsedupsy; 2017: 280 p.

5. Hingray C, Maillard L, Schwan R, et al. Crises psychogènes non épileptiques. Comment poser, annoncer et communiquer le diagnostic ? Neurologies 2014;17:335-54.

6. Traiter les crises (non)épileptiques. Guide du thérapeute/Prendre de le contrôle de vos crises (non)épileptiques. Guide du patient. PUFR, 2018.
L’auteur déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles pour Lundbeck, Otsuka, Janssen, Eisai, UCB.
essentiel

Leur proximité (et intrication) avec l’épilepsie rend le diagnostic difficile.

Grande fréquence d’une comorbidité psychiatrique.

Importance capitale de l’annonce (nommer et rassurer) et d’un suivi psychologique.