Les crises non épileptiques psychogènes sont des événements paroxystiques souvent confondus avec des crises d’épilepsie. Leurs causes n’étant pas les mêmes, elles nécessitent une prise en charge spécifique. Quand évoquer ce diagnostic ? Que proposer aux patients ?

De quoi s’agit-il ?

À la différence de l’épilepsie, ces crises ne sont pas accompagnées de modifications électrophysiologiques ou électroencéphalographiques. Les cliniciens s’accordent à dire que ces épisodes sont involontaires et sous-tendus par un processus psychologique inconscient.

Les trois quarts des patients ont eu un traumatisme psychologique (abus sexuel, agression, décès brutal…). L’étiopathogénie reste aujourd’hui mal connue et implique des mécanismes multiples et complexes : dissociation (altération transitoire de fonctions normalement intégrées, comme la conscience de soi, la mémoire ou les fonctions sensorimotrices), perturbations de la gestion et de la régulation émotionnelle…

Les crises non épileptiques psychogènes sont classées en tant que troubles dissociatifs dans la 10e version de la Classification internationale des maladies (CIM-10), et comme troubles à symptomatologie neurologique fonctionnelle avec « attaque aux crises épileptiformes » dans la 5e version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5). Il ne s’agit pas de troubles factices ou de troubles de simulation.

Un diagnostic trop tardif

Leur incidence est estimée entre 1,4 et 4,9 cas pour 100 000 personnes par an (soit une incidence proche de celle de la sclérose en plaques !). Ces crises affectent toutes les tranches d’âge, mais surtout l’adulte jeune entre 15 et 30 ans. Elles sont plus fréquentes dans la population féminine (sex ratio ≈ 1/4), mais semblent de plus mauvais pronostic chez les hommes.

Elles concernent 10 % des patients suivis en ambulatoire pour des crises ; 10 % des patients ayant des crises psychogènes souffrent aussi d’épilepsie, 80 % sont étiquetés épileptiques pendant des années (le retard diagnostique est de 7 ans en moyenne !).

Or, si le diagnostic n’est pas fait précocement, les conséquences peuvent être dramatiques. La première cause de morbimortalité reste l’erreur diagnostique dont résulte une prise en charge médicale agressive, parfois en réanimation (jusqu’à 40 % des patients passeront en unité de soins intensifs au cours de leur histoire médicale). Une comorbidité psychiatrique est fréquente (plus de 70 % des patients) et grève parfois le pronostic.

Enfin, le coût de la prise en charge est superposable à celui d’un patient ayant une épilepsie réfractaire ; seulement 20 % des malades ont une activité professionnelle.

Poser le diagnostic

Le diagnostic est très difficile, tant la clinique se rapproche de celle de l’épilepsie. L’observation d’une crise et son corrélat électrophysiologique est donc indispensable. L’enregistrement EEG prolongé sous contrôle vidéo est l’étalon-or et permet de démontrer l’absence d’activité épileptiforme concomitante de la crise. Des manœuvres de provocation (hyperpnée, stimulation lumineuse intermittente, suggestion verbale) peuvent être également utilisées par des médecins entraînés. Malheureusement, l’enregistrement vidéo-EEG n’est pas toujours possible, et la normalité de l’EEG intercritique (réalisé entre deux épisodes de crises) ne permet pas d’infirmer le diagnostic.

Enregistrer un épisode en vidéo (par exemple par l’entourage du patient) est donc particulièrement utile, mais l’avis d’un neurologue spécialisé en épilepsie ou d’un psychiatre familier du diagnostic est alors requis.

Les crises peuvent être pseudosyncopales, hyperkinétiques (lorsque le patient fait de grands mouvements involontaires) ou paucikinétiques. Certains signes cliniques peuvent être évocateurs mais aucun n’est spécifique : durée prolongée et fluctuation clinique de la crise, mouvements anarchiques, mouvements du bassin, posture en opisthotonos, mouvements de dénégation de la tête, fermeture des yeux. On peut également retrouver des signes fréquents au cours des crises d’épilepsie : perte d’urine, morsure de langue, chute traumatique. L’interrogatoire du patient est particulièrement instructif pour s’orienter : les patients ont souvent des difficultés à évoquer précisément leurs symptômes, et leurs formulations sont volontiers négatives (« je ne sais rien », « je ne sens rien »). Le discours est donc significativement différent de celui des patients évoquant des crises d’épilepsie.

Une équipe a récemment publié des recommandations diagnostiques reposant sur la clinique et l’enregistrement vidéo et EEG des patients. Un psychiatre ou un psychologue expert peut aider à augmenter le degré de certitude diagnostique en recherchant les « 3 P » : les facteurs prédisposants (qui rendent vulnérables à ce type de symptômes), précipitants (que l’on peut retrouver avant la première crise puis avant les crises) et perpétuants (qui expliquent le maintien dans le temps des troubles). Il peut s’appuyer sur un entretien structuré pour les comorbidités psychiatriques et des questionnaires spécifiques de dissociation psychique et somatoforme, d’alexithymie, d’événements de vie ou de maltraitance infantile.

Prise en charge

Médicaments : une place est très limitée

Les traitements antiépileptiques n’ont aucune efficacité (à part l’effet placebo). Mais ils ne doivent pas être arrêtés brutalement en raison du risque de crise d’épilepsie de sevrage.

La place des psychotropes est discutée. Les anxiolytiques peuvent avoir un intérêt très ponctuel. Les antidépresseurs de type inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ou inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline sont très intéressants en cas de comorbidités anxieuses ou dépressives sévères et pourraient favoriser la régulation émotionnelle.

Pour tous : annonce, psychoéducation, prise de contrôle sur les crises

L’annonce diagnostique est une étape capitale. Une bonne annonce permet l’arrêt des crises chez 40 % des patients. Les messages principaux sont : « ce n’est pas de la simulation, on vous croit », « c’est une vraie maladie », « il n’y a pas de lésion, mais des problèmes de fonctionnement, de réglage des différentes zones de votre cerveau », « les crises peuvent s’arrêter », « vous pouvez apprendre à gagner du contrôle sur vos crises ».

La psychoéducation est cruciale : il est capital que le patient s’approprie l’idée que ces troubles sont liés à un problème de fonctionnement/de réglages des fonctions cérébrales et non à une lésion cérébrale ; et que, par leurs mécanismes, ils sont totalement réversibles.

Une prise de contrôle sur les crises via une méthode inspirée des thérapies cognitives et comportementales (TCC) est à proposer à tous les patients, articulée en 12 sessions hebdomadaires. Les étapes indispensables sont : tenir un agenda des crises pour identifier précisément les facteurs déclencheurs (circonstances, pensées, émotions…) ; repérer les symptômes « pré-crise » et réagir ; identifier, verbaliser et travailler sur ses émotions ; s’approprier des exercices de relaxation… La lutte contre la dissociation est capitale, à travers des exercices d’ancrage dans l’ici et le maintenant, pour rester connecté avec ses 5 sens dans la réalité présente et éviter le processus de dissociation, qui peut conduire vers une crise psychogène. Du fait de la peur de faire une crise en public, les patients peuvent restreindre énormément leur activités et sorties : il faut les aider à ne pas tomber dans ce cercle vicieux.

Un traitement sur mesure

Outre ces 3 piliers de la prise en charge (annonce diagnostique soignée, psychoéducation et prise de contrôle sur les crises), il faut définir des prises en charge spécifiques selon les facteurs prédisposants et perpétuants du patient.

En cas de vécu traumatique, une prise en charge centrée sur le traumatisme est incontournable (eye-movement desensitization and reprocessing, TCC, thérapie d’exposition prolongée ou hypnose).

S’il existe des comorbidités dépressives ou anxieuses, il est utile de recourir à un traitement par inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine et à une TCC ou à des thérapies spécifiques (thérapies brèves, interpersonnelles, mindfulness, hypnose…).

Les patients ayant une forte alexithymie (difficulté à identifier et à nommer ses émotions) tireront profit d’une thérapie aidant à identifier et à verbaliser les émotions.

Pour les facteurs perpétuants en lien avec des dysfonctionnements familiaux, une thérapie systémique peut être utile.

Bien qu’il n’y ait pas d’étude suffisamment validée à l’heure actuelle, la piste du biofeedback semble assez prometteuse, et d’autres techniques innovantes comme la neurostimulation transmagnétique répétée pourraient aussi être intéressantes (cette dernière consiste à soumettre le sujet à un champ magnétique, focalisé sur une région de la surface cérébrale, par l’application d’une bobine au contact du cuir chevelu, afin de stimuler une zone du cerveau de manière précise).

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