Véritable fléau, le cyberharcèlement s’est aggravé avec l’utilisation exponentielle des réseaux sociaux. En France, 20 % des adolescents en sont victimes et plus de 40 % subissent régulièrement de la violence sur internet. Pour y faire face, de nouvelles mesures ont été prises récemment. Le MG joue un rôle dans la détection et l’accompagnement des jeunes et des parents, et doit connaître les bonnes ressources pour les orienter. On vous dit tout !

Le harcèlement désigne une conduite intentionnellement agressive adoptée par un ou plusieurs individus, qui cherchent à nuire ou à blesser, en établissant un rapport dominant/dominé. Intentionnalité, répétition, isolement de la victime et relation d’emprise doivent être simultanément réunis pour qu’un comportement soit qualifié de « harcelant ». La situation se construit souvent sur une relation triangulaire entre la victime, le harceleur et les témoins dont le rôle est plus ou moins actif.

Quelles motivations ?

La plupart des harceleurs sont de bons élèves, bien insérés, généralement appréciés de leur entourage et considérés comme inoffensifs. Les motifs de leur conduite peuvent apparaître flous, inexplicables. Si la jalousie, l’envie ou parfois la vengeance attisent le comportement des auteurs, beaucoup recherchent une appartenance au groupe. L’estime qu’ils ont d’eux-mêmes est volontiers dépendante du regard des pairs. 

Souvent, ils attaquent la victime dont les fragilités font écho en eux. Ils ciblent ainsi une personne qui leur servira d’exutoire. Le harceleur a l’impression qu’il extériorise son mal quand il s’en prend à elle. La méthode, inefficace, ravive sa violence, lui faisant croire que cette personne est la cause de sa douleur. Elle mérite donc ce qu’elle subit.

Le harcèlement se construit sur la stigmatisation d’une différence. Celui qui est original, isolé ou fragilisé devient une proie idéale. Facteurs de risque d’exposition chez les filles : le poids, la silhouette, le style vestimentaire ; chez le garçon : l’orientation sexuelle, la virilité. Ne pas être comme la majorité est souvent un risque, au point qu’être bon élève ou ne pas avoir les mêmes goûts que ses pairs peut conduire un adolescent à devenir un bouc émissaire.

Certaines victimes peuvent se rebeller contre leurs agresseurs et deviennent alors harceleurs. Elles agissent par réflexe d’autoprotection, en visant les plus faibles. Difficile de remettre en question le schéma violent lorsque, victime, on arrive à faire cesser le harcèlement en rejoignant le groupe.

Particularités du cyberharcèlement

C’est l’utilisation des technologies de l’information et de la communication telles qu’internet, les réseaux sociaux ou un téléphone portable pour se moquer, menacer ou insulter une personne. C’est une forme d’agression à diffusion rapide et à grande échelle qui obéit aux mêmes mécanismes fondamentaux que la violence hors ligne. Généralement, cela commence dans le cadre scolaire, là où on apprend à se connaître et à se détester, et se prolonge dans l’environnement numérique.

Un harceleur anonyme qui envoie des messages insultants à un adolescent via internet n’est pas la situation la plus courante. Il s’agit généralement d’un phénomène plus collectif, qui peut impliquer de nombreux protagonistes. Les nouvelles technologies favorisent l’absence de contact physique direct et l’anonymat, qui alimentent la désinhibition et la violence des cyberharceleurs. Ils ne perçoivent pas les conséquences des actes qu’ils commettent ; un sentiment d’impunité total en découle, confirmé par les très rares condamnations prononcées par les tribunaux.

La réaction la plus commune de la victime est de garder le silence pour ne pas accentuer la violence du bourreau par peur des représailles, pour ne pas inquiéter son entourage ou parce qu’elle se sent coupable de la violence qu’elle reçoit. Les adultes sont souvent considérés comme indifférents à la situation ou incapables de la faire évoluer car ils ne sont souvent pas ou mal informés concernant le phénomène et la façon de le traiter.

Tranche d’âge la plus à risque : entre 12 et 14 ans. C’est à l’entrée au collège que beaucoup d’enfants français reçoivent leur premier téléphone portable mais souvent sans les consignes pour apprendre à l’utiliser et faire face aux risques. Les filles sont plus touchées que les garçons car elles sont plus actives sur les réseaux sociaux. Elles utilisent ces derniers pour poster des photos, se mettre en valeur, en s’exposant alors plus facilement aux jugements ; les garçons ont surtout un rôle de commentateurs.

Quelles formes ?

Elles sont nombreuses et sans cesse renouvelées (encadré 1) : voler le mot de passe d’un compte de réseau social pour en bloquer l’accès ou envoyer des messages insultants au nom du propriétaire ; se moquer, diffamer, intimider, colporter des rumeurs, publier des photos truquées en vue de ridiculiser, former des groupes privés diffusant des moqueries, envoyer sans arrêt des messages (sms, mails, tweets)… Les sites les plus à risque sont ceux dédiés au partage de photographies ou de vidéos, comme Snapchat, Instagram, TikTok ou YouTube.

Les outils numériques démultiplient le nombre de spectateurs de la scène de violence. Le harceleur se sent galvanisé par l’audience qu’il suscite, cela le pousse à poursuivre, voire amplifier ses nuisances.

Les témoins ont des rôles plus ou moins actifs. Certains peuvent se comporter en complices et renchérir pour nuire à la victime. D’autres vont rester en dehors, sans se rallier à aucun camp. Enfin, les défenseurs se rangent du côté du harcelé en le soutenant.

Important : les victimes soutenues ou défendues par des témoins sont moins déprimées et anxieuses. Sensibilisation et formation des témoins sont donc primordiales (encadré 2).

Une agression permanente

La principale différence avec le harcèlement hors ligne est que la victime peut être attaquée à tout moment du jour et de la nuit, sans aucun répit, ce qui crée un état d’insécurité permanent

Une autre différence est qu’internet empêche tout retour émotionnel direct. Le harceleur n’éprouve aucune empathie. Les retentissements sont plus négatifs car la victime vit généralement la situation seule ou isolée et le plus souvent sans aucun soutien.

Enfin, le cyberharcèlement se distingue par sa dimension : la masse de messages reçus peut être considérable. Ainsi, l’humiliation publique se rajoute au traumatisme de la violence.

Pour toutes ces raisons, ce processus est souvent considéré comme beaucoup plus grave et violent que le harcèlement hors ligne. Il est donc puni plus sévèrement, étant considéré comme une circonstance aggravante du harcèlement.

Quand l’évoquer ?

Tout changement de comportement doit inquiéter et la question du harcèlement doit être posée à l’interrogatoire. Ainsi, des résultats scolaires en chute, l’envie de ne plus aller à l’école ou de faire ses devoirs sont à explorer. Toute perte de poids, d’appétit ou d’intérêt pour un loisir, une passion, des habitudes de vie ou même un groupe d’amis sont des signes d’alerte.

Desmanifestations anxieuses sont souvent au premier plan : la qualité du sommeil peut être altérée, par exemple. Un jeune qui soudainement s’éloigne des réseaux sociaux mérite l’attention. Une tentative de suicide est fortement évocatrice.

Impact médical et comportemental

Les conséquences sont graves sur le bien-être et la santé mentale des victimes mais aussi des agresseurs et des témoins.

La victime peut s’isoler et se refermer sur elle-même avec des symptômes proches de ceux de la dépression ; manifester des troubles anxieux ou de la concentration. On peut constater un sentiment de rejet, une mésestime de soi, une baisse du rendement et des relations sociales. L’audience offerte par internet générant un sentiment de honte, elle peut avoir l’impression qu’elle n’a plus d’intimité, qu’elle est observée par les milliards d’internautes quotidiennement connectés. 

Quant aux témoins, ils s’habituent à ne pas agir par peur du regard des autres et/ou craignent d’être harcelés à leur tour, ce qui génère chez eux une passivité face aux inégalités sociales, ou des perceptions faussées (les victimes méritent leur sort, les adultes ne sont pas protecteurs). La plupart du temps, ils se sentent lâches, parfois angoissés voire déprimés.

Chez le jeune harceleur, cela induit une inadaptation sociale. Il peut considérer que les rapports de force malsains sont normaux, que ses actes n’ont pas de réel impact, faisant preuve d’une absence d’empathie. La dépersonnalisation fait en sorte qu’il se déresponsabilise aussi de ses actes virtuels. Il a besoin d’une prise en charge psychologique.

Quelle démarche ?

La souffrance infligée doit être prise en charge. Les adultes doivent recréer un sentiment de sécurité chez la victime. Montrer à l’enfant qu’il est protégé est souvent suffisant ; pour retrouver confiance en lui, une activité sportive, culturelle ou d’expression peut aider.

Le cyberharcèlement est un délit puni par la loi depuis le 4 août 2014. Lorsque l’auteur est majeur, il s’expose à une peine de 2 ans d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende. Si la victime a moins de 15 ans : 3 ans de prison et 45 000 euros.

Depuis le 5 août 2018, le texte a été renforcé afin de pénaliser les « raids numériques » : propos ou comportements imposés à une victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, même si chaque acteur n’a pas agi de façon répétée. Cela permet d’incriminer tout individu qui a participé, même par un acte unique, sans concertation, au harcèlement en groupe.

Replacer la personne dans un statut de victime et lui faire entendre qu’elle n’est pas coupable est un préalable nécessaire. Pour cela, depuis la rentrée 2023, le ministère de l’Éducation a décidé qu’en cas de harcèlement entre élèves, ce n’est plus à la victime de changer d’établissement mais bien au harceleur. Cette décision évite cette double peine qui consistait à devoir quitter son environnement scolaire après avoir été harcelé. Rappelons qu’en cas de cyberharcèlement entre élèves, l’établissement à l’obligation de prendre en charge la situation même si, par définition, elle ne se déroule pas dans l’enceinte de l’établissement.

Un cyberharceleur qui se croit à l’abri de l’anonymat peut être facilement retrouvé et sanctionné par la justice. En effet, après un dépôt de plainte à la gendarmerie ou dans un commissariat de police, une enquête peut être diligentée. Les services compétents peuvent demander l’identification du numéro IP afin de connaître l’identité du harceleur (après autorisation du procureur de la République). Cela est d’autant plus vrai que les contenus numériques, s’ils sont sauvegardés, font office de preuves. Pour faire un signalement : contacter le 3018, numéro national pour les victimes de violences numériques (encadré 3).

Les conseils pour les parents sont indiqués dans l’encadré 4.

Quelle prévention ?

En prévention, il est essentiel de sensibiliser les jeunes. L’éducation aux médias et à l’appréhension de l’information est un axe central. Elle vise à inculquer aux mineurs une « hygiène numérique » qui les protège d’eux-mêmes et des autres.

Les adolescents peuvent se prémunir en faisant preuve de bon sens et d’esprit critique, par exemple vis-à-vis de leurs données personnelles sur internet mais aussi de celles d’autrui. Fournir des informations ou publier des photos de soi expose l’internaute et le rend vulnérable.

Il faut expliquer aux mineurs que le cyberharcèlement est une violence grave à laquelle ils ne doivent jamais participer, même passivement, au risque de se rendre coupables de complicité ou de non-assistance à personne en danger. La souffrance provoquée n’est pas virtuelle et se ressent dans la « vraie vie ». Leur apprendre à exprimer leurs émotions au moment où ils les ressentent et faire preuve d’empathie sont de bons réflexes de protection.

Pour rappel, les réseaux sociaux et messageries instantanés ne sont pas accessibles aux moins de 13 ans et le sont avec l’autorisation des parents pour les 13 - 14 ans.

Les mineurs ont l’habitude, dangereuse, de s’échanger leurs identifiants et mots de passe pour se prouver leur confiance. Ils ont tendance à se dévoiler facilement dans l’espace numérique, parfois dénudés, voire nus. Là encore, le risque est grand : une mauvaise utilisation de ces contenus peut avoir des effets dévastateurs.

Quelques règles d’or pour les utilisateurs :

  • Ne répondez pas au harceleur.
  • Faites des captures d’écran.
  • Sur les réseaux sociaux : réglez vos paramètres de compte pour que seules des personnes de confiance puissent y accéder et n’acceptez pas un inconnu « en ami ».
  • Bloquez-le sur votre téléphone et vos réseaux sociaux.
  • Signalez le compte du harceleur sur le réseau social ou le site Web.
  • Pour faire un signalement : contactez le 3018.

Encadre

1. Cyberharcèlement : formes les plus en vogue

Slut-shaming  (de « slut » : salope ; « shame » : honte) : stigmatisation de certaines attitudes ou manières de s’habiller de jeunes filles, le plus souvent sur les réseaux sociaux.

Création de groupes sur des messageries privées pour débattre de celui ou celle qui a les plus grosses fesses de l’école ou la plus mauvaise haleine par exemple.

Envoi de messages d’insultes pour créer un conflit dans un groupe de discussion ou sur un forum.

Outing d’un internaute : divulgation d’informations intimes ou confidentielles, comme l’homosexualité ou les activités privées d’une personne, afin de la déstabiliser et salir sa réputation.

Revenge porn (pornodivulgation) : publication sur internet d’une photo ou d’une vidéo prise dans un contexte intime, afin de détruire la réputation d’un individu dont on veut se venger.

Chantage sexuel : faire pression sur une personne en vue d’obtenir des faveurs ou des images/vidéos à caractère sexuel. L’auteur intimide sa victime le plus souvent en utilisant des données personnelles obtenues illégalement et qu’il menace de divulguer.

Happy slapping  : filmer une scène de violence dans laquelle une victime est molestée sans raison par plusieurs individus ; la vidéo est ensuite diffusée sur les réseaux sociaux et commentée.

Fabrication d’affiche/compte ficha : le harceleur invite plusieurs internautes à lui envoyer des photos d’une personne où elle est dénudée ou en mauvaise posture. Ces contenus sont ensuite réunis sous la forme d’une « affiche », mise en ligne à un moment précis sur internet pour récolter un maximum d’audience.

Encadre

2. Actions de sensibilisation aux élèves

• L’Association e-Enfance intervient dans tous les établissements scolaires qui en font la demande pour proposer des séances au cours desquelles victimes, témoins et auteurs réfléchissent en classe à leur positionnement dans les situations de cyberharcèlement pour les faire évoluer. L’objectif est de permettre à chacun de comprendre le rôle qu’il occupe et d’apprendre à en sortir.

• Pour rompre la loi du silence, le ministère de l’Éducation nationale déploie son programme pHARe, qui permet que dès le CP les élèves soient sensibilisés 10 h par an à la lutte contre le harcèlement et au développement des compétences psychosociales. Dans le cadre de ce programme, des élèves ambassadeurs volontaires suivent des formations pour apprendre à repérer les signes d’alerte et avertir les adultes référents de l’établissement.

Encadre

3. 3018 : numéro national pour les jeunes victimes de violences numériques et leurs parents

  • Ce service, fourni par e-Enfance (association de protection de l’enfance sur internet, reconnue d’utilité publique, agréée par le ministère de l’Éducation nationale), aide et accompagne les jeunes et leurs parents dans les usages numériques.
  • Le 3018, grâce à son statut de signaleur de confiance, obtient un retrait rapide des contenus constitutifs d’une situation de harcèlement. Il est également conventionné avec la gendarmerie nationale, les services de police spécialisés (Pharos ; www.internet-signalement.gouv.fr) et le 119, numéro national de l’enfance en danger. Des psychologues, juristes et spécialistes des outils numériques répondent de 9 h à 23 h, 7 jours sur 7 par téléphone, tchat (www.3018.fr) et par l’application « 3018 anti-harcèlement » téléchargeable gratuitement sur Playstore et Applestore.
  • Parce que trop souvent les mineurs banalisent les situations de harcèlement, le quizz « Suis-je harcelé » disponible sur l’application « 3018 anti-harcèlement » permet de prendre conscience en quelques minutes d’une situation sous-estimée de harcèlement et de savoir comment agir pour protéger la victime.
Encadre

4. Parents de victimes de cyberharcèlement : que faire ?

Signalez les contenus, les messages, les commentaires qui portent atteinte à votre enfant. La plupart des réseaux sociaux permettent de signaler les cyberviolences, mais les enfants et les adolescents ne le savent pas toujours. Si vous avez du mal à trouver les formulaires en ligne, appelez le 3018.

Prenez rendez-vous avec l’école, le collège ou le lycée de votre enfant, afin de faire part de la situation, de manière détaillée. L’équipe éducative pourra vous aider à prendre en charge la situation et à trouver des solutions si ce sont d’autres élèves qui sont auteurs des cyberviolences. En cas de difficulté, appelez le 3018 qui pourra signaler la situation au ministère de l’Éducation nationale auprès du référent harcèlement de l’Académie concernée.

Vous pouvez agir avec votre enfant en l’encourageant à parler de ce qu’il vit, en lui demandant ce qu’il souhaite. Vous pouvez lui expliquer que les adultes sont là pour l’aider et faire cesser les violences qu’il subit. Vous avez le droit de déposer plainte.

Identifiez le plus précisément possible la nature des problèmes vécus par votre enfant (faits, éventuels auteurs et témoins). Réalisez des captures d’écran des situations qui portent atteinte à votre enfant. Si besoin, faites-vous aider par un représentant des parents d’élèves ou un membre de l’équipe éducative.

Ne tentez pas de gérer vous-même le problème en contactant le ou les auteur(s) des faits : cela pourrait aggraver la situation.

Pour en savoir plus
Dossier L’enfant et son environnement, élaboré selon les conseils scientifiques du Pr Bertrand Chevallier.  Rev Prat 2020;70(4):433-60.

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