La crise sanitaire actuelle a mis en évidence l’importance de coordonner tous les acteurs de santé pour faire face à l’épidémie. En France, la proportion de médecins spécialistes est de plus en plus importante, et leur hyperspécialisation tend à fragmenter l’offre de soins. Leur répartition géographique inégale pourrait contribuer aux difficultés d’accès aux soins. Dans la plupart des pays que nous avons étudiés, la tendance est au décloisonnement entre les spécialistes, de ville ou à l’hôpital, et les professionnels exerçant en soins primaires ou dans le secteur médico-social, avec la volonté de se centrer sur les patients. Pour cela, la coordination entre soignants est cruciale.1
Ce que nous avons d’abord noté est que la recherche de nouvelles formes d’organisation et de coopération émane principalement des professionnels de terrain. Pour eux, l’enjeu principal est de construire des équipes pluriprofessionnelles qui partagent une vision commune des soins fondée sur les besoins des patients. En témoignent des parcours de soins adaptés aux niveaux de gravité de la maladie.
On constate aussi l’émergence de professionnels qui jouent un rôle « pivot » d’une importance majeure entre plusieurs organisations et équipes. Cette fonction est souvent assurée par un ou une infirmière, mais pas seulement : elle peut l’être par des professionnels de formations et statuts divers, y compris les médecins spécialistes.
Enfin, ces modèles fonctionnent parce que les hôpitaux et les soignants ne sont pas perdants financièrement lorsqu’ils se réorganisent. Dans les cas étudiés, la rémunération par capitation ou sur une base salariale facilite la collaboration entre professionnels de santé. À rebours de ce qui est souvent avancé en France, la question du financement est bien souvent la dernière étape d’une transformation organisationnelle amorcée depuis longtemps.
Les questions de coordination des acteurs et l’efficacité des parcours sont plus que jamais essentielles en ce temps de pandémie. Il est évident qu’une organisation efficace en ville et au domicile réduit la tension à l’hôpital, mais aussi la progression de l’épidémie. C’est aussi le constat qu’on a fait en Italie. En Vénétie, une stratégie de prise en charge plus orientée à domicile, avec tests et suivi par des professionnels de ville, semble réduire les hospitalisations, comparativement à la Lombardie voisine.
En France, face à une situation extrême, de nouvelles pratiques et organisations se développent spontanément dans plusieurs régions. On peut saluer le regroupement des professionnels dans des centres de santé Covid, les équipes mobiles de soins primaires (MG et infirmières) qui interviennent au domicile et la mise en réseau des praticiens via des outils de partage d’informations... Il serait essentiel de soutenir et pérenniser ces solutions qui bousculent les frontières entre ville et hôpital. Notre travail montre aussi les démarches en cours pour mieux inclure les prestations médico-sociales, voire sociales, dans la prise en charge globale.
En France, la crise actuelle fait émerger les difficultés des auxiliaires de vie, aides à domicile et aides-soignantes, en première ligne mais peu soutenues. Cette pandémie pourrait être l’occasion de mieux les intégrer dans des nouvelles organisations pluriprofessionnelles.
1. Michel L, Or Z. Décloisonner les prises en charge entre médecine spécialisée et soins primaires : expériences dans cinq pays. Irdes. Questions d’économie de la santé. Avril 2020. https://bit.ly/2Z3HGfK