Certains signes fonctionnels visuels imposent un fond d’œil sans tarder.
Le décollement de rétine (DR), urgence ophtalmologique indiscutable, peut être diagnostiqué à l’interrogatoire. Le pronostic dépend beaucoup du délai de traitement.

Épidémiologie

Son incidence annuelle est de 10/100 000 habitants. Son pic de fréquence est contemporain de celui du décollement postérieur physiologique du vitré qui a lieu en général entre 50 et 70 ans. Autre petit pic : autour de 25-30 ans, lié à la myopie.
Si la saisonnalité (serait plus fréquent en été) et le sex-ratio (les hommes plus touchés) sont des éléments mis en avant dans certaines études, ce ne sont pas des facteurs de risque prouvés.
En revanche, un antécédent de traumatisme oculaire grave est à rechercher. De même, la bilatéralité n’est pas exceptionnelle, elle touche 10 % des patients. On doit toujours s’enquérir d’un antécédent de décollement sur l’œil controlatéral. La myopie, surtout si elle est forte (> – 6 dioptries), augmente grandement le risque, avec une incidence multipliée par 4 et par 10 respectivement. Plus un patient est myope, plus le décollement de rétine surviendra à un âge jeune et aura tendance à être bilatéral.1
Un antécédent de chirurgie de la cataracte est un facteur de risque discuté.

Physiopathologie

Accumulation de fluide dans l’espace sous-rétinien (entre neuro-épithélium en dedans et épithélium pigmentaire en dehors), le DR est le plus souvent rhegmatogène, c’est-à-dire causé par une ou plusieurs déchirures rétiniennes. Il est plus rarement exsudatif ou tractionnel, secondaire à une rétinopathie diabétique proliférante, une tumeur choroïdienne ou une uvéite postérieure.
du fait de sa plus grande fréquence.
Le vitré est une substance transparente composée essentiellement de collagène, d’acide hyaluronique et d’eau. Il n’est ni vascularisé ni innervé. Dans un œil jeune et jusqu’à 50 ans, il a une consistance gélatineuse, et son enveloppe (hyaloïde) est très adhérente à la rétine.
Avec l’âge, il a tendance à se liquéfier et perdre de son adhérence. Cela entraîne des tractions qui, en périphérie, provoquent des déchirures rétiniennes de pleine épaisseur, en zone saine ou au niveau de dégénérescences palissadiques. C’est le mécanisme pathogénique classique sur décollement postérieur aigu du vitré.
En revanche, en cas de myopie, surtout si elle est forte, le vitré est bien collé. La dégénérescence rétinienne périphérique liée à la maladie (trous ronds atrophiques, palissades…) est suffisante à elle seule pour générer une brèche rétinienne et entraîner un décollement (qui est souvent de survenue moins brutale).
Une solution de continuité dans la rétine, quelle qu’en soit la position, induit une fuite de liquide de la cavité vitréenne vers l’espace sous-rétinien (fig. 1). Le traitement consiste à fermer mécaniquement le trou, afin de tarir la source. De son côté, l’épithélium pigmentaire agit physiologiquement comme une pompe permanente, réabsorbant le liquide sous-rétinien résiduel afin que l’espace situé entre lui et la rétine neurosensorielle redevienne virtuel, mécanisme dépassé lors du DR.
Un phénomène appelé prolifération vitréorétinienne apparaît de façon plus ou moins prévisible au cours du DR. Il s’agit d’une multiplication anormale des cellules gliales et pigmentaires survenant d’emblée ou après une première chirurgie pour décollement. Non complètement élucidée, elle complique plutôt les grandes déchirures rétiniennes ou celles diagnostiquées tardivement. Morphologiquement, elle se manifeste par des membranes prérétiniennes, une rétraction de la rétine, qui a un aspect cartonné, plissé. Son pronostic est très mauvais.

Signes évocateurs

Toute baisse d’acuité visuelle brutale et durable avec un œil blanc et indolore est une urgence rétinienne jusqu’à preuve du contraire : le fond d’œil s’impose dans les 24 heures.
Mais il faut réagir bien avant, devant les premiers symptômes vitréens et rétiniens évocateurs de déchirure ou de décollement de rétine limité à la périphérie.
Points noirs, mouches volantes, taches noires, filaments, ces corps flottants du vitré ou myodésopsies sont présents dans 85 % des cas (et bien souvent depuis moins de 3 mois).2 Mais ils sont assez peu spécifiques. C’est surtout leur apparition brutale qui doit alerter. Ils témoignent d’opacités dans le vitré (anneau prépapillaire, condensations des fibres vitréennes, sang). Les phosphènes traduisant une traction vitréenne et décrits comme des éclairs, des flashs, des zigzags lumineux sont plus rares, mais beaucoup plus spécifiques.
À la différence de l’aura visuelle migraineuse, le patient les perçoit en vision monoculaire et sans céphalée associée.
À ce stade de la plainte, le sujet gardant une acuité visuelle parfaite, attention à ne pas trop le rassurer. Le fond d’œil dilaté peut en effet montrer une simple déchirure rétinienne péri- phérique, facilement accessible au traitement laser. Cependant, en l’absence de diagnostic précoce, les bords de la déchirure se soulèvent et la rétine se décolle.
Au début perçu comme un voile, une zone d’ombre, le décollement induit un scotome positif dans le champ visuel et ne s’améliore plus. Puis, évoluant rapidement en quelques jours, il touche la macula ; c’est alors que sont perçues d’abord des métamorphopsies (lignes gondolées, carreaux déformés) et souvent le jour même une baisse de vision franche.
Un décollement supérieur, perçu comme un voile inférieur, donne vite une baisse d’acuité visuelle, car le liquide sous- rétinien suit la loi de la gravité et traverse rapidement le bord de la macula. Un décollement inférieur, quant à lui, peut être plus lentement évolutif.

Quels examens ?

Le fond d’œil après dilatation pupillaire fait le diagnostic positif (fig. 2). L’ophtalmologiste examine l’aspect de la rétine décollée, sa souplesse, son étendue. Des plis rétiniens fixés, des rétractions évoquent une prolifération vitréorétinienne. La recherche exhaustive de toutes les déchirures est indispensable, car seule la fermeture de l’ensemble des trous permet une réapplication durable de la neurorétine. La détermination du statut collé ou décollé de la macula est importante, car le pronostic visuel final est d’autant meilleur que le bord du décollement est resté extramaculaire.
Un examen tomographique en OCT complète parfois le bilan initial. En cas d’hémorragie du vitré, dont la cause peut être un traumatisme ou un saignement de néovaisseaux diabétiques par exemple, le fond d’œil n’est pas toujours interprétable.
L’échographie en mode B dépiste une déchirure ou un décollement quand les milieux ne sont pas transparents.

Chirurgie : épisclérale ou endoculaire ?

Le traitement vise à obturer toutes les ouvertures rétiniennes. Pour cela, il faut lever les tractions, rétablir le contact entre rétine et épithélium pigmentaire sous-jacent et créer une cicatrice adhérente entre eux. Deux techniques chirurgicales : voie épisclérale ou endoculaire. C’est une semi-urgence, mais ce point est discuté. Globalement, seuls les décollements qui menacent la macula à court terme sont opérés dans les 24 heures. Pour les autres, le délai est de l’ordre de 1 semaine environ.

Voie épisclérale

La cryo-indentation est la technique la plus ancienne (
). Son principe est de déprimer la sclère à l’aide d’un matériel d’indentation suturé sur cette membrane pour rapprocher la rétine de l’épithélium pigmentaire en regard de la déchirure, qui est traitée par l’application d’une cryode.
Le liquide sous-rétinien est soit ponctionné en peropératoire, soit résorbé lentement par l’épithélium pigmentaire, ce qui permet la réapplication de la rétine.
Peu coûteuse et bénéficiant d’un grand recul, elle est encore souvent utilisée, surtout chez les patients jeunes, non opérés de cataracte, ayant une déchirure bien visualisée. Cependant, les risques opératoires ne sont pas négligeables : saignement à la ponction, non-visualisation de l’ensemble des déchirures, douleurs postopératoires, infection du matériel, diplopie.

Voie endoculaire

La vitrectomie est le plus souvent utilisée (
).
3 scléro- tomies de 0,9 mm, on réalise une ablation du vitré, éventuellement de l’hémorragie associée, une levée des tractions et des membranes de prolifération vitréorétinienne.
Les systèmes de visualisation grand champ permettent un dépistage et un traitement de toutes les déchirures, à l’aide d’une cryode ou de laser. Un tamponnement interne réapplique précocement la rétine : le volume qu’occupait le vitré est comblé de gaz fluoré ou d’huile de silicone. Le gaz s’évapore en plusieurs semaines, et la cavité se remplit spontanément d’humeur aqueuse. Si l’huile est utilisée, une réintervention est nécessaire pour en faire l’ablation. Cette technique s’accompagne très souvent d’une cataracte.
Un remplacement du cristallin est réalisé dans 80 % des cas dans les 2 ans.

Mesures postopératoires

Le retour à domicile après chirurgie est précoce, soit le jour même, soit le lendemain. Le patient doit rester en position demi assise ou en décubitus latéral ou ventral pendant quelques jours, afin de permettre au tamponnement interne (gaz ou silicone) d’avoir un bon appui sur la zone déchirée dont la cryo-application ou la cicatrice laser n’est pas encore bien stable.
Des collyres antibiotiques, anti-inflammatoires et souvent hypotonisants sont prescrits, ce qui peut nécessiter des soins infirmiers à domicile pour les sujets les plus dépendants.
Les douleurs postopératoires sont modérées, soulagées par du paracétamol. Si elles sont fortes ou accompagnées de nausées, vomissements, migraines : contrôle du tonus oculaire en urgence (risque d’hypertonie majeure).
La présence de gaz dans le vitré contre-indique formellement la montée en altitude et les vols en avion, du fait de la dilatation du gaz en situation de faible pression atmosphérique (risque d’hypertonie majeure douloureuse).
Les contrôles ophtalmologiques sont réalisés à J7, 1 mois et 3 mois, puis tous les semestres en général.
L’arrêt de travail est prolongé pendant plusieurs semaines s’il y a eu mise en place de gaz, car la vision ne récupère qu’après sa résorption. Il est conseillé d’éviter la conduite automobile durant tout le temps de la convalescence.

Traitement préventif

La seule prévention du DR rhegmatogène universellement admise est le traitement précoce des déchirures rétiniennes par photocoagulation laser lors de leur survenue. Pour cela, le patient doit consulter en urgence en cas d’apparition brutale de myodésopsies et phosphènes. Le laser réalisé en consultation dure une dizaine de minutes. Une anesthésie cornéenne permet la pose d’un verre de contact. La douleur générée par les impacts est perçue comme un éblouissement douloureux avec des céphalées, elle est cependant transitoire et tolérable sans nécessité d’antalgiques. En général, il est admis qu’on doit traiter par laser les zones périphériques dégénératives sur l’œil adelphe d’un premier décollement de rétine.
L’idée répandue que les voyages en avion, le port de charges lourdes ou les efforts de poussées lors d’un accouchement sont des facteurs de risque de décollement de rétine n’est pas prouvée. L’accouchement par voie basse n’est jamais contre-indiqué pour des raisons ophtalmologiques, même chez la myope forte.

Pronostic

Les cas catastrophiques avec perte définitive de la vision du fait d’un DR avec phtyse oculaire (atrophie) sont relativement rares. Le plus souvent, l’évolution est favorable après une première chirurgie.
Fréquence des récidives : classiquement 10 %.
Il faut bien différencier le succès chirurgical de la réussite fonctionnelle. L’objectif premier du chirurgien est de recoller la rétine. Le désir du patient est de retrouver sa vision d’antan. Cela peut, en l’absence d’une bonne information, être à l’origine d’un malentendu entre les 2 protagonistes.
Lorsque la macula est restée collée en permanence, on peut raisonnablement dire au malade qu’en l’absence de récidive, le maintien d’une vision normale est prévisible (après chirurgie de la cataracte).
Quand la macula est décollée d’emblée, et d’autant plus qu’il y a prolifération vitréorétinienne, même si la rétine est bien recollée à la fin du traitement, la vision est toujours décevante pour le sujet, en termes d’acuité fine, de perceptions de déformation et de différence de taille de l’image, etc. Faire le deuil de l’œil parfait est un long parcours et demeure assez frustrant pour le patient et son chirurgien.
Encadre

Autres formes cliniques

dont la brèche causale fait plus de 90°, le DR par déchirure géante survient plutôt chez les myopes forts et les patients atteints de vitréorétinopathie héréditaire. Son pronostic est sévère.

Le DR par désinsertion à l’ora serrata (en arrière des corps ciliaires) survient sur un vitré non décollé et touche les patients jeunes, spontanément ou après contusion oculaire. Son pronostic est bon après chirurgie précoce.

Le DR par trou maculaire n’est observé que chez le myope fort. Le diagnostic est aidé par l’OCT. Son pronostic est médiocre.

Le syndrome de Stickler est une vitréorétinopathie héréditaire, à transmission autosomique dominante, associé à des anomalies squelettiques et de la face. Le DR uni- ou souvent bilatéral est quasi constant dans la vie du patient, et son pronostic est très mauvais.

Références
1. Mitry D, Charteris DG, Fleck BW, Campbell H, Singh J. The epidemiology of rhegmatogenous retinal detachment: geographical variation and clinical associations. Br J Ophthalmol 2010;94:678-84.
2. Forzli FE, Brasseur G. Signes fonctionnels annonciateurs d’un décollement de rétine. Journal Français d’Ophtalmologie 1999;22:869. http://www.em-consulte.com/en/article/111264
3. Feng H, Adelman RA. Cataract formation following vitreoretinal procedures. Clin Ophthalmol 2014;8:1957-65.
4. Conrath J. Les facteurs de récidive du décollement de rétine. Journal Français d’Ophtalmologie 2007;30:847-51. http://www.em-consulte.com/en/article/132917

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