Le terme palliative delirium désigne l’agitation-confusion générée par la fin de vie de nombre de malades. Les médecins français, s’ils connaissent le delirium tremens (sevrage brutal et bruyant de l’alcool), sont moins familiarisés avec les termes de delirium gériatrique, de réanimation, postopératoire… issus de la littérature médicale anglosaxonne.
Pourquoi ne pas utiliser davantage ce joli nom latin, dérivé de delirare, signifiant « sortir du sillon », métaphore explicite (en culture agricole…) de ce syndrome, que notre modernité électrique remplacerait volontiers par « péter les plombs »… 

Mieux le reconnaître

Ce syndrome nous interpelle. Il est un signe véritable de la fin de vie potentielle du malade. Cette clinique palliative, peu enseignée dans nos facultés, est un regard tourné vers une alternative difficile à admettre par nombre de praticiens : la mort de celui qu’on soigne, « inacceptable » favorisant une surenchère thérapeutique parfois dommageable.1 Il fait appel à la pluridisciplinarité et valorise les métiers d’infirmière et d’aide-soignante qui en détectent les premiers signes au quotidien.
Il invite à une « recherche palliative » visant à mieux comprendre les signes évocateurs de la mort, permettant aux médecins d’ajuster les investigations et les thérapeutiques, d’améliorer les soins de confort, et aux proches de se préparer à l’inéluctable.

Fréquent en fin de vie

« Le délirium est une complication neuro­psychiatrique commune chez les malades au stade de cancer avancé, affectant 50 % des patients en unité de soins palliatifs et autour de 93 % avant décès.»2 Mal connu, ce syndrome est sous-traité car difficilement diagnostiqué. Le mot le caractérisant le mieux est fluctuation. En effet, une autre définition est : « fluctuation du niveau de conscience, diminution de l’attention et des cognitions, agitation et perception d’anormalités qui fluctuent dans le temps ». Ou encore : « perturbation de la conscience, cognition et perception, qui peut croître et décroître en quelques heures. »
Notons que ces fluctuations favorisent le doute et l’hésitation à reconnaître les signes du delirium et finalement retardent le diagnostic.
Sa cause est inconnue. Si des processus multifactoriels faisant intervenir cytokines et dopamine ont été évoqués, d’autres auteurs plaident pour une souffrance globale et complexe de l’humain, confronté au traumatisme de sa mort.
Sa fréquence est de 93 % avant décès, dans l’étude de Morita3 au sein d’un service de soins palliatifs. Celle de Fang4 chez des patients en phase terminale de cancer fait état d’un taux moins élevé (47 %), mais la mortalité est toujours plus importante si ce syndrome est présent.

Agitation et hallucinations

Cliniquement, il peut débuter par une simple confusion, une désorientation dans le temps, l’espace, une non-reconnaissance des personnes, un mélange des événements… Une inversion jour/nuit se met en place. Puis le syndrome se développe, le malade est mal à l’aise, les membres en mouvements ; il veut se lever, se déshabille, repousse les couvertures ;5 il accroche avec ses mains celles qui se tendent alentour, la potence, les barrières… Répétition de l’expression verbale, complainte douloureuse (appel de proches décédés), gémissements… Lorsqu’on demande au malade s’il a mal, la réponse spontanée est « partout ». Il a des hallucinations visuelles, auditives, tactiles…
Ces hallucinations sont à rechercher auprès de l’entourage ou des soignants, car ce symptôme est souvent tu, négligé ou mal vécu. N’oublions pas la notion de fluctuation, mais aussi l’aggravation durant la nuit, comme en témoignent les fréquentes plaintes douloureuses nocturnes.
Outre ce delirium hyperactif, la littérature internationale2 en reconnaît 2 autres types : mixte et hypoactif. Ce dernier se manifeste par une lenteur psychomotrice avec léthargie, confusion, sédation, réduction de conscience et d’interaction avec l’entourage, perte de capacité à soutenir l’attention. On ne saurait dire si le patient vous regarde ou s’il est ailleurs, non comateux, mais dans un état second. Les hallucinations sont autant présentes que dans l’hyperactif, accompagnées d’inconfort et d’angoisse. Tout cela est stressant pour le malade, les proches, les soignants et favorise les demandes de sédation.
Bien entendu, il faut éliminer une étiologie pourvoyeuse de ces symptômes : fécalome, rétention d’urine, sevrages ou surdosages médicamenteux (notamment morphiniques+++), désordres métaboliques (hypoglycémie, hypercalcémie, hyponatrémie, hypernatrémie), fièvre et infections, encéphalopathie (d’origine rénale, hépatique…), métastases cérébrales, anémie… Dans un certain nombre de cas, le bilan est peu contributif.
Ainsi, ce syndrome peut être le témoin de ces désordres évoqués, ou bien signifie l’avancée physiopathologique usuelle vers le décès, sans étiologie retrouvée (et parfois les deux…).
Plus l’état général du patient est dégradé, plus le risque est grand que ce syndrome soit irréversible.
C’est un facteur de mauvais pronostic en cas de cancer (médiane de survie à 21 jours avec delirium contre 39 jours sans). Il fait en effet partie des signes cliniques témoignant de l’évolution de plus en plus grave de la maladie avec l’anorexie, la dyspnée, les œdèmes.
Notons que nombre d’anomalies paracliniques (CRP, rapport neutro/lympho augmentés ou albuminémie, natrémie diminuées… associées) sont peu prises en compte dans l’évaluation des capacités du patient à pouvoir espérer un bénéfice des thérapeutiques actives.
Plusieurs échelles diagnostiques existent :
– citons la CAM,6 qui retient comme pertinents le début soudain et la fluctuation des symptômes, l’inattention, la désorganisation de la pensée et l’altération de l’état de conscience ;
– la MDAS :7 pour chacun des 10 items choisis, une cotation de 0 à 3 permet un suivi chiffré de 13 à 30 ;
– la Nu-Desc,8 fondée sur 4 réponses positives, offre l’avantage d’un diagnostic rapide (1 minute) : le patient est-il dés­orienté ? Sa conduite/sa communication sont-elles inappropriées ? A-t-il des hallucinations ? Une cinquième question sur le retard psychomoteur valide l’hypodelirium.

Peut-on soulager ?

Le médicament reconnu est l’halopéridol, sous forme injectable.9 Les autres antipsychotiques n’ont pas montré de supériorité. Cette molécule ancienne (1957) est administrable per os, par voie sous-cutanée, IM ou IV, en sachant que la voie IV n’a pas l’AMM en France (élargissement du QT comme d’autres neuroleptiques). Ce n’est pas un agent sédatif. Sa demi-vie est variable (de 12 à 35 h). La posologie nécessaire à l’apaisement des symptômes ne saurait être inférieure à 4 mg/j (pas de supériorité vs placebo). Selon l’expérience des spécialistes internationaux, une dose supérieure à 8 mg/j est nécessaire, soulignant l’importance de poursuivre les recherches sur ce syndrome, en particulier pour mieux définir les thérapeutiques.
Ajouter une benzodiazépine (type lorazépam) diminue les doses de secours d’halopéridol et améliore l’agitation moyennant une somnolence plus importante (administré à raison de 2 mg/4 h + 2 mg/h en dose de secours).10
Le plus souvent, l’halopéridol est titré jusqu’à cessation des symptômes, sans relais thérapeutique jusqu’à l’épisode suivant. Cette approche induit un risque de récidive (fréquente), pénible pour le patient, son entourage et les soignants. Elle suppose une réactivité importante du corps médico-soignant, ce qui n’est pas toujours possible.
Voilà pourquoi, dans notre pratique, nous utilisons une seringue électrique pour délivrer en sous-cutané une dose continue sur 24 heures. La posologie quotidienne est à définir en fonction des symptômes, débutant à 8 mg/j et pouvant aller jusqu’à 30 mg/j. Les interdoses de 2,5 mg soulagent rapidement un accès trop inconfortable pour tous. L’ajout d’une benzodiazépine, type midazolam, avec si possible 2 dosages différents pour permettre un rythme jour/nuit (grâce à sa demi-vie autour de 2-3 h), offre la possibilité de poursuivre la communication durant la journée et un confort nocturne pour le malade et sa famille, en particulier au domicile.
Le traitement non médicamenteux est important. La présence des soignants, des proches apaise ; le contact améliore et réduit l’émergence des manifestations pénibles. Il est nécessaire d’éduquer, de soutenir les proches, qui accompagnent eux-mêmes le malade sur ce vécu de la maladie grave si déstabilisant et parfois traumatisant. Cette « prévention » évaluée par l’équipe canadienne de Gagnon, montre cependant ses limites et ne saurait se substituer totalement au traitement médicamenteux.11
Références
1. Bénézech JP. L’enseignement de la clinique palliative : condition nécessaire à l’obstination raisonnable. Médecine palliative 2017;16:325-8.
2. Hui D, Dev R, Bruera E. Neuroleptics in the management of delirium in patients with advanced cancer. Curr Opin Support Palliat Care 2016;10:316-23.
3. Morita T, Tei Y, Tsunoda J, Inoue S, Chihara S. Underlying pathologies and their associations with clinical features in terminal delirium of cancer patients. J Pain symptom Manage 2001;22:997-1006.
4. Fang CK, Chen HW, Liu SI, Lin CJ, Tsai LY, Lai YL. Prevalence, detection, and treatment of delirium in terminal cancer inpatients: a prospective survey. Jpn J Clin Oncol 2008;38:56-63.
5. Mailly M, Bénézech JP, Chevallier-Michaud J. Enquête observationnelle sur le delirium palliatif. La revue de l’infirmière 2017(n° 228):37-8.
6. Laplante J, Cole M, McCusker J, Singh S, Ouimet MA. Confusion Assessment Method: validation d’une version française. Perspect Infirm 2005;3:12-22.
7. Breitbart W, Rosenfeld B, Roth A. Smith MJ, Cohen K, Passik S. The Memorial Delirium Assessment Scale. J Pain Symptom Manage 1997;13:128-37.
8. Gaudreau JD, Gagnon P, Harel F, Tremblay A, Roy MA. Fast, systematic, and continuous delirium assessment in hospitalized patients: the nursing delirium screening scale. J Pain Symptom Manage 2005;29:368-75.
9. Lonergan E, Britton AM, Luxenberg J, Wyller T. Antipsychotics for delirium. Cochrane Database Syst Rev 2007;18:CD005594.
10. Hui D, Frisbee-Hume S, Wilson A, et al. Effect of lorazepam with haloperidol vs haloperidol. Alone on agitated delirium in patients with advanced cancer receiving palliative care. JAMA 2017;19:1047-56.
11. Gagnon P, Allard P, Gagnon B, Merette C, Tardif F. Delirium prevention in terminal cancer: assessment of a multicomponent intervention. Psychooncology 2012;21:187-94.

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essentiel

La fin de vie de nos patients est souvent marquée par manifestations inconfortables pour lui-même et ses proches.

Connaître le delirium palliatif peut permettre l’information de la famille.

Traiter les symptômes est nécessaire au mieux-être de tous, et plus particulièrement si le patient est à domicile.