Neurologie. Elle est la deuxième cause de démence d’origine neurodégénérative, mais son diagnostic est souvent non fait, confondu avec celui de maladie d’Alzheimer. Les hallucinations visuelles sont assez évocatrices.

Mise au point

Qu’est-ce que la démence à corps de Lewy ?

La démence à corps de Lewy est la deuxième cause de troubles neurocognitifs majeurs (nouveau terme pour désigner une démence) d’origine neurodégénérative après la maladie d’Alzheimer. Elle n’a été individualisée que dans les années 1990 avec les premiers cas décrits dans les années 1960. Son nom vient des lésions intra- neuronales observées dans les neurones de certaines régions corticales : les corps de Lewy. Auparavant, ces lésions étaient connues pour exister dans les noyaux pigmentés du tronc cérébral (dont la substance noire) au cours de la maladie de Parkinson ; les corps de Lewy étaient jusque-là considérés comme les marqueurs neuropathologiques pathognomoniques de cette maladie. Dans la démence à corps de Lewy, à côté des corps de Lewy corticaux, on en observe aussi très fréquemment dans les noyaux pigmentés du tronc cérébral. À l’inverse, des corps de Lewy corticaux sont présents dans les maladies de Parkinson évoluées qui s’accompagnent de troubles neurocognitifs majeurs dans plus de 80 % des cas. On comprend donc que ces deux entités partagent largement certaines manifestations cliniques, mais avec une chronologie habituellement inverse ! La progression de la maladie se fait de manière lente, inexorable, par une extension des lésions. La progression est assez variable sans que l’on puisse déterminer pour quels patients l’évolution sera plus rapidement défavorable.

Quels sont ses principaux symptômes et signes ?

Selon les critères de diagnostic de McKeith de 2017,1 l’élément central est l’existence de troubles neurocognitifs majeurs qui sont précédés pendant plusieurs années par des troubles neurocognitifs légers.2 Les troubles neurocognitifs majeurs dans leur profil le plus caractéristique consistent en un syndrome dysexécutif (troubles attentionnels avec des atteintes de la vitesse de traitement et d’exécution, du jugement, du raisonnement, du contrôle…) et des troubles visuo-spatiaux (diffi- cultés de repères dans l’espace, incapacité à voir des objets devant eux...). Les troubles mnésiques peuvent être absents au début de la maladie et vont souvent différer de ceux de la maladie d’Alzheimer par une meilleure réactivité aux indices pour favoriser le rappel et par de meilleures capacités de stockage. Au stade de troubles neurocognitifs majeurs, ces perturbations sont suffisantes pour interférer avec les activités sociales et/ou professionnelles, en touchant en premier lieu les activités instrumentales de vie quotidienne (les plus sensibles : gestion des traitements médicamenteux, transports, communications, dont le téléphone, gestion des finances et tâches administratives). Pour évoquer cliniquement le diagnostic de démence à corps de Lewy, il faut mettre en évidence des signes cardinaux repris dans les critères de diagnostic (tableau 1).1 Ces éléments doivent être identifiés par l’interrogatoire et l’examen clinique.
Les fluctuations cognitives et/ou de vigilance doivent être recherchées activement, car elles ne sont que rarement signalées spontanément. On peut s’aider du questionnaire de la Mayo Clinic qui confronte les déclarations du patient et celle de son entourage (tableau 2).2 Les endormissements diurnes ou une baisse de la vigilance sont fréquents. Ces éléments montrent que la frontière avec des épisodes confusionnels est parfois difficile (voire impossible !) à tracer. De fait, des épisodes confusionnels répétés sans facteur déclenchant identifié peuvent être un mode de début de la démence à corps de Lewy.2
Les hallucinations visuelles préco- ces et non provoquées (notamment par certains médicaments) sont probablement l’élément clinique ayant la meilleure spécificité pour le diag- nostic de démence à corps de Lewy. Elles peuvent précéder les troubles neurocognitifs majeurs et initialement prendre l’aspect de « sensation de passage ou de présence ».2 De manière caractéristique, elles sont décrites comme riches, mettant souvent en scène des personnages humains ou des animaux.3 Elles sont plus ou moins bien critiquées et peuvent être extrêmement angoissantes et s’associer à des épisodes délirants. De façon moins caractéristique, on peut mettre en évidence des hallucinations sur d’autres canaux sensoriels (auditif, sensitif…) ou des illusions.
Les troubles du comportement en sommeil paradoxal peuvent aussi précéder de plusieurs années le diagnostic de démence à corps de Lewy. Il s’agit d’agitation nocturne parfois extrême où le patient, alors qu’il dort, a une activité « comme s’il vivait ses rêves ». Il peut, dans ces circonstances, agresser pendant son sommeil son conjoint qui dort à côté ou faire des chutes traumatisantes du lit. Ces épisodes sont à rechercher systématiquement.
Enfin, le syndrome parkinsonien spontané peut précéder les troubles cognitifs (pas plus de 1 an), mais il survient plutôt au cours de l’évolution de la démence à corps de Lewy. Dans moins de 20 % des cas, il n’apparaît jamais. Ce syndrome parkinsonien est très proche de celui de la maladie de Parkinson. Le tremblement de repos est potentiellement plus rare, et la réactivité au traitement par L-dopa est plus difficile à mettre en évidence compte tenu de la fréquente mauvaise tolérance psychique de ce traitement (hallucinations, confusion…) ou du fait d’une majoration invalidante de l’hypo- tension orthostatique. Une extrême sensibilité aux traitements neuroleptiques avec dégradation motrice majeure par apparition rapide d’un syndrome parkinsonien (parfois après une seule prise !) est également évocatrice du diagnostic. Mais, en réalité, les présentations cliniques de cette maladie sont très variables (motrice, avec éventuellement des chutes, confusion aiguë récurrente, hallucination plus ou moins délires, syncopes souvent sur hypotension orthostatique accompagnée ou non d’autres éléments dysautonomiques, anxiété et dépression).

Qu’est-ce qui la différencie cliniquement de la maladie d’Alzheimer ?

La présentation de la démence à corps de Lewy peut être très différente de celle de la maladie d’Alzheimer, notamment quand la maladie débute par des troubles moteurs associés, par exemple, à des hallucinations importantes. Mais, à l’inverse, les patients et leur entourage peuvent solliciter un avis pour une plainte mnésique, qui est parfois difficile à différencier de celle d’une maladie d’Alzheimer. Cela est d’autant plus vrai que les troubles sont débutants. C’est dans ces cas qu’une consultation spécialisée peut être particulièrement pertinente. Dans les éléments différenciant le mieux la démence à corps de Lewy de la maladie d’Alzheimer, il y a les troubles moteurs et les hallucinations visuelles. Il faut aussi noter que le diagnostic peut être d’autant plus difficile que les corps de Lewy peuvent être associés aux lésions de la maladie d’Alzheimer (plaques séniles et dégénérescences neurofibrillaires) formant des cas « mixtes » dans plus de 50 % des cas des séries clinico-pathologiques.1 Les lésions de la maladie d’Alzheimer influent en tout cas le tableau de la démence à corps de Lewy : plus elles sont nombreuses et moins les hallucinations sont fréquentes !4

Que faire lorsque l’on suspecte le diagnostic ?

Dans ces cas, il est légitime d’adresser les patients en consultation mémoire où une évaluation clinique et neuropsychologique complète peut être faite avec d’autant plus de bénéfice que cela est fait tôt dans l’évolution. Lors de la consultation mémoire, la réalisation des examens complémentaires et notamment ceux pouvant participer à l’établissement du diagnostic (tableau 1) est discutée. Aucun d’entre eux n’est en tout cas suffisant pour établir le diagnostic de démence à corps de Lewy probable ! L’imagerie par résonance magnétique cérébrale n’est que peu contributive mais peut toutefois, à l’inverse de la maladie d’Alzheimer, ne pas montrer d’atrophie hippocampique. Mais lorsque cette atrophie existe, cela n’élimine pas le diagnostic de démence à corps de Lewy… Quant au DAT-scan* (v. figure), il peut rester négatif dans 15 à 20 % des cas durant toute l’évolution de la maladie. La polysomnographie, à la recherche de troubles du comportement en sommeil paradoxal, doit être confiée à des laboratoires expérimentés.

Existe-t-il une prise en charge spécifique qui justifie d’en faire le diagnostic ?

Plusieurs éléments rendent la prise en charge des patients atteints de démence à corps de Lewy spécifique et indispensable. Dans la mesure où beaucoup des troubles des patients sont liés à la sévérité des troubles attentionnels et des fluctuations, il est licite de proposer en premier lieu un traitement anticholinestérasique. Il s’agit des traitements qui ont l’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour la maladie d’Alzheimer (donépézil, rivastigmine et galantamine) en sachant que seule la rivastigmine (Exelon) a aussi l’AMM pour la démence de la maladie de Parkinson (très proche de la démence à corps de Lewy). Ces traitements visent à améliorer les problèmes attentionnels, avec un effet bénéfique plus important que dans la maladie d’Alzheimer du fait du déficit cholinergique plus important.5 Ils peuvent diminuer les hallucinations. La tolérance et les effets indésirables ne sont pas différents de ceux observés dans la maladie d’Alzheimer. La question va se poser pour ces patients de l’accès à ces traitements puisque le ministère a décidé de les dérembourser à partir du 1er août 2018 dans toutes leurs indications. L’ensemble des professionnels des consultations mémoire ainsi que des sociétés savantes ont communiqué (communiqué de presse et lettre ouverte à la ministre de la Santé) pour exprimer leur désaccord estimant que malgré l’efficacité modeste de ses traitements, ils avaient leur place dans la prise en charge de la maladie d’Alzheimer, de la démence parkinsonienne et de la démence à corps de Lewy. Certaines données laissent d’ailleurs penser que les inhibiteurs de la cholinestérase sont plutôt plus efficaces sur la composante attentionnelle (spectaculaire dans certains cas) dans la démence à corps de Lewy que dans la maladie d’Alzheimer. Par ailleurs, aucune étude scientifique ne permet de confirmer les allégations de dangerosité de ces traitements et il n’y a pas eu d’alerte de pharmacovigilance qui aurait pu dans ce cas amener au retrait de ces traitements.
Le traitement des troubles moteurs justifie de mettre en place une rééducation par kinésithérapeute et de discuter un traitement par L-dopa (comme dans la maladie de Parkinson) avec une introduction à très faibles doses et lentement progressive. Le risque est une aggravation des problèmes psychiques (hallucinations, délire) et/ou cognitifs sous forme de confusion. Des hallucinations et/ou délires devenant très perturbants (voire dangereux !) pour le patient peuvent nécessiter un traitement antipsychotique. Le recours à des neuroleptiques « classiques » doit être évité au maximum compte tenu de la sensibilité des patients atteints de démence à corps de Lewy aux effets indésirables de ces produits, pouvant au pire mettre en jeu leur pronostic vital (syndrome malin des neuroleptiques beaucoup plus fréquent). C’est pourquoi on aura souvent recours à la clozapine qui nécessite toutefois un contrôle de l’hémogramme une fois par semaine pendant 18 semaines, puis une fois par mois. Les troubles du comportement en sommeil paradoxal relèvent d’un traitement par la mélatonine, qui peut nettement les améliorer.
Mais, comme pour toutes les autres maladies neurodégénératives, on ne dispose pas d’un traitement influençant l’évolution de la maladie dont le reste de la prise en charge est tout à fait superposable à celui la maladie d’Alzheimer avec l’im- portance de la stimulation cognitive, du recours aux hôpitaux et accueil de jour, à une équipe spécialisé Alzheimer, à la demande d’exonération du ticket modérateur…
La progression de la maladie est classiquement plus péjorative que celle de la maladie d’Alzheimer. En réalité, aucune donnée sérieuse sur un nombre suffisant n’existe, et l’évolution est extrêmement variable d’un patient à un autre. L’association d’une démence à corps de Lewy avec des lésions de maladie d’Alzheimer est, en revanche, bien identifiée comme de moins bon pronostic. Une prise en charge suivant les principes indiqués et une surveillance étroite de ces patients pour éviter toute iatrogénie permettent, dans un certain nombre de cas, d’avoir une faible évolutivité et de réduire les expressions gênantes de la maladie. 
 

* Le DAT-scan est une imagerie cérébrale fonctionnelle (utilisant le 123I-FP-CIT) qui étudie le système dopaminergique qui est proposée pour le diagnostic de la maladie de Parkinson et la démence à corps de Lewy.
Références

1. McKeith IG, Boeve BF, Dickson DW, et al. Diagnosis and management of dementia with Lewy bodies: Fourth consensus report of the DLB Consortium. Neurology 2017;89:88-100.
2. Blanc F, Verny M. Prodromal stage of disease (dementia) with Lewy bodies, how to diagnose in practice? Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2017;15:196-204
3. Uchiyama M, Nishio Y, Yokoi K, et al. Pareidolias: complex visual illusions in dementia with Lewy bodies. Brain 2012;135:2458-69.
4. Merdes AR, Hansen LA, Jeste DV, et al. Influence of Alzheimer pathology on clinical diagnostic accuracy in dementia with Lewy bodies. Neurology 2003;60:1586-90.
5. Wang HF, Yu JT, Tang SW, et al. Efficacy and safety of cholinesterase inhibitors and memantine in cognitive impairment in Parkinson’s disease, Parkinson’s disease dementia, and dementia with Lewy bodies: systematic review with meta-analysis and trial sequential analysis. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2015;86:135-43

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Résumé

La démence à corps de Lewy est la deuxième des maladies neurodégénératives en cause dans la survenue de troubles neurocognitifs majeurs, en particulier dans la population âgée. Sa présentation est très polymorphe, et le diagnostic reste souvent non fait alors que des implications pratiques dans sa prise en charge existent. Nous passerons en revue les caractéristiques de cette maladie pour qu’elle soit plus facilement évoquée en médecine générale, et nous évoquerons les grands principes de sa prise en charge.