La population française reste l’une des plus méfiantes, à l’échelle mondiale, vis-à-vis des vaccins. La désinformation se répand aujourd’hui d’autant plus vite avec l’essor des réseaux sociaux – et les médias ne sont pas en reste –, pouvant atteindre des personnes auparavant acquises à la vaccination. Que peut faire le médecin pour lutter contre ces infox au cabinet ? Comment rassurer ? Nous avons fait le point avec le collectif « Vaccination et lien social », spécialiste de la démystification de fausses informations.

Pourquoi y a-t-il besoin de médiation scientifique sur le sujet des vaccins ?

Nous assistons aujourd’hui à une défiance croissante de la population vis-à-vis des pouvoirs publics et des professionnels de santé, avec les conséquences que l’on sait en matière de santé publique et de prévention. 

À « Vaccination et lien social », il nous a donc semblé fondamental de créer un lien entre les gens qui se posent des questions sur les vaccinations et des experts. L’idée est, entre autres, de participer à mieux expliquer les politiques gouvernementales, dont la communication n’est pas toujours intelligible pour le grand public, sans pour autant adopter la relation verticale qui caractérise cette dernière… 

Notre pari est ainsi d’établir une relation horizontale, humaine et pédagogique – on a vu les limites d’une communication institutionnelle fondée simplement sur « La vaccination est efficace, prenez rendez-vous ». Nous sommes très engagés sur les réseaux sociaux, où nous apportons des réponses précises aux questions que peuvent se poser les gens sur tel ou tel vaccin.

La relation d’écoute est au cœur de la démarche : entendre les peurs des gens est très important, car même lorsqu’elles paraissent irrationnelles, les négliger peut mener à l’échec de l’adhésion vaccinale. Il suffit parfois d’une petite information « déclic » pour lever les craintes.

Comment les médecins peuvent-ils mettre à profit vos outils au quotidien ?

Lorsque les professionnels de santé cherchent des informations sur les vaccins, ils disposent de ressources comme infovac.frvaccination-­info-service.fr/ et mesvaccins.net, mais il n’y a pas vraiment d’équivalent à destination des patients (informations fiables, réunies en un seul endroit) : c’est ce que nous proposons.

On trouve sur notre site internet (https ://vls.direct/) un grand nombre d’outils pouvant être précieux en consultation, pour orienter les patients et aider à répondre à leurs questions. Sur nos réseaux sociaux (v. encadré), nous publions quotidiennement des informations sur les vaccins, en rapport avec l’actualité.

Notre site internet est riche en contenus accessibles à tous, classés par thèmes (Vaccins, comment ça marche ? ; Vaccination et voyages ; La vaccination expliquée aux enfants ; Politiques de santé publique et organisation de la vaccination, etc. ; contenus à destination des sourds et malentendants ; bientôt, du contenu papier téléchargeable sera aussi disponible…). C’est utile non seulement pour permettre de gagner du temps en consultation mais aussi parce que les médecins ne sont pas toujours au courant des éléments de désinformation qui circulent via les réseaux antivaccins ! Alors que nous, nous y sommes confrontés tous les jours et avons l’habitude d’y répondre…

Mais nos outils ne sont pas destinés qu’aux patients : les praticiens aussi y trouvent leur compte, car le site a également une rubrique Actualités, qui regroupe les dernières informations sur les vaccinations à destination des professionnels de santé – là encore, on essaie de pallier une communication institutionnelle parfois lente (alors que la désinformation circule toujours, au contraire, à une vitesse fulgurante…). Étant donné que notre plateforme est collaborative, les médecins (et tout un chacun) peuvent aussi proposer des sujets et des contenus (analysés par notre équipe de validation avant d’être publiés).

Enfin, pour tout public intéressé, nous organisons des débats autour de la vaccination faisant intervenir des experts.

Quelles sont les infox les plus courantes concernant les vaccins ?

Pour les vaccins « classiques », vivants atténués et inactivés, elles concernent surtout l’idée qu’ils détériorent l’immunité et provoquent des maladies : les sels d’aluminium seraient à l’origine des myofasciites à macrophages, le vaccin contre l’hépatite B de la sclérose en plaques, le vaccin ROR de l’autisme, etc. Ces idées reçues, bien qu’anciennes et largement démenties, ont la vie dure…

Pour les nouveaux vaccins à ARNm contre le SARS-CoV-2, il y a eu une énorme défiance à l’égard de la rapidité de leur développement, et l’idée qu’ils seraient encore « en phase expérimentale » (« Nous sommes des cobayes ») ; certains effets indésirables non graves sont amplifiés sur les réseaux sociaux, comme ceux sur les menstruations (entraînant même des peurs sur un risque d’infertilité) ; sans parler de l’inquiétude de « modification de nos gènes » par la technologie, mal comprise, de l’ARNm ou la formulation en nanoparticules…

Ces craintes – que l’on peut comprendre plus aisément que les histoires de graphène et de 5G, circonscrites à des sphères antivax « dures », très minoritaires – peuvent être abordées efficacement par les médecins pour dissiper l’hésitation vaccinale. Il faut en effet faire la différence entre les antivaccins radicaux, minoritaires (environ 2 % de la population), pour lesquels on ne peut pas faire grand-chose, et les personnes qui hésitent mais sont accessibles au raisonnement : c’est avec ces dernières qu’il faut passer du temps, en faisant preuve d’écoute et de patience.

Quels arguments pour y répondre ?

Pour les craintes liées à la vaccination et le risque de développer telle ou telle maladie, on peut se référer aux études disponibles ne montrant aucune association. Mais, en pratique, c’est difficile d’expliquer aux patients qu’en sciences on ne peut pas écarter le risque théorique, si infime soit-il ; le fait que la science ne puisse jamais affirmer de façon ferme et définitive quelque chose – car elle parle de faits et non de vérité – est difficile à entendre pour un patient inquiet.

Pour la même raison, parler de balance bénéfice-risque est souvent inutile, car il s’agit d’une statistique faite sur des milliers, voire des millions, de cas : quelqu’un qui est inquiet ne pense pas à l’échelle de la population mais de l’individu, c’est-à-dire de lui-même (« Même si le risque est infime : et si c’était moi [ou mon fils, etc.] ? »). Les statistiques sont en ce sens quelque chose de trop froid. De ce point de vue, les médias n’aident pas car, à la recherche de toujours plus de clics, ils amplifient souvent le retentissement de certains cas rarissimes.

Il peut être en revanche plus utile de les pousser gentiment dans leurs retranchements : on peut mener la discussion plus loin, en allant dans le sens de leur discours pour éventuellement en révéler les incohérences – arrivera un moment où ils se diront peut-être : « En effet, il y a quelque chose qui ne va pas dans ce que j’ai dit... ». Agir sur la fibre émotionnelle peut être efficace, en expliquant le danger que peuvent représenter ces maladies en l’absence de vaccination. Sur le terrain, on constate – en particulier en ce qui concerne la vaccination des tout-petits – qu’entendre le témoignage des autres parents a beaucoup de poids (une mère qui raconte les ravages d’une méningite sur son bébé, par exemple...). Mais, prudence, car cela peut être une arme à double tranchant : l’émotion est aussi le levier principal de la désinformation et peut conduire à fermer la discussion.

Comment lutter à plus large échelle contre la diffusion des infox ?

Il y a aujourd’hui une banalisation de beaucoup d’arguments mettant en cause certains vaccins, sans véritable fondement. Les médias ont une lourde responsabilité. Pensons à l’omniprésence sur les plateaux de télévision de certains médecins très médiatiques ; ou au documentaire Des vaccins et des hommes, diffusé fin 2022 sur Arte, qui, avec un faux vernis scientifique, donne une certaine légitimité intellectuelle à des arguments pourtant largement démentis (par exemple sur le vaccin anti-HPV). Avec ce genre de messages, combien de personnes ayant des doutes n’ont-elles pas basculé vers l’hésitation vaccinale, voire l’antivaccinalisme ?

Une loi dite « anti-fake news » (loi n° 2018-1202 relative à la lutte contre la manipulation de l’information) a été promulguée en 2018, mais elle ne concerne que les élections, lorsqu’il y a un risque de trouble à l’ordre public. La santé publique n’y est pas comprise : on ne peut qu’espérer que la loi soit amendée en ce sens… Il y aura bientôt des assises nationales dédiées aux dérives sectaires et aux fake news, peut-être est-ce l’occasion d’imaginer une loi qui délimiterait bien les frontières entre liberté d’expression et désinformation – avec la mise en danger inhérente à cette dernière, lorsqu’elle touche à la santé.

Enfin, pour des cas ponctuels de désinformation relayée par les médias, les instances sanitaires devraient réagir en communiquant largement. Les médias eux-mêmes peuvent aussi se saisir de ce problème : certains ont déjà mis en place des services de fact check, par exemple. Mais il y a encore du chemin à faire !

Encadre

Vaccination et lien social : qu’est-ce que c’est ?

Collectif créé par deux médecins, dans le but de « réconcilier la France avec l’idée vaccinale »,VLS fédère des personnes, des associations et des structures impliquées dans la promotion d’une information validée autour de la vaccination. Il s’agit d’un espace d’échange entre toutes personnes qui se poseraient des questions et des volontaires œuvrant pour la vaccination, qui viennent de milieux très différents et complémentaires (médecins et pharmaciens de terrain, mais aussi chercheurs, enseignants, patients-experts, citoyens impliqués, etc.). Le but est d’apporter une information simple rationnelle et scientifiquement étayée aux personnes qui doutent avec sincérité de l’intérêt de la vaccination.

Cette initiative est portée par Open Rome (bureau d’études et d’ingénierie en santé et environnement) et nile (agence d’affaires publiques dédiée aux acteurs de la santé) ; elle bénéficie actuellement du soutien institutionnel de Sanofi et GSK ; la recherche de soutiens étatiques et des sociétés savantes (obstétrique, pédiatrie, infectiologie...) est en cours.

En pratique, VLS propose :

  • un site internet avec des informations simples précises, scientifiquement validées : https://vls.direct/ ;
  • des comptes sur les réseaux sociaux pour répondre aux questions des internautes : @VLSdirect sur Twitter, Vaccination et Lien Social sur Linkedin et Facebook, vaccination_et_lien_social sur Instagram, @vaccinationliensocial3967 sur YouTube ;
  • des ateliers mensuels avec des spécialistes de la vaccination, ouverts à tous ;
  • une newsletter (abonnement possible sur le site).