Le terme arbovirus (« arthropod-borne virus ») désigne tout virus transmis par un vecteur appartenant à l’embranchement des arthropodes (moustiques, tiques, culicoïdes, phlébotomes). Trois de ces arboviroses sont particulièrement surveillées en France aujourd’hui : la dengue, le chikungunya et le Zika, transmis par les moustiques du genre Aedes (moustique tigre), mais parfois aussi par voie interhumaine (maternofœtale ou sexuelle).
Des recrudescences épidémiques récentes dans les zones tropicales ou subtropicales couplées à l’implantation durable de leur vecteur dans la plupart des départements français (fig. 1) font craindre, en effet, des épidémies de transmission autochtone de ces trois pathogènes sur le territoire métropolitain, en dehors de leur présence historique dans les territoires ultramarins – une situation impensable avant les années 2000.
Des maladies de plus en plus fréquentes
Ces dernières décennies ont été marquées à la fois par l’incidence croissante de ces virus et par leur diffusion dans de nouvelles zones géographiques. Plusieurs causes ont été identifiées :
- modifications écologiques des cycles virus-vecteur-vertébré ;
- réchauffement climatique ;
- accroissement de la population urbaine exposée aux moustiques ;
- augmentation des voyages et des migrations, essor des transports internationaux ;
- inégalités sociales et d’accès aux soins.
L’amélioration des outils diagnostiques et des procédures de déclaration des cas a également permis de mieux détecter ces émergences.
C’est surtout le cas pour la dengue : en France hexagonale, le nombre de cas importés ces dernières années est inédit depuis la mise en place de la surveillance en 2006. En 2023, 2 524 cas importés ont été enregistrés, dont 71 % provenaient de Guadeloupe ou Martinique, avec des pics en août et pendant les vacances de la Toussaint. En 2024 , près de 3 000 cas importés ont été recensés entre janvier et début juillet. Ces chiffres s’expliquent autant par les épidémies majeures de dengue qui touchent l’Amérique du Sud depuis 2023 que par une amélioration du diagnostic et de la déclaration et une meilleure sensibilisation des voyageurs.
Les cas de transmission autochtone de dengue augmentent aussi depuis 2022(fig. 2). L’année 2023 confirme la tendance avec neuf foyers de transmission pour un total de 45 cas (vs 9 foyers pour 66 cas en 2022), en Provence-Alpes-Côte d’Azur (n = 4), Occitanie (n = 3), Auvergne-Rhône-Alpes (n = 1) et Île-de-France (n = 1). Ce dernier foyer actait la première transmission de dengue dans une zone aussi septentrionale en Europe. En 2024, 1 cas autochtone (Occitanie) avait été détecté au 17 julliet.
Quant au chikungunya et au Zika, respectivement 44 et 11 cas importés (et une co-infection dengue-chikungunya) ont été enregistrés en 2023, et respectivement 9 et 3 cas au premier semestre 2024, provenant principalement d’Asie. Depuis 2010, trois épisodes épidémiques autochtones de chikungunya (31 cas, fig. 2) ont été signalés ; aucun ne l’a été depuis 2017, mais le risque d’émergence d’un cycle écologique local apparaît important dans les zones fortement colonisées, et depuis longtemps, par A. albopictus. Pour le virus du Zika, en revanche, le risque épidémique en Europe est encore estimé faible aujourd’hui (Aedes serait un mauvais vecteur).
Tableaux cliniques et traitements
En pratique, une fièvre d’apparition brutale au retour d’un voyage intertropical doit toujours faire évoquer ces arboviroses et conduire à la prescription d’analyses biologiques recherchant simultanément les trois infections (RT-PCR et/ou sérologie, en fonction de la date de début des signes du patient : fig. 3), d’autant plus que leurs tableaux cliniques sont très similaires à la phase aiguë (v. tableau ci-contre pour des signes permettant d’orienter vers l’un ou l’autre des diagnostics).
Les cas doivent être signalés (maladies à déclaration obligatoire) ; pour éviter la mise en place d’un cycle de transmission autochtone, une lutte antivectorielle est mise en place par l’ARS et les patients doivent se protéger contre les piqûres de moustiques (encadré 1).
Dengue : des tableaux polymorphes et une évolution imprévisible
Le virus responsable de la dengue est dit à ARN positif, du genre Flavivirus, et comprend quatre sérogroupes (Denv- 1, Denv- 2, Denv- 3, Denv- 4) sans immunité croisée entre eux. Après une première infection, la contraction d’un nouveau sérotype augmente le risque de survenue d’une dengue sévère, par phénomène de facilitation immunologique.
Majoritaires, les formes asymptomatiques (apyrétiques) ou paucisymptomatiques (75 - 90 % des cas) contrastent avec les rares formes graves, voire létales.
Forme classique : évolution rapidement favorable
La forme dite classique est principalement un syndrome grippal sans signes respiratoires. Après une période d’incubation de 4 à 7 jours (extrêmes : 2 - 14 jours) apparaît une fièvre brutale, durant de 2 à 6 jours, associée à une asthénie intense et une composante algique : céphalées rétro-orbitaires, myalgies, arthralgies, lombalgies.
Un exanthème maculeux ou maculopapuleux, faciotronculaire, est présent dans la moitié des cas. Volontiers purpurique aux membres inférieurs, il peut être de localisation palmaire ou palmoplantaire et prurigineux.
D’autres signes possibles : digestifs (anorexie, nausées, vomissements, douleurs abdominales et diarrhées), hémorragiques mineurs dont la valeur pronostique est incertaine (pétéchies, purpura, épistaxis, gingivorragies), dysgueusie, paresthésies. Hépatosplénomégalie et adénopathies sont décrites.
L’évolution est favorable en 7 à 8 jours, mais une asthénie résiduelle prolongée peut être observée.
Forme sévère : 7 signes d’alerte
Dans 2 à 4 % des cas, un syndrome de fuite plasmatique, pouvant évoluer vers un état de choc, apparaît après 4 à 7 jours de dengue « classique », au moment de la défervescence thermique.
Pendant cette phase critique (J4 -J7), les signes d’alerte suivants – définis en 2009 par l’OMS et dont la valeur pronostique est reconnue – justifient une prise en charge hospitalière urgente :
- douleurs abdominales persistantes et d’intensité croissante ;
- vomissements persistants ;
- épanchements séreux ;
- hémorragies muqueuses ne cédant pas spontanément ;
- agitation ou somnolence ;
- hépatomégalie ;
- baisse rapide des plaquettes associée à une élévation de l’hématocrite.
Parmi les facteurs de risque de dengue sévère :
- grossesse (en particulier au 3e trimestre) ;
- âges extrêmes (moins de 2 ans, plus de 65 ans) ;
- immunodépression ;
- pathologies chroniques (diabète, obésité, insuffisance cardiaque, asthme, hépatopathies chroniques) ;
- syndromes drépanocytaires majeurs : formes S/S, S/C ou S/bêtathalassémie.
Le traitement est uniquement symptomatique, en l’absence de traitement antiviral spécifique. Dans les formes bénignes, il associe le repos, une hydratation et des antalgiques à base de paracétamol (risque d’hépatite). Dans les formes sévères, la prise en charge en réanimation n’empêche pas une lourde mortalité, qui s’élève à 40 %.
Absolument contre-indiqués : aspirine et anti-inflammatoires (risque hémorragique et rénal).
Chikungunya
Symptomatique chez 75 à 95 % des personnes, la maladie se manifeste comme une fièvre éruptive bénigne, apparaissant après une incubation médiane de 3 jours (2 à 10 jours) : fièvre élevée avec des polyarthralgies intenses, des myalgies et des céphalées provoquant une impotence fonctionnelle. L’éruption est maculopapulaire sur la face, le torse et les jambes, et des troubles digestifs sont possibles.
Les symptômes régressent en une semaine environ, mais laissent parfois des arthralgies handicapantes pendant plusieurs mois voire années (en makondé, « chikungunya » signifie « homme courbé »). Au sein de ces formes chroniques, qui concerneraient jusqu’à 50 % des cas des années après la phase aiguë, on distingue les rhumatismes inflammatoires (pronostic fonctionnel le plus grave) et les troubles musculosquelettiques (les plus fréquents).
Des complications neurologiques peuvent survenir : syndrome de Guillain-Barré, méningo-encéphalite, névrite optique. Le taux de mortalité est faible (1 % en moyenne) et concerne principalement les nouveau-nés, les immunodéprimés et les personnes âgées.
Les facteurs de risque identifiés sont superposables à ceux de la dengue.
Le traitement est aussi purement symptomatique, avec une grande prudence concernant la prescription d’AINS qui pourraient avoir un effet aggravant.
Zika
Depuis la grande vague épidémique de 2013 - 2016 qui a atteint l’océan Pacifique puis l’Amérique latine, les cas ont diminué mais restent identifiés dans plusieurs pays. Aucun foyer épidémique n’est actuellement rapporté dans le monde.
Si le virus est principalement transmis par A. albopictus , celui-ci est un vecteur de compétence relativement médiocre. D’autres vecteurs possibles mais de compétence moindre sont les moustiques Culex, Anopheles et Mansonia. Des transmissions sexuelles, maternofœtales et sanguines ont été largement décrites.
En dehors des cas asymptomatiques (environ 80 %), le tableau clinique est proche de celui de la dengue à l’exception des douleurs rétro-orbitaires, absentes (tableau). La résolution est spontanée en 4 à 7 jours. Des formes neurologiques ont été décrites comme étant significativement associées à des syndromes de type Guillain-Barré.
Les manifestations maternofœtales sont de loin les plus importantes, avec la survenue de malformations cérébrales et de retard cognitif dans les cas des infections du 1er et 2e trimestres de grossesse. Les voyages en zone de circulation supposée ou avérée du virus Zika sont donc déconseillés aux femmes enceintes.
Prévention
La lutte antivectorielle (protection personnelle et lutte contre les gîtes larvaires, encadré 1) est la pierre angulaire de la prévention, a fortiori autour d’un cas pendant la phase fébrile. Des mesures novatrices de lutte antivectorielle sont actuellement expérimentés dans plusieurs pays intertropicaux, fondées notamment sur des moustiques modifiés génétiquement (encadré 2).
Vaccination :
- Contre la dengue, le vaccin Dengvaxia (quatre sérotypes) est le seulautorisé en France aujourd’hui. Il est indiqué uniquement chez les sujets âgés de plus de 6 ans et de moins de 45 ans avec antécédents d’infection et vivant dans des zones d’endémie. Il n’y a pas d’indication pour le voyageur. Récemment, un second vaccin (Qdenga) a été préqualifé par l’OMS, recommandé pour les enfants âgées de 6 à 16 ans dans des contextes de forte transmission.
- Le premier vaccin contre le chikungunya (Ixchiq) pour les adultes vient d’être autorisé par la Commission européenne. Il n’y a pas, à ce jour, de recommandation vaccinale en France.
- Il n’existe pas de vaccin contre le Zika actuellement ; plusieurs sont en cours d’étude.
Mesures de protection personnelle et lutte antivectorielle
Le moustique tigre est essentiellement urbain et pique surtout le jour, avec un pic d’activité en début et fin de journée. Il est silencieux et de petite taille (inférieure à une pièce de 1 centime d’euro), avec des rayures noires et blanches.
Les bons gestes pour éviter les piqûres : porter des vêtements amples et couvrants, utiliser des répulsifs antimoustiques cutanés sur les zones découvertes. Mesures d’appoint : ventilateurs, climatisation, diffuseurs électriques (intérieur), serpentins fumigènes (extérieur). L’imprégnation des vêtements par le DEET et l’IR3535 est possible, mais l’imprégnation par des pyréthrinoïdes, dont perméthrine, n’est plus recommandée depuis 2022.
Pour les voyageurs : pendant les 15 jours suivant le retour d’une région où circule le virus, il est recommandé de continuer à se protéger contre les piqûres de moustique pour éviter la dissémination du virus. Brochure pour les voyageurs à télécharger ici.
La lutte contre les gîtes larvaires est importante : détruire ses lieux de ponte par la suppression des eaux stagnantes (tout réservoir d’eau, vases, coupelles, fûts, bidons, vieux pneus, etc.), éliminer ses lieux de repos (végétation) en élaguant les arbres et débroussaillant haies et herbes hautes (conseils à retrouver sur le site de l’Anses).
Des affiches et brochures rappelant les bons gestes peuvent être téléchargées sur le site de l’ARS Île-de-France : https ://www.calameo.com/ars-ile-de-france/books/006779761d507bd88a541
Moustiques OGM : nouvelle modalité de lutte contre les arboviroses ?
Plusieurs expérimentations avec des moustiques « modifiés » – pour empêcher soit la transmission des arboviroses soit directement la prolifération de la population des moustiques – ont eu lieu ces dernières années, notamment en Amérique du Sud et aux États-Unis.
Des moustiques A. aegypti peuvent être génétiquement modifiés par l’incorporation d’ungène létal pour la progéniture femelle. D’une part, cela réduit la population de moustiques dans son ensemble, par l’élimination de la moitié de tous les nouveaux moustiques à chaque génération. D’autre part, ils ne piquent pas, puisque seules les femelles moustiques piquent, lors des repas sanguins destinés à nourrir les larves. En 2021, le premier essai à grande échelle avec ce type de moustiques a été mené aux États-Unis (plusieurs millions ont été relâches en Floride), avec des résultats encourageants selon la compagne Oxitec responsable de l’étude. Les résultats n’ont pas encore été publiés.
Une autre méthode consiste à infecter les larves avec une bactérie (Wolbachia) qui empêche la prolifération des virus dans le moustique. Des programmes à grande échelle ont été conduits au Brésil et en Colombie depuis 2014 par le World Mosquito Program, avec de très bons résultats, rapportés dans le NEJM en 2021 (cas de dengue réduits de 77 % et de plus de 80 % pour les hospitalisations). La méthode est aujourd’hui utilisée dans des dizaines de pays ; en 2020, les données ont été soumises à l’OMS pour une éventuelle recommandation générale de ce moyen de contrôle de la dengue. Des recherches utilisant d’autres bactéries sont aussi en cours.
Santé publique France, ARS Grand-Est. Dengue, Chikungunya et Zika. 17 mai 2024.
ARS Grand Est. Surveillance épidémiologique des arboviroses transmises par le moustique tigre : dengue, chikungunya et zika. 4 juillet 2024.
Panamerican Health Organization. Evidence synthesis: guidelines for diagnosis and treatment of dengue, chikungunya, and zika in the Region of the Americas. 2022.
Bessis S. Infections émergentes. Rev Prat Med Gen 2024;38(1088);273-80.
Rapp C. Dengue : une infection émergente. Rev Prat 2020;70(3);318-25.
Cabié A. Chikungunya. Après la phase aiguë, la prise en charge doit être pluridisciplinaire. Rev Prat 2020;70(3);336-40.
Bourée P. Dengue, chikungunya, Zika : il faut s’y préparer ! Rev Prat (en ligne) 21 décembre 2023.
Carles M, Cabie A, Gourjault C, et al. Dengue. Spilf 5 juin 2024.
Santé publique France. Zika. 10 juillet 2024.