Le moustique tigre Aedes albopictus, originaire d’Asie du Sud-Est, est longtemps resté dans une zone allant du Pacifique à l’Océan Indien. Mais, à partir des années 1970, il s’est répandu vers l’Amérique et l’Afrique puis vers le pourtour méditerranéen et l’Europe. Il est maintenant présent dans plus de 100 pays répartis sur les cinq continents, sauf en Antarctique.
Aedes albopictus (Skuse, 1894) est un insecte de la famille des culicidés, décrit pour la première fois à Calcutta en 1894. Il est petit (5 à 6 millimètres) et facile à identifier. En effet, il est noir avec des rayures noires et blanches sur les pattes et une ligne blanche sur son thorax, d’où son nom (fig. 1). C’est un moustique urbain qui vit environ un mois et dont la distance de vol est inférieure à 1 km. Il se nourrit de nectar. Les femelles, une fois fécondées, sont assez agressives, ayant une activité diurne. Elles sont attirées par le CO2 de la respiration et les odeurs dégagées par la microflore de la peau. Elles piquent l’homme et les animaux surtout à l’aube et au crépuscule pour absorber le sang contenant les protéines nécessaires à la maturation des œufs. Elles vivent en zones chaudes et humides, mais elles peuvent rester au repos, sans repas sanguin, pendant plusieurs semaines si les conditions sont défavorables, ces moustiques ayant une grande capacité d’adaptation à l’environnement.
La femelle pond 50 à 500 œufs sur un support solide à quelques millimètres au-dessus d’une eau stagnante, dans des gîtes naturels (creux de rocher, trous d’arbres, petites flaques d’eau) ou artificiels (pots de fleurs, gouttières, vieux pneus ou divers récipients). Ces œufs sont assez résistants et peuvent être transportés très loin, en particulier avec les moyens de transports. En climat tempéré, ces œufs se mettent en diapause en attendant les conditions favorables. Après éclosion, les larves se développent dans très peu d’eau en se nourrissant de débris organiques. En une semaine, les larves muent en nymphes d’où naissent les adultes en 3 jours.
Du fait de l’expansion des transports de marchandises, en particulier de pneus, le moustique tigre a été identifié aux États-Unis (Texas) en 1985 et au Brésil en 1986 puis s’est répandu sur tout le continent américain. Il a été retrouvé au Nigeria en 1991 puis dans toute l’Afrique, puis en Australie en 2005. En Europe, sa présence a été décelée dès 1990 en Italie puis dans d’autres pays. En France, il a été identifié transitoirement en Normandie en 1999 puis durablement dans les Alpes-Maritimes en 2004 et a rapidement progressé ; aujourd’hui, il a déjà envahi 71 départements, y compris la région parisienne (fig. 2).
Les Aedes sont des vecteurs potentiels de différentes arboviroses. En effet, après un repas sanguin pris sur un sujet infecté, les virus pénètrent dans les cellules épithéliales du moustique où ils se reproduisent puis gagnent les glandes salivaires en une dizaine de jours. Ils seront alors transmis avec la salive lors de la piqûre suivante. Quand il est infecté, le moustique reste transmetteur pendant toute sa durée de vie. Aedes albopictus a été trouvé porteur de 22 espèces d’arbovirus ! Les principaux sont la dengue, le chikungunya et le Zika.
Dengue
La dengue est la plus fréquente des arboviroses. Elle est due à quatre virus à ARN (DEN 1 à DEN 4), de la famille des Flaviridae, mais il n’y a pas d’immunité croisée entre eux. Sans parler des cas d’importation au retour d’un voyage, plusieurs cas de dengue « autochtone » ont été diagnostiqués dans 67 départements en France ces dernières années. Ces virus sont transmis par Aedes aegypti et Aedes albopictus en zones tropicales et par Aedes albopictus en zones tempérées. Par ailleurs, Aedes aegypti est présent aux Antilles, en Guyane et à Mayotte où a eu lieu une importante épidémie de dengue en 2020. Pour qu’une transmission de virus soit possible, le moustique doit piquer un sujet en phase virémique, c’est-à-dire 2 jours avant l’apparition des symptômes et jusqu’à 2 jours après la disparition de la fièvre, soit une durée totale de 5 à 10 jours.
La dengue atteint chaque année 200 à 400 millions de personnes en zones tropicales et subtropicales, mais elle reste asymptomatique dans 80 % des cas. Dans les autres cas, après une incubation moyenne d’une semaine, deux formes de dengue sont possibles. La forme « classique » se manifeste par une fièvre élevée avec frissons, céphalées, nausées, vomissements, arthralgies, myalgies et une éruption cutanée. Ces symptômes vont régresser en une à deux semaines environ, mais les patients peuvent garder une asthénie pendant plusieurs mois. La forme sévère (5 % des cas symptomatiques), due à une augmentation de la perméabilité vasculaire, peut évoluer vers un choc et des hémorragies de mauvais pronostic, avec une mortalité de 1 % à 20 %. Habituellement, une dengue primaire est une forme classique, mais une dengue secondaire (deuxième infection avec un autre virus) a un risque important d’évoluer vers une forme grave. Les patients ont des douleurs abdominales intenses, des vomissements incessants avec parfois du sang, une polypnée, des gingivorragies et une asthénie profonde.
Outre les arguments épidémiologiques, le diagnostic de dengue est affirmé dans les premiers jours par la détection du génome par PCR. La recherche des anticorps est effectuée par Elisa. Les IgM apparaissent à partir du 5e jour après les symptômes cliniques et persistent 2 à 3 mois. Les IgG apparaissent peu après mais persistent toute la vie (fig. 3). Sans présence d’IgM, le diagnostic de dengue récente est établi sur une augmentation significative du taux d’IgG à 15 jours d’intervalle. Par ailleurs, le bilan biologique retrouve une leucopénie, une thrombopénie, une augmentation de la CRP et des enzymes hépatiques. Un diagnostic différentiel peut se poser avec le chikungunya, un paludisme, une leptospirose, une fièvre typhoïde ou encore des rickettsioses.
À défaut de traitement spécifique, il faut réhydrater et traiter les symptômes avec du paracétamol, en évitant l’aspirine et les anti-inflammatoires. En cas de formes sévères, le patient doit être hospitalisé pour traiter l’état de choc hémodynamique. La prophylaxie est basée sur la protection contre les moustiques (répulsifs et suppression des lieux de ponte). Le vaccin Dengvaxia n’ayant pas donné les résultats espérés, d’autres travaux sur ce sujet sont en cours (encadré).
Chikungunya
Le chikungunya est une arbovirose due à un alphavirus (famille des Togaviridae), transmis par des femelles Aedes : A. aegypti ou A. albopictus, en Afrique et en Asie. Elle s’est par la suite propagée aux Antilles et sur tout le continent américain. Les premiers cas européens autochtones ont été détectés en Italie en 2007 et en France en 2010. Il s’agit d’un virus à ARN, rond, de 70 nanomètres (fig. 4), qui a été décrit en 1952 en Afrique de l’Est. Le nom de la maladie vient du swahili qui évoque « la maladie de l’homme courbé » en fonction de l’importance des arthralgies. Le mode de transmission est identique à celui de la dengue. Le réservoir est essentiellement le singe.
En dehors des 10 % de cas asymptomatiques, la maladie se manifeste comme une fièvre éruptive bénigne, apparaissant après une semaine d’incubation : fièvre élevée avec des polyarthralgies intenses, des myalgies et des céphalées provoquant une impotence fonctionnelle. L’éruption est maculopapulaire sur la face, le torse et les jambes et des troubles digestifs sont possibles. Les symptômes régressent en une semaine environ, mais peuvent parfois laisser des arthralgies handicapantes pendant plusieurs mois ou années. Des complications neurologiques peuvent survenir. Le taux de mortalité est faible (1 % en moyenne). Les arthralgies sont rares chez les enfants qui n’ont qu’un syndrome grippal.
Le diagnostic repose sur la recherche du génome viral par RT-PCR puis par la détection des anticorps IgM et surtout IgG qui persistent longtemps et entraînent une immunité durable. Le traitement n’est que symptomatique (paracétamol, anti-inflammatoires, voire méthotrexate dans les arthralgies persistantes). La prévention est identique à celle de la dengue (répulsifs et destruction des gîtes larvaires) car il y a chaque année de nombreux cas de chikungunya importés en France et il faut donc éviter sa propagation. Un vaccin vient d’être mis sur le marché, avec une efficacité de 98,5 % (encadré). Le chikungunya est une maladie à déclaration obligatoire en France.
Zika
Le virus Zika est un flavivirus à ARN qui a été isolé en 1947 en Ouganda dans la forêt Zika, chez un singe rhésus. Le premier cas humain a été détecté en 1954. Il en existe trois souches : Afrique de l’Ouest, Afrique de l’Est et Asie. Il a provoqué plusieurs épidémies en Micronésie (2007), en Polynésie française (2013) et en Nouvelle-Calédonie (2014) puis a progressé vers l’Amérique centrale et du Sud, en particulier au Brésil. Ce virus est transmis par plusieurs espèces d’Aedes : A. africanus, A. aegypti et probablement A. albopictus.
Dans une très grande majorité des cas, la maladie reste asymptomatique. Dans les autres cas, elle se manifeste par une fièvre éruptive (fièvre, céphalées, courbatures, éruptions cutanées, conjonctivite) d’évolution favorable en quelques jours.
Le diagnostic est affirmé, à partir du sang ou de la salive, par la détection du virus par RT-PCR ou par isolement du virus sur culture cellulaire, puis par la recherche des anticorps (IgM puis IgG) par Elisa. Seul un traitement symptomatique peut être prescrit (réhydratation et paracétamol contre la douleur). Ce traitement est identique chez les enfants et les femmes enceintes ; cependant, des complications sont possibles : un syndrome de Guillain-Barré et surtout des malformations congénitales (augmentation des cas de microcéphalies au Brésil) [fig. 5] car ce virus semble avoir un tropisme particulier pour le cerveau. Par ailleurs, il a été retrouvé dans le sperme, expliquant les cas de transmission sexuelle. La prévention est basée sur les répulsifs et la suppression des lieux de ponte des moustiques. Certains pays ont déconseillé aux femmes enceintes de se rendre en zones d’endémie.
Ainsi, parmi plus de 260 espèces d’Aedes qui peuvent transmettre diverses maladies comme la fièvre jaune (par Aedes aegypti), Aedes albopictus est un facteur important dans la propagation d’arboviroses comme la dengue, le chikungunya ou la fièvre Zika. Même si la majorité des patients sont atteints d’une forme bénigne qui peut laisser néanmoins une asthénie persistante, certains cas peuvent être graves. Aussi faut-il surveiller l’extension géographique de ce moustique et surtout bien appliquer les mesures de protection. De nouvelles mesures de lutte antivectorielles sont à l’étude, mais certaines comme les irradiations ou l'utilisation de bactéries contre les moustiques ont montré une certaine efficacité, en phase expérimentale, mais sont coûteuses et difficiles à mettre en place à grande échelle.
Vaccins contre la dengue, le chikungunya et le Zika : où en est-on ?
Le vaccin de Sanofi manque d’efficacité sur le virus DEN- 2 et a provoqué des effets secondaires importants aux Philippines ; il n’est donc pas conseillé en routine. Le vaccin Qdenga de Takeda est un vaccin tétravalent qui semble efficace sur les 4 souches sans effets secondaires majeurs signalés, et utilisable chez l’enfant et l’adulte. Il est déjà disponible dans plusieurs pays, mais pas encore en France. Si les bons résultats se confirment, il pourrait apporter une réelle protection, indispensable pour les séjours en zones d’endémie.
Un vaccin contre le chikungunya (IXCHIQ) est en cours de validation (Valneva). Pour le Zika, plusieurs sont en cours mais on est encore loin d’une validation.
Delaunay P, Hubiche T, Blanc V, et al. Aedes albopictus en France métropolitaine. Ann Dermatol Vénéréol 2012;139(5): 396-491.