objectifs
Diagnostiquer une dénutrition dans les différentes populations de patients.
Identifier les sujets à risque de dénutrition.
Prescrire un soutien nutritionnel de premier recours

Introduction

La dénutrition représente un véritable enjeu de santé publique. Initialement, la dénutrition a été décrite en situation de famine ou de guerre. Ces situations ne sont plus rencontrées actuellement en France. Pourtant, une part non négligeable de la population ne couvre pas ses besoins protéiques et ou protéino-énergétiques du fait d’apports insuffisants en regard des besoins énergétiques ou d’une malabsorption. À ceci se surajoutent des carences micronutritionnelles qui peuvent aggraver la situation nutritionnelle. Cette problématique est particulièrement vraie chez les sujets hospitalisés ou institutionnalisés. Il est aujourd’hui bien établi que la dénutrition aggrave le pronostic à court et moyen terme. Être capable de diagnostiquer la dénutrition et de prévenir sa survenue afin de mettre en place une prise en charge adaptée est donc crucial. Néanmoins, le diagnostic de la dénutrition reste complexe, d’une part parce que sa définition clinico- biologique reste débattue et, d’autre part, parce que nous manquons d’outils fiables en pratique clinique pour mesurer la composition corporelle.

Épidémiologie

La dénutrition est rarement un motif de consultation ou d’hospitalisation en tant que telle sauf si elle est directement liée à la pathologie initiale (anorexie mentale, complications de chirurgie bariatrique, par exemple). Le plus souvent, la dénutrition apparaît comme une comorbidité non diagnostiquée. Ces dernières décennies, il a été montré que la prévalence de la dénutrition pouvait atteindre entre 20 et 40 % des patients hospitalisés à l’admission. Dans certaines situations cliniques, cancer ou maladie neuro­dégénérative, par exemple, la proportion de patients dénutris est même supérieure. La dénutrition est une comorbidité qui va augmenter la morbi-mortalité en favorisant notamment les infections et les complications postopératoires. Elle est également associée à une augmentation de la durée moyenne de séjour. Elle doit donc être dépistée dès l’admission du malade et la situation nutritionnelle doit être réévaluée régulièrement.

Définitions

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) utilise le terme anglais de malnutrition qui comprend deux sous-groupes d’affection :
  • la dénutrition et les carences/insuffisances ou excès en micronutriments ;
  • le surpoids et l’obésité.
La dénutrition est définie par l’OMS comme une maigreur (faible rapport poids/taille), un retard de croissance (faible rapport taille/âge) ou une insuffisance pondérale (faible rapport poids/âge). Cette définition est néanmoins peu adaptée aux pays industrialisés où l’intrication entre la dénutrition et un surpoids ou une obésité rend bien limitante la définition de la dénutrition fondée sur un poids insuffisant à l’âge adulte. La définition de la dénutrition a été rediscutée récemment au niveau mondial par le Global Leadership Initiative on Malnutrition (GLIM). Le nouveau consensus établi propose d’intégrer des données de composition corporelle en intégrant la perte de masse musculaire, ou sarcopénie dans la définition de la dénutrition.

Différents modèles de dénutrition

Il est classique d’opposer deux modèles de dénutrition avec une physiopathologie spécifique : le marasme et le kwashiorkor. En réalité, il existe un continuum entre ces deux modèles.
Le marasme est dû à une carence prolongée mais équilibrée à la fois en protéines et en énergie. Il survient lors d’une situation de privation de nourriture. L’anorexie mentale restrictive est un modèle de marasme. Les sujets touchés par cette maladie présentent peu de signes cliniques et fonctionnels en dehors d'un amaigrissement important avec perte du pannicule adipeux. L’albuminémie est longtemps conservée.
Le kwashiorkor a été décrit initialement en Afrique dans les années 1930. Il est secondaire à un déficit pur en protéines. L’installation est subaiguë. Des œdèmes et une rétention hydrosodée sont présents. L’amaigrissement est généralement moins important que dans le marasme mais la perte de masse maigre est majeure. L’hypoalbuminémie est importante.

Sarcopénie

La sarcopénie est définie par une diminution de la masse et de la force musculaire. Elle a été répertoriée dans la Classification internationale des maladies (CIM) en 2016 et est donc désormais reconnue par l’OMS. Initialement considérée comme une pathologie qui concerne uniquement la population gériatrique, il est maintenant reconnu qu'elle peut toucher l’ensemble de la population. Son diagnostic reste complexe en pratique clinique, notamment car les outils fiables pour mesurer la masse musculaire sont peu accessibles.

Critères diagnostiques de la dénutrition chez les sujets de moins de 70 ans

Les critères de la Haute Autorité de santé (HAS, 2003, en cours de révision) sont discutés car ils ne sont pas exhaustifs et n’intègrent pas le concept de sarcopénie dans le diagnostic de la dénutrition (tableau 1). Le groupe d’experts internationaux du GLIM a proposé une nouvelle définition de la dénutrition (tableau 2).

Situation clinique particulière


Population pédiatrique

Il n’existe pas de critères consensuels pour diagnostiquer une dénutrition chez l’enfant, les indices historiques tels que l’indice de Waterlow (rapport entre le poids de l’enfant et le poids attendu pour sa taille (P/PAT)) sont en train d’être supplantés par l’indice de masse corporelle (IMC) qui est plus simple d’utilisation et bien corrélé avec les autres indices. Les valeurs normales d’IMC varient en fonction de l’âge. Un IMC inférieur au troisième percentile pour l’âge et le sexe correspond à une insuffisance pondérale et doit faire rechercher une dénutrition. Il est également crucial d’interpréter les courbes de croissance, à la recherche d’une cassure de la courbe staturopondérale qui signe le diagnostic de dénutrition. Les signes cliniques de dénutrition qui doivent être recherchés sont similaires à ceux des adultes (v.infra). Il n’y a pas d’indication à doser l’albumine et la pré-albumine pour poser le diagnostic de dénutrition, mais ces marqueurs peuvent être utilisés pour le suivi.

Population avec une obésité

Chez les sujets présentant une obésité, l’excès de masse grasse peut souvent masquer la dénutrition. En effet, malgré une perte de poids parfois importante, l’IMC peut rester élevé chez ces sujets et peut faussement rassurer le patient et le clinicien qui souvent se réjouissent d’une perte de poids. Néanmoins, en situation d’agression, il existe une perte de masse maigre importante y compris chez les sujets présentant une obésité. Si elle n’est pas jugulée par une prise en charge nutritionnelle adaptée, elle précipite le sujet vers l’obésité sarcopénique, qui a un pronostic très défavorable. Le développement, en pratique clinique, d’outils pour la mesure de la composition corporelle devrait permettre de mieux dépister ces patients. D’ici là, il convient d’appliquer les mêmes critères que ceux définis pour la population générale, en gardant à l’esprit que le critère fondé sur l’IMC est pris en défaut dans cette population.

Repérer les patients à risque de dénutrition

Le dépistage systématique de la dénutrition doit être réalisé chez les patients, ayant un facteur de risque de dénutrition, exprimant une difficulté à s’alimenter, présentant une prise alimentaire irrégulière observée par l’entourage et les soignants, et, systématiquement en milieu hospitalier.
La dénutrition peut avoir de multiples causes, qu’elles soient liées à une carence isolée d’apport, à une malabsorption ou à un hypercatabolisme.
Plusieurs situations favorisent la carence isolée d’apports : la diminution de la capacité masticatoire, les troubles de la déglutition, les déficits moteurs ou tremblements des membres supérieurs, les détériorations intellectuelles, la perte d’autonomie, les douleurs chroniques (physiques ou psychiques), les traitements et thérapies agressives (chimiothérapies, radiothérapie, immuno­suppresseurs…) ou les régimes abusifs (sans sel strict…).
De même, plusieurs situations favorisent une malabsorption ou un hypercatabolisme : les pathologies malignes, les pathologies malabsorptives intestinales, les pathologies inflammatoires du tube digestif, les maladies infectieuses chroniques, les brûlures étendues, les chirurgies majeures (notamment carcinologiques ou digestives) et les insuffisances d’organe (rénales, hépatiques, cardiaque, respiratoire…).
L’hospitalisation est également une situation à risque de dénutrition. Dans la majorité des cas, la dénutrition du malade hospitalisé est la conséquence d’une maladie aiguë ou chronique et est un des témoins de la gravité de cette maladie. Le processus de dénutrition a bien souvent débuté longtemps avant l’hospitalisation et s’aggrave au cours du séjour hospitalier car elle est méconnue, par insuffisance d’apports à l’hôpital (période de jeûne), parce que sa prise en charge est insuffisante ou parce que l’hypercatabolisme est majeur et difficile à compenser par le support nutritionnel. La dénutrition hospitalière touche tous les services hospitaliers (chirurgie, médecine, réanimation…).

Évaluation clinique de l’état nutritionnel

L’évaluation nutritionnelle est fondamentale dans l’examen clinique de routine de tout patient. Il est important qu’elle figure dans le dossier du patient, et son évolution doit être suivie pendant la durée de la prise en charge. Il faut en premier lieu peser et mesurer les patients et ne pas se satisfaire d’un poids et d’une taille déclarés. Puis, au cours de l’examen médical, il faudra rechercher scrupuleusement les signes cliniques orientant vers le diagnostic de dénutrition.
L’examen clinique commence par un interrogatoire qui fera préciser les signes fonctionnels, conséquences de la dénutrition. L’examen clinique recherchera les signes cliniques de dénutrition.
Les principaux signes fonctionnels sont :
  • un défaut de mémorisation ;
  • une asthénie, une diminution des capacités physiques (et notamment une faiblesse musculaire) ;
  • un désintérêt pour les activités courantes ;
  • une perte des fonctions sexuelles chez l’homme et une aménorrhée secondaire chez la femme.
Les signes cliniques souvent mis en évidence sont :
  • une fonte du tissu adipeux sous-cutané, une fonte musculaire (des membres, des golfes temporaux, au niveau des arcades zygomatiques, des quadriceps et des deltoïdes) ;
  • des œdèmes des membres inférieurs et des lombes (notamment chez les sujets alités) ;
  • une altération des phanères (cheveux secs et cassants, ongles striés et cassants) ;
  • une peau sèche, hyperpigmentée et desquamante, une hyper­trichose lanugineuse du dos ;
  • des troubles vasomoteurs (pétéchies, acrosyndrome ou allonge­ment du temps de recoloration cutanée) ;
  • des anomalies des muqueuses (glossite, stomatite, œsophagite) ;
  • des signes spécifiques de carences vitaminiques, une hypo­tension artérielle orthostatique voire une bradycardie, et des troubles digestifs à type de constipation.
Il faudra également s’efforcer de rechercher des arguments en faveur des effets indirects de la dénutrition, non visibles, comme une ostéoporose, un déficit immunitaire (notamment une lympho­pénie) ou des dysrégulations hormonales comme l’hypoglycémie de renutrition. Chez le sujet malade, la dénutrition favorise la perte d’autonomie, l’iatrogénie (modifications de la biodisponibilité des médicaments), le risque d’infections nosocomiales et d’escarres.
Parmi tous ces symptômes, le signe clinique principal de dénutrition est l’amaigrissement. Pour obtenir un poids fiable, le sujet doit être déshabillé en sous-vêtements, vessie vide, et si possible la mesure doit être faite le matin à jeun. Chez le patient ne pouvant être mis en position orthostatique ou chez qui la mesure de la taille peut être faussée (cyphose…), la mesure de la hauteur talon-genou permet son estimation. La distance talon-genou est en effet bien corrélée à la taille maximale atteinte. Elle est mesurée avec une toise pédiatrique, la cuisse et la jambe d’une part, la jambe et le pied d’autre part formant deux angles droits. Le poids doit être rapporté à la taille pour obtenir l’IMC, c’est-à-dire poids (kg)/taille (m)². L’IMC permet d’évaluer l’état nutritionnel (v. tableau 3). : ainsi un IMC signe un état nutritionnel normal entre 18,5 et 24,9 kg/m2, une dénutrition de grade I entre 17,0 et 18,4 kg/m2, de grade II entre 16,0 et 16,9 kg/m2, de grade III entre 13,0 et 15,9 kg/m2, de grade IV entre 10,0 et 12,9 kg/m2 et de grade V inférieur à 10,0 kg/m2.
Il est également crucial de calculer le déficit pondéral en pourcentage par rapport au poids de référence (ou poids de forme) du sujet, pour suspecter une dénutrition et en évaluer sa gravité.
L’état des réserves adipeuses peut, quant à être évalué par la mesure du pli cutané tricipital, estimée en moyenne à 12 mm chez l’homme et 25 mm chez la femme d’après les tables de Heymsfield. La masse maigre peut également être estimée à partir de la mesure de la circonférence musculaire brachiale obtenue par la mesure du périmètre brachial et du pli cutané tricipital au niveau du même bras (fig. 1). Les valeurs normales sont de 20 à 23 cm (femme) et de 25 à 27 cm (homme). Cette mesure peut être très utile dans l’évaluation et dans le suivi de la dénutrition dans certaines pathologies comme la cirrhose.
Les tests de force musculaire sont des méthodes simples, non invasives, permettant d’évaluer l’état nutritionnel d’un individu par la mesure de la force musculaire. La masse protéique corporelle et la force musculaire étant liées, la mesure de la force musculaire est donc un reflet du capital protéique. Cette force peut être évaluée par dynamomètre hydraulique à main étalonné (appelé aussi Hand grip). La force musculaire est diminuée en cas de dénutrition, inférieure à 20 kg chez la femme, et à 30 kg chez l’homme. Sa mesure peut être un bon critère d’évaluation de la renutrition.

Évaluation biologique de l’état nutritionnel

L’évaluation de l’état nutritionnel est principalement clinique. Cependant, certains marqueurs biologiques peuvent avoir un intérêt pour conforter le diagnostic et/ou apprécier le pronostic de la dénutrition. Les deux marqueurs biologiques les plus couramment utilisés sont l’albumine et la transthyrétine (ou pré-albumine).
L’albumine est le marqueur nutritionnel le plus anciennement utilisé, mais il s’avère être un marqueur plus pronostique que diagnostique. L’albumine représente la moitié des protéines synthétisées par le foie, et sa synthèse s’adapte en fonction des besoins. La concentration plasmatique normale est comprise entre 35 et 50 g/L chez l’adulte, soit environ la moitié du pool total d’albumine. Sa demi-vie est longue, entre 21 et 30 jours. En cas de dénutrition, la synthèse d’albumine diminue et la concentration plasmatique chute. Une albuminémie inférieure à 30 g/L signe une dénutrition protidique. Un syndrome inflammatoire (protéine C réactive > 15 mg/L), une insuffisance hépatocellulaire, une glomérulopathie ou une entéropathie exsudative peuvent entraîner une hypoalbuminémie.
La transthyrétine (ou pré-albumine) est également synthétisée par le foie mais aussi par le système nerveux central et par le pancréas. Sa concentration sérique normale se situe entre 250 et 350 mg/L, avec d’importantes variations physiologiques (âge, sexe…). Sa demi-vie est courte, entre 2 et 3 jours, ce qui fait de la pré-albumine un marqueur sensible et précoce de la dénutrition mais aussi et surtout un marqueur de suivi de la renutrition.

Évaluation de la composition corporelle

Le poids est le reflet d’un ensemble hétérogène de divers compartiments du corps : la masse maigre, la masse grasse, l’eau et la masse osseuse. Chez l’adulte jeune en bonne santé, la masse grasse corporelle représente en moyenne 10 à 15 % du poids chez l’homme et 20 à 25 % chez la femme. Cette mesure de la composition corporelle est un élément essentiel de l’évaluation de l’état nutritionnel. Il existe de nombreuses techniques de mesure de la composition corporelle, les plus couram­ment utilisées étant les mesures anthropométriques et l’impédance­métrie.
Les données anthropométriques, telles que les mesures des plis cutanés ou de la circonférence musculaire brachiale, constituent un moyen simple et peu coûteux d’évaluation. Le suivi longitudinal par des mesures répétées compense le manque de précision. À ce jour, la technique de référence en pratique clinique est l’absorptio­métrie bi-énergétique (DEXA). Si elle n’est pas disponible, l’impédancemétrie bioélectrique est un second choix acceptable mais est pris en défaut chez les sujets de poids extrêmes et en présence d’œdèmes.
L’évaluation de la composition corporelle par scanographie ou imagerie par résonance magnétique tend à suppléer les techniques standard peu disponibles en routine, notamment en oncologie.
Ces examens, faits dans le cadre du suivi, permettent de déter­miner et de suivre les modifications de composition corporelle. Il a ainsi été démontré que la perte de masse maigre est un facteur péjoratif.

Prise en charge nutritionnelle de l’adulte

L’état nutritionnel doit être une préoccupation constante dans la pratique clinique, et doit être évalué de manière hebdomadaire chez tous patients hospitalisés. Certaines situations simples où l’alimentation orale spontanée est impossible (coma, accident vasculaire cérébral, trouble de la déglutition, patient en réanimation…) imposent la mise en place d’un support nutritionnel, de même qu’une dénutrition sévère afin de pallier le déficit protéino-énergétique. En absence de dénutrition, il faut évaluer les ingestas chez les patients à risque, et si ceux-ci sont bien en deçà des besoins, enrichir l’alimentation et/ou mettre en place des compléments nutritionnels oraux, voire une nutrition artificielle. L’algorithme de prise en charge est explicité dans la fig. 1.
Le traitement de la dénutrition doit s’inscrire dans la prise en charge thérapeutique de la maladie causale et permettra d’en améliorer, bien souvent, le pronostic. La prise en charge nutritionnelle doit permettre un apport adéquat des différents nutriments, oligoéléments et vitamines pour permettre de restaurer les fonctions de la masse cellulaire active telles que les fonctions immunitaires, musculaires et de cicatrisation. Le but n’est pas d’obtenir une simple reprise de poids. Dans un premier temps, il convient de déterminer les besoins énergétiques du patient en fonction de ses paramètres anthropométriques et de sa situation clinique (hypermétabolisme, activité physique). Ceux-ci peuvent être mesurés (calorimétrie indirecte) ou estimés (équation de Harris et Benedict). D’une manière générale, les besoins énergétiques totaux sont compris entre 20 et 35 kcal/kg/j et peuvent être augmentés jusqu’à 40 kcal/kg/j en cas de dénutrition ou agression sévère. L’apport en protéines quant à lui est de l’ordre de 1 à 1,5 g/kg/j. Pour estimer les besoins d’un patient, on se référera toujours au poids à la prise en charge, excepté pour les patients obèses ou présentant une rétention hydrosodée, pour lesquels il faudra estimer respectivement le poids idéal ajusté (v. encadré) et le poids sec. En cas de dénutrition sévère, l’urgence sera dans un premier temps de corriger les désordres hydro- électrolytiques et les déficits en oligo-éléments et vitamines. Les apports caloriques seront prudents, progressifs sur une semaine et initialement hypocaloriques afin de prévenir le syndrome de renutrition.

Enrichissement et complémentation orale

Il faudra dans un premier temps veiller à proscrire tout régime restrictif et inutile. Quand les apports spontanés sont insuffisants, la première étape proposée est l’enrichissement et le fractionnement des repas. L’enrichissement consiste à ajouter des ingrédients caloriques, en incorporant par exemple des matières grasses (beurre, crème…), des glucides (sucre, miel) ou des protéines (œufs, fromage râpé, poudre de protéines…) aux plats. Il faudra par ailleurs adapter les textures, vérifier l’état buccodentaire, limiter la polymédication et offrir un cadre de repas optimal et des aides techniques au besoin.
Si malgré l’enrichissement, les besoins ne sont pas couverts, on pourra proposer la prise d'un complément nutritionnel oral. Cette complémentation permettra d’apporter sous un faible volume un apport en calories, nutriments, vitamines et minéraux. Les apports complémentaires sont iso- ou hypercaloriques, avec des teneurs en protéines allant de 6 à 29 g par portion. Certains sont enrichis en élément spécifique (oméga 3, arginine, zinc…). Les textures sont variées (jus, crème, soupe, gâteaux…) afin de satisfaire au mieux le goût des patients. Ils sont à consommer à distance des repas, plutôt frais. Certains peuvent être ajoutés aux préparations culinaires. La prise de plus de deux compléments nutritionnels oraux est souvent difficile à obtenir, et si les besoins ne sont pas atteints il faudra mettre en place un support nutritionnel entéral. Les patients présentant une dénutrition sévère doivent d’emblée recevoir une nutrition entérale.

Nutrition entérale

Elle sera instillée par le biais d’une sonde nasogastrique, ou par le biais d’une sonde de gastrostomie si sa durée prévisible est > 4 semaines. Elle est toujours préférée à la nutrition parentérale quand le tube digestif est fonctionnel et peut être prescrite sur 12 heures en nocturne, afin de permettre un apport oral et une liberté de mouvements diurnes. Ces mélanges sont iso- ou hypercaloriques, iso- ou hyperprotidiques. La quantité de solution nutritive prescrite doit être adaptée aux besoins du patient et à ses apports per os pour éviter une surnutrition qui pourrait être délétère. En cas d’apport inférieur à 1 500 kcal, on ajoute systématiquement des vitamines et oligo-éléments. Il convient de prévenir les complications, principalement la pneumopathie d’inhalation, en respectant une position semi-assise lors du passage de la nutrition entérale et en vérifiant avant chaque branchement la position de la sonde.

Nutrition parentérale

Elle est indiquée seulement quand le tube digestif est non fonctionnel (occlusion, fistule digestive à haut débit, syndrome de grêle court) ou en cas d’échec de la nutrition entérale. Elle est réalisée par le biais d’un cathéter veineux central mis en place dans la veine cave supérieure, positionné à l’entrée de l’oreillette droite. Il est ainsi instillé un mélange nutritif composé de sérum glucosé, de solution d’acides aminés, d’émulsion lipidique, d’électrolytes et de micronutriments. Celui-ci doit être adapté aux besoins du patient pour éviter toute sous- mais aussi surnutrition qui pourrait être délétère. Les vitamines et oligo-éléments étant absents des poches de nutrition, il faudra veiller à leur adjonction systématique. La principale complication de la nutrition parentérale est infectieuse, nécessitant la mise en place de règles d’asepsie strictes concernant l’utilisation du cathéter central, afin de minimiser ce risque.

Surveillance clinico-biologique

Il conviendra de surveiller le poids mais aussi l’apparition de complications, telle une rétention hydrosodée par la recherche d’œdème et notamment des lombes. Le dosage plasmatique du potassium, phosphore et magnésium doit être systématique les trois premiers jours de la renutrition afin de dépister les premiers signes d’un syndrome de renutrition inappropriée. La surveillance du bilan hépatique, de la glycémie et des triglycérides doit être systématique en cas de nutrition parentérale. L’augmentation de la préalbumine (demi-vie courte de 2 jours) puis de lalbumine (demi-vie de 20 jours) sera le reflet d’une renutrition efficace.

Prise en charge nutritionnelle de l’enfant

La prise en charge de la dénutrition chez l’enfant est une « urgence » compte tenu de la répercussion sur la croissance et le développement psychomoteur.
Il faut mettre en route un support nutritionnel dès lors que :
  • IMC < 3e percentile ;
  • ou poids/taille < 80 % si dénutrition aiguë et < 85 % si dénutrition chronique.

Enrichissement oral

La voie orale est indiquée si le tube digestif est fonctionnel et en cas de dénutrition légère à modérée. La voie orale ne pourra combler seule un déficit supérieur à un tiers des besoins. Comme chez l’adulte, il faut estimer les ingestas spontanés par la réalisation d’enquête alimentaire. Il conviendra d’enrichir l’alimentation, de fractionner les prises alimentaires, de favoriser les aliments préférés et de mettre l’enfant dans les meilleures conditions possible au moment des repas. Pour le nourrisson, il conviendra d’enrichir les laits et/ou de les concentrer. Pour les enfants plus grands, il faudra privilégier les laits entiers, les aliments riches et augmenter la ration de féculents.

Nutrition entérale

Comme pour l’adulte, il existe un risque de syndrome de renutrition en cas de dénutrition sévère, imposant de débuter la nutrition entérale à des apports en dessous des besoins théoriques de base et d’augmenter progressivement. La supplémentation en phosphore, vitamine B1 et folate est systématique. Cette nutrition sera réalisée sur sonde nasogastrique adaptée. Il faudra veiller à favoriser la prise orale afin de limiter la survenue de troubles de l’oralité.

Nutrition parentérale

Elle relève d’équipes spécialisées, et les indications sont excep­tionnelles. •
Points forts

Dénutrition chez l’adulte et l’enfant

L’évaluation de l’état nutritionnel, sa surveillance et sa correction doivent être intégrées dans la prise en charge globale des patients.

Tous les patients doivent être pesés et mesurés, le poids doit être régulièrement réévalué.

Une perte de poids involontaire de plus de 10 % en 6 mois est le témoin d’une dénutrition, jusqu’à preuve du contraire.

L’évaluation de l’état nutritionnel et le diagnostic de dénutrition reposent essentiellement sur des critères cliniques simples. L’interprétation des données biologiques de l’état nutritionnel doit tenir compte des pathologies associées.

Un support nutritionnel adapté doit être proposé à tout patient dénutri ou à risque de dénutrition.

Encadre

Poids idéal ajusté (obèse)

➥ Poids idéal ajusté =

poids idéal théorique + ¼ (poids actuel ­– poids idéal théorique)

➥ Mesure du poids idéal théorique (PIT) =

PIT = X + 0,91 × (taille – 152,4)

avec X femme = 45,5 et X homme = 50 et taille en centimètres

POUR EN SAVOIR +
Cederholm T, Jensen GL, Correia MITD, Gonzalez MC, Fukushima R, Higashiguchi T, Baptista G, et al. 2018. GLIM criteria for the diagnosis of malnutrition - A consensus report from the Global Clinical Nutrition Community.” Clinical Nutrition (Edinburgh, Scotland), September. https://doi.org/10.1016/j.clnu.2018.08.002.
Hankard R, Colomb V, Piloquet H, Bocquet A, Bresson JL, Briend A, Chouraqui JP, et al. 2012. Malnutrition screening in clinical practice. Archives de pédiatrie : organe officiel de la Société francaise de pédiatrie 19 (10): 1110-17. https://doi.org/10.1016/j.arcped.2012.07.024.
Collège des enseignants de nutrition. 2015. Nutrition : réussir les ECNi. 2e édition. Elsevier Masson.
Traité de nutrition clinique à tous les âges de la vie. Paris, K’Noë éditions, 2016.
Recommandations de la HAS : Stratégie de prise en charge en cas de dénutrition protéino-énergétique chez la personne âgée, 2008.
Évaluation diagnostique de la dénutrition protéino-énergétique des adultes hospitalisés, 2003.

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