La dénutrition est fréquente et entraîne des conséquences potentiellement majeures. Les critères diagnostiques ont été récemment révisés par la HAS, pour les moins et les plus de 70 ans, et en cas d’obésité. Focus sur les bonnes pratiques en MG : qui dépister et comment ? quels outils simples pour une évaluation rapide ? quelle place pour les examens biologiques ? quels signes d’appel ?
D’après : Courtois-Amiot P, Raynaud-Simon A, Sanchez M. Dépistage et diagnostic de la dénutrition chez l’adulte en pratique quotidienne. Rev Prat 2022;72(8);858-64.
La dénutrition est un facteur de risque indépendant de mauvais pronostic, une des causes de fragilité et de dépendance, en particulier chez les personnes âgées. La prise en charge est d’autant plus efficace qu’elle est précoce, d’où l’intérêt du dépistage.
Quand évaluer l’état nutritionnel ?
La fréquence de cette évaluation en ambulatoire dépend de l’âge et des situations cliniques :1,2
– chez l’adulte de moins de 70 ans : à chaque consultation ;
– chez l’adulte à partir de 70 ans : à chaque consultation, une fois par mois à domicile et une fois par semaine en cas d’événement intercurrent (infection, geste chirurgical…) ou de diminution de l’appétit ou des ingesta.
Lorsque le patient est hospitalisé, l’évaluation doit être réalisée dans les 48 heures après l’admission, puis une fois par semaine. Enfin, en Ehpad, elle s’impose à l’entrée puis au moins une fois par mois en situation médicale stable, et une fois par semaine en cas d’événement intercurrent (infection, acte chirurgical…) ou de diminution de l’appétit ou des ingesta.
Dépistage du risque nutritionnel : 3 étapes
Le dépistage se fait en 3 étapes : il repose sur l’identification des facteurs de risque de dénutrition, une évaluation de l’appétit et des ingesta et une évaluation de l’état nutritionnel (mesure du poids, comparaison par rapport au poids antérieur, calcul de l’IMC).3
Identifier les facteurs de risque
Les facteurs de risque sont nombreux : pathologies sévères, prolongées ou chroniques (cancers, défaillances d’organes, pathologies digestives à l’origine de maldigestion et/ou de malabsorption, alcoolisme, pathologies infectieuses ou inflammatoires), et toutes les situations susceptibles d’entraîner une diminution des apports alimentaires, une augmentation des besoins énergétiques (états d’hypercatabolisme), une malabsorption : douleurs chroniques, dépression, troubles neurocognitifs, pathologies bucco-dentaires…4
Évaluer les ingesta et l’appétit
Le gold standard est la méthode de pesée des aliments consommés et le calcul des apports protéino-énergétiques par un diététicien. Néanmoins, cette technique ne peut pas être utilisée en soins courants. On se fonde alors sur l’enregistrement alimentaire (utilisation d’un carnet ou de photographies) sur une période de 3 jours ou un « rappel des 24 heures » lors d’un entretien. Chez les personnes âgées, cette dernière méthode paraît plus fiable que celles des enregistrements alimentaires.5
Lorsque l’accès à une consultation diététique est impossible, ou pour un dépistage rapide, un score d’évaluation facile des ingesta (SEFI) a été développé : il associe une auto-évaluation subjective par échelle visuelle analogique des ingesta (face A de la réglette) à une hétéro-évaluation par les soignants ou l’entourage des portions consommées (face B). Un score inférieur à 7 a une bonne valeur prédictive de dénutrition. L’utilisation de cet outil a été validée en médecine générale et à l’hôpital (population de tout âge), ainsi qu’en Ehpad.
Mesure de l’état nutritionnel
Cette évaluation comprend la mesure du poids et de la taille, ce qui permet de calculer l’IMC (poids en kg/[taille en m]2). Toute perte de poids de 3 kg et plus est un signal d’alarme.
Le poids doit être mesuré (un poids déclaré par le patient ne suffit pas) et il doit figurer dans le dossier médical. Dans certaines situations, le module de pesée nécessite d’être adapté (obésité, sujet alité) : fauteuil de pesée, lève-malade ou lit avec système de pesée intégré. Le poids est interprété en fonction de la taille (IMC) et du poids antérieur (pour établir une cinétique de poids).6
La taille est mesurée avec une toise. Chez les plus de 60 ans, si la station debout est impossible ou en cas de troubles de la statique, la formule de Chumlea permet d’estimer la taille à partir de la distance talon-genou (TG) en cm :7
– taille homme en cm = (2,03 × TG) - (0,04 × âge) + 64,19 ;
– taille femme en cm = (1,83 × TG) - (0,24 × âge) + 84,88.
Des outils reprennent les différents items du dépistage et sont utilisables en pratique quotidienne. En France, le plus utilisé est le Mini Nutritional Assessment – Short Form (MNA-SF) : un score inférieur à 12/14 correspond à un risque de dénutrition.
Des critères diagnostiques revus récemment
Les critères de la dénutrition ont été révisés récemment par la HAS pour faire suite à la publication d’un consensus international du Global Leadership Initiative on Malnutrition (GLIM).8
Pour porter le diagnostic, il est nécessaire d’identifier au moins un critère phénotypique et au moins un critère étiologique (listés dans la figure). Au cours du suivi, le diagnostic de dénutrition persiste tant que le critère phénotypique est présent (y compris si le critère étiologique disparaît ; par exemple, si une maladie guérit, le patient peut rester dénutri).
Chez l’adulte de moins de 70 ans, un seul critère musculaire suffit parmi la force musculaire (force de préhension), la quantité musculaire (masse ou surface) et la performance physique (vitesse de marche). Les seuils sont décrits dans le tableau 1.
À partir de 70 ans, la sarcopénie confirmée a été retenue comme un critère phénotypique : elle associe une réduction de la force et de la masse musculaire (les seuils figurent dans le tableau 2). La force musculaire peut être mesurée par le test des 5 levers de chaise ou par la force de préhension (dynamomètre ou hand grip test).
La masse musculaire correspond soit à la masse musculaire appendiculaire (des quatre membres), soit à l’indice de masse musculaire appendiculaire (rapporté à la tailleau carré) ; les techniques de mesure incluent l’absorptiométrie biphotonique (DEXA) et l’impédancemétrie. En pratique quotidienne, ces outils ne sont pas toujours accessibles. Une circonférence du mollet strictement inférieure à 31 cm suggère alors une réduction de la masse musculaire.2
Évaluer la sévérité de la dénutrition
Une fois le diagnostic de dénutrition posé, la sévérité est établie selon les seuils d’IMC ou de pourcentage de perte de poids ou d’albuminémie mesurée par immunonéphélémétrie ou immunoturbidimétrie ou sur une hypoalbuminémie (1 seul critère suffit) (figure). L’hypoalbuminémie n’est plus considérée comme un critère de dénutrition, mais comme un critère de sévérité. En effet, l’albuminémie n’est ni corrélée aux apports alimentaires énergétiques ou protéiques, ni à la perte de poids, ni à la masse musculaire, ni à l’IMC. En revanche, c’est un excellent marqueur de sévérité dans plusieurs pathologies, dont la dénutrition (associée à une augmentation de la morbi-mortalité).
Des critères spécifiques en cas d’obésité
L’obésité est définie par un IMC supérieur ou égal à 30 kg/m2, quel que soit l’âge. La présence d’une obésité n’exclut pas une dénutrition. En effet, chez une personne en situation d’obésité, l’IMC reflète à la fois la masse musculaire et la masse grasse. L’IMC ne permet donc pas d’évaluer la masse musculaire. Le diagnostic de dénutrition repose alors, pour le critère phénotypique, sur la perte de poids ou les critères musculaires, associé à au moins un critère étiologique.
Attention : les patients en situation d’obésité dénutris ou sarcopéniques sont particulièrement à risque de dépendance. Il est donc indispensable de les repérer précocement.
À retenir : aucun examen biologique ne remplace la pesée !
Combien de consultations se déroulent sans que le patient ne soit pesé ou que son poids ne soit renseigné (ou actualisé) ? Cet acte médical doit redevenir une routine.
L’utilité du dosage pour la transthyrétine en médecine générale n’est pas validé ; comme le dosage de l’albumine, il n’est plus retenu comme un test de dépistage de la dénutrition.
Ce n’est qu’une fois la dénutrition cliniquement observée que l’on peut penser aux examens biologiques, qui ont pour seul objectif de qualifier la sévérité de la dénutrition ou de lui trouver une origine.
1. HAS. Diagnostic de la dénutrition de l’enfant et de l’adulte. Méthode et recommandations pour la pratique clinique. Novembre 2019.
2. HAS. Diagnostic de la dénutrition chez la personne de 70 ans et plus. 10 novembre 2021.
3. Collège des enseignants de nutrition. Nutrition. 3e édition. Paris: Elsevier Masson, 2019.
4. HAS. Stratégie de prise en charge en cas de dénutrition protéino-énergétique chez la personne âgée. 26 juin 2007.
5. Soriano G, Goisser S, Guyonnet S, et al. Misreporting of energy intake in older people: comparison of two dietary assessment methods. J Nutr Gerontol Geriatr 2018;37(3-4):310-20.
6. Collège des enseignants de nutrition. Nutrition, enseignement intégré. 2e édition. Paris: Elsevier Masson, 2021.
7. Chumlea WC, Roche AF, Steinbaugh ML. Estimating stature from knee height for persons 60 to 90 years of age. J Am Geriatr Soc 1985;33(2):116-20.
8. Cederholm T, Jensen GL, Correia MITD, et al. GLIM criteria for the diagnosis of malnutrition – A consensus report from the global clinical nutrition community. Clin Nutr 2019;38(1):1-9.