Le dépistage consiste à proposer un test diagnostique à des personnes asymptomatiques, « bien portantes » et qui ne se plaignent de rien, en vue de « faire la distinction entre les personnes apparemment en bonne santé, mais probablement atteintes d’une maladie donnée, et celles qui en sont probablement exemptes ».1,2

Anticiper la survenue des symptômes

L’objectif est d’anticiper la survenue des symptômes pour favoriser une détection précoce du cancer, le cas échéant des lésions à un stade précancéreux. Le test peut également porter sur une anomalie indirectement liée à un cancer ; par extension, il peut s’agir de la recherche d’une prédisposition, par exemple génétique. Un dépistage ne vaut pas diagnostic et devra, s’il est positif, être suivi d’une exploration complémentaire. On attend ensuite que le diagnostic précoce qui sera posé permette d’influencer favorablement le pronostic par la mise en route précoce d’un traitement, ou par extension d’une surveillance médicale, voire d’un protocole préventif en cas d’identification d’une prédisposition. Du fait de la meilleure efficacité des traitements et de leur moindre lourdeur, des bénéfices sont ainsi escomptés en termes de décès évités, d’années de vie gagnées et de minimisation des séquelles (v. figure).
Outre l’utilisation d’un test de dépistage dans le cadre d’une approche individuelle ou personnalisée, la question se pose parfois en termes de politique publique lorsqu’on envisage le déploiement d’un programme pour proposer au plus grand nombre un dépistage considéré comme efficace. En complément de la réduction des pertes de chances, les objectifs additionnels seront par exemple d’améliorer l’équité de l’accès, la qualité et la sécurité de la procédure de dépistage, la qualité de l’information pour la prise de décision.
Pour un dépistage opportuniste ou individuel, les examens sont réalisés en dehors des politiques publiques de dépistage. Dans un programme de dépistage, les examens, de même que l’organisation, sont financés sur les ressources publiques et réalisés dans le cadre d’une régulation officielle réglementaire ou d’une décision, directive ou recommandation qui définit a minima le test de dépistage, la fréquence de l’examen et le groupe de personnes éligibles au dépistage.3
On parle de dépistage organisé lorsque l’ensemble du processus est spécifié dans des référentiels et si l’implémentation du programme fait l’objet d’une coordination nationale ou territoriale, pour garantir la qualité et l’évaluation de la performance du programme. Il s’agit d’un dépistage dit « en population » lorsque les personnes sont identifiées individuellement et personnellement invitées.
Si l’on cible bien, via le dépistage, des personnes asymptomatiques, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère que « lorsque l’on planifie la couverture des programmes de dépistage, il faut prendre des mesures pour s’assurer que tous les sujets à haut risque en bénéficient »2 et qu’il serait en effet paradoxal que les programmes de dépistage laissent de côté les personnes les plus à risque de développer un cancer ; raison pour laquelle le Plan cancer 2014‑2019 a prescrit de « proposer à chaque personne la modalité de dépistage et de suivi adaptée à son niveau de risque de cancer du sein ou de cancer colorectal, en intégrant les personnes à risque aggravé dans les programmes de dépistage ».4

Des conditions nécessaires au déploiement d’un programme

Quelle évaluation ?

Lorsque la performance, la validité et la fiabilité d’un outil diagnostique commencent à être documentées et qu’il est mis en avant par les professionnels pour une utilisation dans le dépistage, une évaluation a priori doit être menée. Celle-ci juge du bien-fondé de l’utilisation de cet outil sur une population cible donnée, en situation de dépistage, et au regard de l’enjeu de santé publique (fréquence et létalité du cancer ciblé), de la pertinence et de l’utilité du déploiement d’un programme ; cette évaluation doit d’ailleurs être renouvelée a posteriori afin d’établir s’il faut maintenir le programme et l’organisation en place ou les faire évoluer.5
En pratique, la décision de mettre en place un programme de dépistage systématique répond à un ensemble de prérequis, décrits par Wilson et Jungner pour l’OMS en 19682 et repris par l’Agence nationale d’accréditation et d'évaluation en santé (Anaes) puis la Haute Autorité de santé.6
Ainsi, l’acceptabilité du test et du programme proposé est-elle étudiée dans toutes ses dimensions (par exemple test non invasif, test sans effet indésirable...) : de la sollicitation au traitement proposé, en passant par les procédures diagnostiques initiales et les procédures diagnostiques de confirmation, a fortiori si celles-ci sont invasives ou à risque. À ce titre, la qualité de l’information transmise sur les modalités du dépistage, leurs bénéfices et leurs risques, la modalité de transmission de cette information et la mise à disposition d’outils d’aide à la décision seront prépondérantes : chacun doit pouvoir décider de participer, ou non, en toute connaissance de cause.
L’attention se focalise souvent ensuite sur l’évaluation et la démonstration de l’efficacité de cet outil en termes de performance de détection (validité, fiabilité) et de réduction de mortalité ou de morbidité. Chacun des risques doit également être considéré, par exemple les complications liées à la procédure de dépistage et de diag­nostic, les conséquences du dépistage telles que le surdiagnostic et le surtraitement ou les faux négatifs, l’anxiété provoquée par l’attente des résultats ou par un faux positif… La population cible étant asymptomatique, son exposition, à la suite d'une sollicitation à des risques injustifiés ou non évalués, dans le cadre d’une politique publique, pour un bénéfice certes attendu mais qui reste incertain à un niveau individuel, pourrait être considérée comme non éthique.
Au terme d’une évaluation qui doit être collective, la « balance bénéfices-risques » doit être jugée comme favorable en termes de santé publique, c’est-à-dire à un niveau populationnel et pour le niveau de risque considéré. Dans l’idéal, le positionnement du curseur entre bénéfices attendus et risques acceptables devrait recueillir l’assentiment de la population-cible par des études adaptées sur leurs préférences et sur les freins potentiels. À défaut, le programme risque de s’exposer à un manque d’adhésion.

Quelle stratégie ?

Outre la performance attendue du test ou du programme, leur acceptabilité, leur simplicité et leur facilité apparente de réalisation, le recours à un dépistage doit se faire dans le cadre d’une stratégie et d’une organisation appropriées. On notera à ce titre que les essais se fondant sur des critères d’impact sur la mortalité – le premier juge de paix – évaluent en fait souvent l’impact de l’ensemble de la chaîne (du niveau d’adhésion de la population cible à l’efficacité des procédures de traitements dans des conditions réelles, en passant par certaines modalités organisationnelles du programme) et non la seule performance intrinsèque du test. Cela permet de rappeler in fine deux choses : les performances du dépistage et du traitement étant indissociables, il serait vain de prétendre déployer un dépistage si aucun traitement performant n’est disponible et si aucun impact bénéfique à long terme n’est établi pour une intervention à un stade précoce ; et, inversement, la non-démonstration d’un impact sur la mortalité dans un essai n’est pas synonyme d’une détection insuffisante du test mais peut résulter d’une négligence ou d’un défaut de conception du programme.
La proposition d’une approche de dépistage n’est par ailleurs pas adaptée pour tous les cancers. Pour que le dépistage puisse être utile, l’évolution naturelle du cancer en question doit être bien connue et passer par une phase préclinique suffisamment longue et suffisamment fréquente dans la population cible pour permettre le positionnement d’un test de dépistage. Une phase préclinique trop courte, avec des manifestations cliniques presque d’emblée, pourrait questionner l’utilité de dépister plutôt que d’opter pour une stratégie de traitement réactive à la suite de la survenue des premiers symptômes. Pour les cancers d’expression hétérogène, il est par ailleurs souhaitable que des biomarqueurs qui permettent de préciser l’évolutivité probable de la lésion détectée soient disponibles, cela afin de minimiser le risque de surdiagnostic et de surtraitement, et leurs conséquences.
Le type de cancer, le niveau de risque et les caractéristiques de performance du test conditionnent la stratégie de dépistage (rythme, modalités d’accès, dispositif d’analyse, etc.) et l’organisation qui doit la sous-tendre pour la rendre applicable et effective ; ce d’autant que l’on s’éloignera nécessairement des conditions contrôlées dans lesquelles les tests diagnostiques sont développés lors du déploiement d’une stratégie sur le terrain.

Quelle organisation ?

La stratégie déterminée doit être déployée sur le terrain, et le fonctionnement en routine du programme doit être assuré, ce qui embrasse les activités de sélection-invitation de la population-cible, l’information des personnes, de réalisation des tests de dépistage, l’(in)formation des professionnels de santé, le suivi des tests positifs et plus généralement l’évaluation en continu du dispositif.
Il s’agit en particulier de ne pas générer de pertes de chance et d’être vigilant à la qualité des pratiques comme à la procédure de dépistage (encadrement, pertinence d’une démarche d’assurance qualité et utilité d’une formation des professionnels) et de s’assurer de la capacité du programme à la fois à repérer les personnes concernées et à atteindre la population-cible sur l’ensemble du territoire, ce qui interroge sa capacité à réduire ou au moins à ne pas générer d’inégalités d’accès ou de recours au dépistage.
Notons que s’il existe un fossé entre la recherche et sa traduction en une recommandation de pratique ou de programme, il existe un gouffre entre ladite recommandation et le déploiement opérationnel d’une stratégie et d’une organisation de dépistage. Il est pourtant essentiel de s’intéresser à la réalité des professionnels de santé et des personnes « cibles » de ce dépistage, ainsi qu’aux freins et aux leviers qui rendront le programme effectif sur le terrain, c’est-à-dire de comprendre comment et dans quelles conditions ce programme pourrait être déployé avec succès. Les réflexions éthiques, les sciences humaines et sociales, et la recherche interventionnelle ont, de ce point de vue, des apports indéniables.
Le déploiement d’un nouveau programme doit également tenir compte de la charge que le dépistage va induire pour le système de soins : il en est ainsi du coût des ressources matérielles et des compétences nécessaires au diagnostic et au traitement, et de leur disponibilité. À titre d’exemple, l’impact budgétaire du programme de dépistage du cancer colorectal est, au complet, de l’ordre de 60 millions d’euros par an, ce qui représente un effort financier considérable : le surcoût lié à ces actions ciblées doit être assumé a priori et a posteriori avec un objectif d’équité. Il sera par la suite nécessaire d’évaluer régulièrement la performance du dispositif en place et d’assurer une veille technologique pour garantir un programme optimisé et tenant compte des innovations. L’opportunité de la démarche proposée se pose avec acuité, car il s’agit d’une démarche active vis-à-vis de personnes bien portantes. Cela suppose naturellement de disposer du maximum d’informations permettant l’aide à la décision mais également de prévoir, dans le programme, des indicateurs de suivi et de s’assurer, a priori, du recueil et de l’analyse régulière des informations nécessaires au suivi et au pilotage du programme de manière suffisamment fine et réactive.

Une organisation sous-jacente du programme en pleine évolution

En France, les trois programmes de dépistage en place (pour le cancer du sein, le cancer colorectal et le cancer du col de l’utérus) se fondent sur des organisations locales et sont coordonnés sur le terrain par des organismes le plus souvent associatifs, appelés structures de gestion, le plus souvent départementaux, parfois interdépartementaux (au nombre de 89). Ces organismes portent, en « arrière-plan », l’ensemble des missions citées plus haut, en s’appuyant sur les professionnels de santé qui proposent ou réalisent les dépistages.
Dans le cadre de l’évolution de l’organisation de la politique de santé portée par le Plan cancer 2014-2019, une régionalisation de ces structures a été programmée pour janvier 2019.7 Cette évolution vise à une structuration plus qualitative, facilitant l’accès au dépistage et encourageant les interfaces avec les autres acteurs ; elle porte également une rationalisation et une plus grande efficience pour ce dispositif qui s’est construit au fil de l’eau, à l’initiative des professionnels et par des strates successives de cahiers des charges, au fur et à mesure que les différents programmes étaient déployés, optimisés ou complétés.
Si la généralisation des deux premiers programmes de dépistage organisé a été mise en œuvre de façon satisfaisante, avec une mobilisation des professionnels de santé et une sensibilisation des populations concernées à la démarche de dépistage, l’évaluation des dispositifs en place a fait ressortir une forte hétérogénéité des organisations, des moyens déployés et des résultats obtenus.8 Ce constat a conduit à proposer une nécessaire évolution des missions et de l’organisation en place.
Le maillage territorial sera désormais régional, le dispositif s’articulant autour d’une seule structure par région disposant de relais locaux pour l’interface de proximité, incontournable, auprès des professionnels de santé et au plus près de la population concernée. Cette nouvelle entité sera dorénavant dénommée « centre régional de coordination des dépistages des cancers » et sera chargée, en lien avec l’agence régionale de santé (ARS) et les échelons régionaux des régimes de l’assurance maladie, de la coordination d’un dispositif territorial selon les besoins, l’historique, les spécificités de chaque territoire.9, 10 Les missions assurées par ces centres régionaux sont précisément définies dans un arrêté du 23 mars 2018.7
V

Références

1. Commission on Chronic Illness. Chronic illness in the United States. Volume I. Prevention of chronic illness. Cambridge (MA): Harvard University Press, 1957;1:45.

2. Wilson J, Jungner G. Principles and practice of screening for disease. Genève: World Health Organization,1968.

3. European commission. Report of a European survey on the organisation of breast cancer care services. Supporting information for the European Commission initiative on breast cancer. Bruxelles: European Commission, 2014.

4. Plan cancer 2014-2019. Guérir et prévenir les cancers : donnons les mêmes chances à tous, partout en France. Paris: ministère des Affaires sociales et de la Santé, ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche; 2014. http://www.e-cancer.fr/Plan-cancer/Plan- cancer-2014-2019-priorites-et-objectifs ou https://bit.ly/2GgbFcn

5. Salmi RL, Le Strat Y, de Bels F. Performance des outils et programmes de dépistage. In : Épidémiologie de terrain (2e édition). Méthodes et application. John Libbey Eurotext Limited, 2017:683-97.

6. Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé. Comment évaluer a priori un programme de dépistage ? Guide méthodologique, Anaes, 1995.

7. Arrêté du 23 mars 2018 portant modification de l’arrêté du 29 septembre 2006 relatif aux programmes de dépistage des cancers publié au JORF n° 0078 du 4 avril 2018.

8. Évolution de l’organisation du dispositif de dépistage des cancers. Boulogne-Billancourt : Institut national du cancer, 2016.

9. Instruction n° DGS/SP5/2016/395 du 21 décembre 2016 relative à l’évolution du dispositif des structures de gestion du dépistage organisé du cancer.

10. Instruction n° DGS/SP5/2017/143 du 28 avril 2017 relative à la mise en place des centres régionaux de coordination des dépistages des cancers.

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Résumé

Le dépistage vise à anticiper la survenue de symptômes pour favoriser une détection précoce de lésions cancéreuses ou pré-cancéreuses de sorte à influencer favorablement le pronostic par la mise en route précoce d’un traitement. Pour autant, le déploiement d’un programme de dépistage n’est pas toujours justifié aussi doit-il doit se fonder sur une évaluation rigoureuse de ses bénéfices, risques et limites, en particulier pour des personnes apparemment « en bonne santé ». L’exposition de personnes bien portantes à des risques injustifiés ou non évalués pourrait entrainer des pertes de chance et être considérée comme non éthique. L’évaluation du bien-fondé est généralement réalisée à partir des critères de Wilson et Jungner (OMS, 1968) lesquels portent en particulier sur l’acceptabilité du dépistage et sur la documentation de l’efficacité, de la sécurité et de l’efficience d’un programme. Dès lors que ces critères et prérequis sont vérifiés, la stratégie doit être affinée (qui inviter ? comment ?, etc.) et l’organisation sous-jacente déterminée de sorte à permettre le déploiement du programme, d’assurer son fonctionnement en continu et son suivi (quels centres ? quel retentissement sur l’offre de soins ? quelle information ? quel recueil de données et quels indicateurs ? etc .). Il s’agit en particulier de ne pas générer d’inégalités d’accès et de pertes de chances. En France, la déclinaison territoriale des programmes repose en arrière-plan sur des organisations le plus souvent départementales lesquelles s’appuient sur les professionnels de santé proposant ou réalisant les dépistages ; celles-ci se sont engagées en 2018 dans une profonde réorganisation en vue d’adopter un maillage régional. Cette réforme s’accompagnera d’une démarche qualité pour garantir la mise en œuvre harmonisée des missions.