Les pathologies visuelles de l’enfant, réfractives (70 %), strabiques (30 %), anatomiques (1 %), concernent environ 10 % des moins de 6 ans. En l’absence de prise en charge adaptée et précoce, elles peuvent conduire à une amblyopie dans 30 % des cas, avec des conséquences sur le développement et les apprentissages de l’enfant et sur la qualité de vie à l’âge adulte. Le retentissement économique sociétal est aussi important, en raison du risque accru de malvoyance.
L’organisation d’un dépistage visuel chez l’enfant se justifie donc, d’autant qu’il existe des traitements simples et efficaces s’ils sont débutés précocement.
Les dernières recommandations sur le dépistage visuel en France, émises en 2002 par la Haute Autorité de santé1 et en 2020 par l’Association francophone de strabo­logie et d’ophtalmologie pédiatrique (AFSOP)2 ont permis d’améliorer nettement la prise en charge précoce des troubles visuels de l’enfant (encadré). L’enjeu est ici de repérer précocement et systématiquement, dans la population générale et en l’absence de signes d’appel ou d’antécédents, les 10 % d’enfants susceptibles de développer une amblyopie d’origine fonctionnelle, en l’absence de tout facteur prédictif.

Stratégie du dépistage

Le carnet de santé guide la recherche des troubles visuels, via le calendrier de dépistage, avec la préconisation d’un examen oculaire dès la naissance, aux 2e, 4e, 9e et 24e mois de vie, et au cours des 3e, 4e, 6e et 8e années. Seuls les examens au cours de la première semaine de vie et celui de la 6e année sont obligatoires.
Un examen de dépistage est fortement recommandé autour de 3 ans – première année de maternelle. En effet, à cet âge, la prise en charge d’un trouble de la réfraction ou d’un strabisme permet d’éviter une possible amblyopie, et une amblyopie installée peut encore être traitée efficacement dans plus de 95 % des cas (tableau 1).
En revanche, à partir de l’âge de 6 ans, le potentiel de récupération de l’amblyopie, s’il existe toujours jusqu’à 8-10 ans, est fortement diminué en raison de l’irréversibilité de la maturation visuelle.
Il faut principalement distinguer deux situations : enfant à risque de développer une amblyopie organique ou fonctionnelle et enfant sans facteur de risque.

Enfants à risque d’amblyopie organique

Les enfants à risque de développer une amblyopie organique doivent être identifiés rapidement par un examen ophtalmologique avec fond d’œil dans le premier mois de vie.
Les facteurs de risque sont les suivants :
• antécédents familiaux de pathologies oculaires potentiellement héréditaires et congénitales (cataracte congénitale, glaucome congénital, rétinoblastome, malformations oculaires et crânio­faciales) ;
• prématurité avec un terme de naissance inférieur à 31 semaines d’aménorrhée et/ou poids de naissance inférieur à 1 250 g (risque de rétinopathie de la prématurité [ROP]) ;
• crâniosténoses héréditaires ;
• infections fœtomaternelles.

Enfants à risque d’amblyopie fonctionnelle

Ils nécessitent quant à eux un examen ophtalmologique avec mesure de la réfraction sous cycloplégie et un fond d’œil systématique à l’âge de 1 an.
Plusieurs facteurs de risques d’amblyopie fonctionnelle imposent un contrôle ophtalmologique entre 12 et 15 mois :
• antécédents familiaux au premier degré d’amétropie forte apparue dans la petite enfance, de strabisme, de nystagmus ou d’amblyopie ;
• prématurité inférieure à 37 SA et/ou poids de naissance inférieur à 1 500 g ;
• souffrance neurologique néonatale et séquelle ultérieure (infirmité motrice cérébrale, retard psychomoteur) ;
• anomalie chromosomique, notamment la trisomie 21 ;
• crâniosténoses et malformations de la face ;
• exposition toxique durant la grossesse (tabac, alcool, cocaïne) ;
• pathologie générale avec atteinte neuro-­ophtalmologique potentielle ;
• autre handicap neurosensoriel.

Enfants sans facteur de risque

Un examen de dépistage est recommandé à l’âge de 3 ans (première année de maternelle) ; selon l’AFSOP, cet examen doit idéalement comprendre l’association de trois tests : la mesure de l’acuité visuelle, l’examen sous écran et la mesure de la réfraction avec un photo-vidéo réfracteur (photoscreening) éventuel­lement réalisée chez l’orthoptiste. La réalisation de ces trois tests permet d’augmenter considérablement la sensibilité et la spécificité du dépistage en recherchant à la fois une amblyopie, un strabisme et un trouble de la réfraction. Une anomalie doit conduire à adresser l’enfant chez un ophtalmologiste dans un délai d’un mois en cas de suspicion d’amblyopie (acuité visuelle inférieure à 5/10e à 3 ans avec un écart de plus de deux lignes entre chaque œil, strabisme unilatéral…) ou de trois mois dans le cas contraire. Les facteurs amblyogènes ont été clairement définis par l’AFSOP (tableau 2).

Quels sont les outils de dépistage ?

De façon générale, le dépistage comprend systématiquement une mesure de l’acuité visuelle de loin en monoculaire et binoculaire avec un test d’acuité différent selon le lieu et l’âge (échelle optométrique Pigassou, échelle de Snellen, échelle de Monoyer…).
Les autres examens réalisés varient : test d’hypermétropie avec des verres de +2 D (dioptries) en cas de test d’acuité visuelle de loin normale ; test d’Ishihara 2 pour la vision des couleurs ; test de la vision stéréoscopique (test de Lang) et test à l’écran (cover test) pour la détection du strabisme ; mesure de la réfraction sans cycloplégie par certains praticiens.

Pour le médecin généraliste

Le dépistage comprend de façon systématique un interrogatoire des parents, à la recherche de pathologies ophtalmologiques, de fortes amétropies, de strabisme dans l’enfance, de prématurité.
Un examen externe de l’œil est réalisé à l’aide d’un point lumineux pour les nourrissons et jeunes enfants d’âge préverbal, à la recherche d’une anomalie du segment antérieur (opacité cornéenne, opacité dans l’aire pupillaire, asymétrie palpébrale, lueurs pupillaires…). Une recherche des réflexes visuels est nécessaire dès la naissance et durant les premiers mois, ainsi qu’un dépistage du strabisme à l’aide de l’étude des reflets cornéens ou du test à l’écran unilatéral puis alterné de près.
Enfin, une réaction à l’occlusion d’un œil serait en faveur d’une amblyopie.
Dès l’âge de 3 ans, une mesure de l’acuité visuelle de loin peut être tentée à l’aide d’une échelle adaptée (Pigassou, Snellen…).
Le médecin traitant dispose d’une cotation spécifique pour le dépistage visuel. La référence reste cependant la mesure de la réfraction sous cycloplégie associée à l’examen du fond d’œil, réalisés par l’ophtalmologiste. Cet examen consiste en une mesure de la réfraction après instillation de collyres cycloplégiants (chlorhydrate de cyclopentolate [Skiacol] à partir de 1 an, ou atropine 0,3 ou 0,5 % selon l’âge), selon un protocole standardisé dont l’objectif est de bloquer l’importante accommodation de l’enfant, responsable des erreurs de mesure de réfraction ; les valeurs seuils diffèrent alors de celles obtenues sans dilatation.

S’équiper d’un photo-vidéo-réfractomètre ?

La technique de photoscreening – fondée sur le modèle anglosaxon – est utilisée depuis quelques années, nécessitant des photo-vidéo-réfracteurs (Spot Vision Screener, Plusoptix et 2WIN) Ces photo-­vidéo-réfracteurs, utilisables en pratique courante, permettent une mesure binoculaire non cycloplégiante de la réfraction.
Ils ont montré leur efficacité dans le dépistage de masse chez les enfants de 3 à 4 ans, permettant de les adresser pour un examen sous cycloplégie selon des valeurs seuils définies spécifiquement (tableau 3).

Quand orienter vers l’ophtalmologiste ?

Plusieurs situations imposent une orientation vers un ophtalmologiste (tableau 4).

Deux urgences à ne pas manquer

Le principal signe constituant une urgence avec nécessité d’examen ophtalmologique sans délai est la présence d’une leucocorie, reflet blanc dans l’aire pupillaire. Elle peut être constatée à l’occasion d’un examen médical, être signalée par les parents ou être présente sur une photographie avec flash (fig. 1). La crainte de l’ophtalmologiste est la présence d’un rétinoblastome sous-jacent qui, en plus d’altérer fortement le pronostic visuel, peut également engager le pronostic vital et nécessite une prise en charge urgente dans un centre d’oncologie pédiatrique adapté.
Les autres causes de leucocorie sont la cataracte congénitale, certaines rétinopathies infectieuses (toxoplasmose, toxo­carose, bartonellose) ou vasculaires (maladie de Coats, etc.) qui nécessitent une prise en charge médicale ou chirurgicale rapide.
La présence d’une cornée opaque ou d’une mégalocornée (souvent décrites comme « grands et beaux yeux » par les parents) chez les nourrissons est également une urgence : la pathologie redoutée est le glaucome congénital, dont la prise en charge est chirurgicale (fig. 2). La présence d’un larmoiement chronique et/ou d’une photophobie doit aussi faire craindre ce diagnostic.
Par ailleurs, la présence d’un strabisme, d’un torticolis, d’un nystagmus, quel que soit l’âge, doit conduire à un examen ophtalmologique rapide.

Situations justifiant un contrôle ophtalmologique

Cinq situations justifient la demande d’un contrôle ophtalmologique, sans urgence :
• une acuité visuelle inférieure à 5/10e à l’œil droit ou gauche ou un écart inter­oculaire de plus d’une ligne ;
• toute anomalie au test de l’écran ;
• une sphère comprise entre -3 et +2,5 D au photodépistage ;
• un astigmatisme supérieur à 1,5 D ;
• une anisométropie (différence de puissance entre les deux yeux) supérieure à 1 D.
Les délais souhaitables d’examen ophtalmologique en cas de dépistage positif varient selon les situations :
• un mois en cas de suspicion d’amblyopie ;
• environ trois mois si l’acuité visuelle est normale mais qu’une anomalie est constatée au test de l’écran et/ou au photo­dépistage. 
Encadre

Dépistage des troubles visuels chez l’enfant : recommandations de l’AFSOP (2020)

• Signes d’appel (nystagmus, strabisme, baisse de l’acuité visuelle…) à tout âge examen ophtalmologique rapide

• Population à risque de pathologie organique précoce examen ophtalmologique (fond d’œil) dans le premier mois de vie

• Population à risque d’amblyopie fonctionnelle examen ophtalmologique et mesure de la réfraction sous cycloplégie à 1 an

• Population générale sans facteur de risque ni signe d’appel examen visuel systématique autour de 3 ans comprenant trois tests permettant la détection d’une amblyopie, d’un strabisme, d’un trouble de la réfraction. En cas d’anomalie à l’un des tests :

– acuité visuelle < 5/10e ou plus d’une ligne d’écart interoculaire ;

– test à l’écran : toute anomalie sauf minime exotropie < 8 ° tolérée

photoscreening : sphère ou équivalent sphérique < -3 D ou > +2,5 D

Astigmatisme > 1,5 D

Anisométropie >   D

L’enfant est adressé à un ophtalmologiste dans un délai d’un mois en cas de suspicion d’amblyopie, de 3 mois en l’absence de suspicion d’amblyopie.

D : dioptrie

Encadre

Que dire à vos patients ?

• Toute anomalie à type de leucocorie (pupille blanche), buphtalmie (trop gros œil ou trop « bel » œil) ou strabisme constant avant l’âge de 4 mois est pathologique et doit faire consulter en urgence.

• Toute anomalie de comportement visuel (absence de clignements à la lumière ou de réflexe de fixation, pauvreté de la mimique, absence de poursuite oculaire) doit faire consulter.

• Tout strabisme, baisse d’acuité visuelle ou nystagmus, torticolis à tout âge doit faire consulter.

• En cas d’antécédents parentaux d’amétropie forte ou d’amblyopie, il convient de consulter un ophtalmologiste dans un délai de neuf à douze mois.

• En l’absence de facteur de risque familial et de signe d’appel, un examen visuel doit être effectué autour des 3 ans de l’enfant, afin de détecter une amblyopie, un strabisme ou un trouble de la réfraction.

Références
1. Haute Autorité de santé. Recommandation de bonne pratique. Dépistage précoce des troubles de la fonction visuelle chez l’enfant pour prévenir l’amblyopie. 2002. (consulté le 28 septembre 2022), disponible sur https://bit.ly/3ytmyQP
2. Lequeux L, Thouvenin D, Couret C, et al. Le dépistage visuel chez l’enfant : les recommandations de l’Association francophone de strabologie et d’ophtalmologie pédiatrique (AFSOP). J Fr Ophtalmol 2021;44(2):244-51.

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Un test de dépistage doit comprendre systématiquement une mesure de l’acuité visuelle de loin en monoculaire et binoculaire avec un test d’acuité différent selon le lieu et l’âge.

Il est fortement recommandé de réaliser un examen de dépistage vers 3 ans : à cet âge, une amblyopie installée peut encore être traitée efficacement dans plus de 95 % des cas.

À partir de 6 ans, le potentiel de récupération de l’amblyopie est fortement diminué en raison de l’irréversibilité de la maturation visuelle.