Le cancer colorectal (CCR) est un problème de santé publique majeur, avec plus de 43 000 nouveaux cas et près de 17 700 décès par an en France. Il se développe à partir d’une lésion prénéoplasique appelée polype, qui passe par différents stades de dysplasie, avant d’aboutir à l’adénocarcinome invasif, sur une période de dix à quinze ans. La survie à cinq ans du CCR a augmenté ces trente dernières années. Elle est actuellement de 63 % tous stades confondus. Cependant, elle reste bien plus élevée pour les stades précoces que pour les stades avancés.1
Le dépistage permet de diagnostiquer la maladie à un stade précoce, accessible à un traitement curatif, réduisant ainsi la mortalité spécifique par CCR ainsi que l’incidence de cette maladie.2-3
Évaluation du niveau de risque
Les modalités de dépistage dépendent actuellement du niveau de risque de développer un CCR, défini par la Haute Autorité de santé. Savoir évaluer ce niveau de risque permet de proposer un dépistage adapté à chaque patient. Pour cela, le médecin traitant doit recueillir les antécédents personnels et familiaux de polypes ou de CCR, de maladie inflammatoire chronique intestinale et de polypose génétique (figure).
Patient à risque moyen
Les patients à risque moyen, âgés de 50 à 74 ans, sont invités tous les deux ans par courrier à réaliser un test de dépistage. Ces invitations sont envoyées par les structures de gestion du dépistage que sont les centres régionaux de coordination des dépistages des cancers (CRCDC). Le patient est incité à se rendre en consultation chez son médecin traitant pour une évaluation du niveau de risque. En cas de validation du niveau de risque moyen, le médecin généraliste remet un kit de dépistage au patient. Depuis 2022, le patient peut également récupérer le kit auprès de son pharmacien ou le commander directement par internet sur le site https://monkit.depistage-colorectal.fr/.
Modalités du test de dépistage
Le test de dépistage est un test immunologique (Fecal Immunochemical Test [FIT]), utilisant un anticorps spécifique de la globine humaine. Il remplace le test Hemoccult depuis 2015. Il s’agit d’un test quantitatif qui met en évidence la présence d’un saignement occulte dans les selles, avec un seuil de positivité fixé en France à 30 µg d’hémoglobine par gramme de selles. Le patient réalise ce test à domicile, puis le transmet par courrier dans une enveloppe dédiée au laboratoire Cerba, qui envoie les résultats au patient et à son médecin traitant.
Conduite à tenir selon les résultats
En cas de test négatif, le patient doit refaire le test deux ans plus tard.
En cas de test positif, il est adressé à un hépato-gastroentérologue pour réaliser une coloscopie totale. Le patient doit être informé qu’un résultat positif ne signe pas automatiquement la présence d’un CCR : si plus de la moitié des coloscopies mettent en évidence au moins un polype, un cancer n’est diagnostiqué que dans 5 à 10 % des cas.
La sensibilité pour la détection de CCR du programme de dépistage fondé sur le FIT au seuil actuel est comprise entre 81 et 89 %. Malgré ces performances, seulement 35 % de la population ciblée participe. Il convient de promouvoir ce test auprès des patients, afin d’augmenter ce taux de participation et diminuer ainsi la mortalité spécifique et l’incidence du CCR.
Après 74 ans, le dépistage reste possible
Au-delà de 74 ans, les patients ne sont plus éligibles au dépistage organisé, et le laboratoire Cerba n’analyse plus les tests transmis. Certains patients conservent cependant un état général satisfaisant, avec une espérance de vie supérieure à dix ans, et pourraient bénéficier du dépistage. Si le médecin traitant peut encore prescrire la réalisation d’autres tests qualitatifs de recherche de sang dans les selles, ceux-ci présentent une performance inférieure au FIT et ne doivent pas être privilégiés. En attendant un possible élargissement du remboursement et de l’analyse du FIT aux 75 ans et plus, il est préférable d’adresser ces patients en consultation d’hépato-gastroentérologie, pour discuter au cas par cas la poursuite du dépistage par coloscopie.
Quel examen proposer en cas de contre-indication ou d’échec de la coloscopie ?
En cas d’échec ou d’impossibilité à réaliser la coloscopie, il est possible de proposer un coloscanner. Cet examen permet de mettre en évidence la présence de lésions dans la lumière colique, sans toutefois permettre la résection de polypes ou de CCR débutant.
Et après la coloscopie, quelle attitude adopter ?
La coloscopie n’est considérée contributive que si elle est de bonne qualité : c’est-à-dire que le cæcum est atteint, et que la préparation colique est suffisamment satisfaisante pour observer la totalité de la muqueuse colique. En cas de coloscopie incomplète ou avec une préparation sous-optimale, un nouvel examen doit être programmé dans un délai de six à douze mois.
En cas de coloscopie de dépistage normale après un test de dépistage positif, le patient peut reprendre le dépistage classique par FIT au bout de cinq ans.
En cas de mise en évidence de polypes, l’hépato-gastroentérologue doit proposer une stratégie de surveillance adaptée dans le compte rendu final transmis au patient et à son médecin traitant, après réception de l’analyse anatomopathologique du ou des polype(s) réséqué(s). Les nouvelles recommandations de la Société française d’endoscopie digestive (SFED) distinguent deux niveaux de risque après une polypectomie :
- en cas de résection de moins de cinq adénomes ou de polypes festonnés mesurant moins de 10 mm, sans dysplasie de haut grade, le risque de CCR est considéré comme faible ; une coloscopie de contrôle ou une consultation de prévention spécifique à cinq ans est alors proposée ;
- en cas de résection de plus de cinq adénomes ou de polypes festonnés, ou d’un adénome ou polype festonné de plus de 10 mm, ou avec dysplasie de haut grade, le risque de CCR est considéré comme élevé ; une coloscopie de contrôle à trois ans est alors proposée.
Une coloscopie de contrôle plus précoce peut également être programmée, notamment en cas de résection endoscopique d’un polype avec des foyers d’adénocarcinome, ou en cas de résection en plusieurs fragments (figure).4
Patient à risque élevé ou très élevé
En cas de risque élevé ou très élevé de CCR, le médecin doit adresser le patient en consultation d’hépato-gastroentérologie, afin d’initier un suivi adapté (figure). Le rythme et les modalités de réalisation des coloscopies sont alors définis par le médecin spécialiste. Celui-ci doit remettre au patient un document écrit précisant le rythme de surveillance, et doit en informer son confrère généraliste.
Les patients atteints de polypose familiale sont à très haut risque de développer un CCR. Le diagnostic doit être évoqué devant la présence de plus de dix polypes lors d’une coloscopie, et posé par un oncogénéticien après mise en évidence d’une mutation spécifique. La découverte d’une mutation chez un cas index doit la faire rechercher chez les apparentés. Les patients porteurs de la mutation bénéficient de coloscopies plus régulières (tous les un à deux ans), initiées à un âge plus précoce, avec utilisation d’une coloration spécifique (chromocoloscopie à l’indigo carmin).
En cas de syndrome de Lynch, une chromocoloscopie doit être réalisée tous les un à deux ans, dès l’âge de 25 ans.
En cas de polypose adénomateuse familiale liée à une mutation du gène APC, une surveillance endoscopique est à débuter dès l’adolescence (10-15 ans). Une colectomie ou coloproctectomie prophylactique doit être proposée au patient devant le très haut risque de CCR avant 40 ans. Une surveillance endoscopique régulière du rectum résiduel ou du réservoir rectal doit être poursuivie au-delà de la résection chirurgicale.5
2. Faivre J, Dancourt V, Lejeune C, et al. Reduction in colorectal cancer mortality by fecal occult blood screening in a French controlled study. Gastroenterology 2004;126(7):1674‑80.
3. Cardoso R, Guo F, Heisser T, et al. Colorectal cancer incidence, mortality, and stage distribution in European countries in the colorectal cancer screening era: An international population-based study. Lancet Oncol 2021;22(7):1002‑13.
4. Hassan C, Antonelli G, Dumonceau JM, et al. Post-polypectomy colonoscopy surveillance: European Society of Gastrointestinal Endoscopy (ESGE) Guideline- Update 2020. Endoscopy 2020;52(8):687‑700.
5. Grandval P. Diagnostic et surveillance des patients à très haut risque génétique de CCR [internet]. FMC-HGE. 2020 [cité en avril 2023]. Disponible sur https://bit.ly/3VZuh3z.