Les cancers du poumon sont la première cause de mortalité par cancer chez l’homme et probablement bientôt chez la femme. S’ils sont repérés à un stade très précoce, la chirurgie permet une guérison dans plus de 80 % des cas. Pourquoi, à la différence d’autres pays, le dépistage n’est-il pas recommandé en France ?
Interview de Bernard Milleron, service d’oncologie thoracique, hôpital Bichat, AP-HP, Paris, France.
Le dépistage du cancer du poumon a-t-il un intérêt ?
D’après les nombreuses études (ouvertes et randomisées) conduites pendant les 40 dernières années, ni la radiographie thoracique, ni l’examen cytologique des crachats ne sont utiles dans le dépistage des cancers du poumon chez les fumeurs. En revanche, le scanner low dose a montré ses bénéfices. Il s’agit d’un scanner non injecté et faiblement irradiant (il faut le préciser dans la prescription). Dans les premières études ouvertes, l’opérabilité et la survie étaient supérieurs chez les sujets dont le cancer avait été découvert à la suite d’un scanner pulmonaire systématique par rapport aux malades dont le cancer avait été diagnostiqué à la suite de symptômes. Mais pour démontrer l’intérêt d’un dépistage, il faut prouver qu’il diminue la mortalité spécifique (celle par cancer du poumon)…
La preuve a été apportée en 2011 par l’étude américaine randomisée NLST, qui a comparé le scanner faiblement dosé à la radiographie standard chez 53 000 grands fumeurs actifs ou anciens (sevrés depuis au moins 15 ans), âgés de 55 à 74 ans. Les résultats ont montré une diminution de la mortalité spécifique de 20 %, mais aussi de la mortalité générale de 6 %, ce qui est assez exceptionnel (pas de baisse de cette dernière dans le dépistage du cancer du sein, par exemple). Ensuite, l’essai NELSON, mené aux Pays-Bas et en Belgique chez 15 000 fumeurs ou anciens fumeurs (sevrés depuis moins de 10 ans) de 50 à 74 ans, a mis en évidence une réduction de 25 % de la mortalité spécifique chez les hommes et de 33 % chez les femmes (mais pas de significativité chez celles-ci à cause d’un effectif trop faible).
Y a-t-il des faux positifs ? Un risque de surtraitement ?
Le pourcentage de faux positifs dans l’étude NLST est élevé, 23 %, ce qui peut générer des coûts et des examens inutiles. Cependant, dans cette étude bien encadrée menée dans des centres spécialisés, les investigations invasives (chirurgie, fibroscopie) chez ces faux positifs étaient rares. Dans NELSON, les faux positifs étaient beaucoup moins nombreux (1,3 %) car la gestion des nodules de dimension intermédiaire reposait sur la mesure de leur temps de doublement (si rapide : exploration ; si long : scanner 1 an après).
En ce qui concerne l’irradiation, elle existe mais elle est faible : la dose reçue lors d’un scanner serait équivalente à celle d’un aller-retour en avion Paris-New York ; de plus, le risque de cancer radio-induit est nettement plus important chez les jeunes que chez les sujets concernés par le dépistage, âgés de plus de 50 ans.
Enfin, le coût n’est pas négligeable, mais il pourrait être couvert en France par une augmentation de seulement 1 % du prix du tabac !
Un résultat négatif ne pourrait-il pas donner une fausse assurance aux fumeurs ?
Pas du tout ! Les études montrent que le fait de participer à un dépistage, même si l’on est inclus dans le bras placebo, diminue le tabagisme. De plus, la probabilité d’arrêter de fumer est plus élevée si l’anomalie radiologique retrouvée est bénigne qu’en cas de malignité. Bien entendu, les deux démarches – dépistage et sevrage – doivent être complémentaires !
Où en est-on France ?
Alors que le scanner est actuellement recommandé par les grands organismes internationaux de dépistage, notamment aux États-Unis, il n’est pas implanté en France car la HAS a estimé, dans ses dernières recommandations de 2013, que son rapport bénéfice-risque n’était pas prouvé et que d’autres études étaient nécessaires. Alors que le rapport de la HAS ne le demandait pas, aucune expérimentation n’a plus été financée ces dernières années, à l’exception de la Somme où Olivier Leleu, du centre hospitalier d’Abbeville, réalise actuellement une étude de cohorte en s’appuyant sur un réseau de généralistes. La publication de l’étude NELSON va conduire la HAS à revoir sa position. En tout cas, c’est le souhait des sociétés savantes et des associations de patients…
Que dire à un généraliste qui veut faire du dépistage opportuniste ?
Il est très important de respecter des conditions précises :
– population ciblée : âge > 50 ou 55 ans, plus de 10 cigarettes par jour pendant plus de 30 ans ou plus de 15 cigarettes par jour pendant plus de 25 ans, fumeur actif ou sevré depuis moins de 10 ans ;
– une démarche de sevrage doit être toujours associée ;
– l’état général du malade doit permettre d’instaurer le traitement si un cancer est découvert. Le dépistage doit être bien cadré, et réalisé en lien avec des centres hospitalo-universitaires. Il est urgent d’instaurer des expérimentations au niveau régional…
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
Pour en savoir plus
Milleron B. Comment dépister les cancers du poumon, et avec quels résultats ? Rev Prat 2020;70:859-62.
Milleron B. Dépistage des cancers du poumon : à qui prescrire un scanner faiblement dosé ? Rev Prat 2020;70:863.
Couraud S, Grolleau E. Quelle mise en pratique du dépistage des cancers du poumon ? Rev Prat 2020;70:864.
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