La dénutrition est fréquente et entraîne des conséquences potentiellement majeures. Elle représente un facteur de risque indépendant de mauvais pronostic, une des causes de fragilité et de dépendance (en particulier chez les personnes âgées). La prise en charge de la dénutrition est d’autant plus efficace qu’elle est précoce, d’où l’intérêt du dépistage. Ses critères diagnostiques ont été récemment révisés, à la suite d’une démarche internationale permettant d’harmoniser les pratiques. La Haute Autorité de santé (HAS) a ainsi publié des recommandations de bonne pratique en 2019 pour les adultes de moins de 70 ans et en 2021 pour les adultes à partir de 70 ans. Ces recommandations ont aussi abordé la question du diag­nostic de la dénutrition chez les personnes en situation d’obésité. Il s’agit d’un diagnostic clinique qui repose sur l’association d’un critère phénotypique et d’un critère étiologique. La stratégie pour le dépistage, l’évaluation, le diagnostic et la gradation de la dénutrition est résumée par la fig. 1.1

Quand évaluer l’état nutritionnel ?

L’état nutritionnel doit être régulièrement évalué dans la population générale, mais la fréquence de cette évaluation dépend de l’âge (personnes âgées) et des situations cliniques.2-3
En l’absence de dénutrition, il est ainsi recommandé de l’évaluer en ambulatoire :
– chez l’adulte de moins de 70 ans, à chaque consultation par un professionnel de santé ;
– chez l’adulte à partir de 70 ans, à chaque consultation par un professionnel de santé, une fois par mois à domicile, et une fois par semaine en cas d’événement intercurrent (infection, geste chirurgical…) ou de diminution de l’appétit ou des ingesta.
Lorsque le patient est hospitalisé, l’évaluation de l’état nutritionnel doit être réalisée dans les quarante-huit heures après l’admission, puis une fois par semaine, chez les adultes de tout âge.
Enfin, en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), l’évaluation de l’état nutritionnel s’impose à l’entrée puis au moins une fois par mois en situation médicale stable, et une fois par semaine en cas d’événement intercurrent (infection, acte chirurgical…) ou de diminution de l’appétit ou des ingesta.

Le dépistage de la dénutrition prend en compte plusieurs paramètres

Une perte de poids ou une diminution d’appétit et/ou des ingesta est un signe d’alerte qui doit faire évoquer la possibilité d’une dénutrition.
Le dépistage repose sur l’identification des facteurs de risque de dénutrition, une évaluation de l’appétit et des ingesta, et une évaluation de l’état nutritionnel (mesure du poids, comparaison par rapport au poids antérieur, calcul de l’indice de masse corporelle [IMC]).4

Identification des facteurs de risque de dénutrition

Chez l’adulte, les facteurs de risque sont nombreux : pathologies sévères, prolongées ou chroniques (cancers, défaillances d’organes [cardiaque, respiratoire, rénale ou hépatique], pathologies digestives à l’origine de maldigestion et/ou de malabsorption, alcoolisme, pathologies infectieuses ou inflammatoires), et toutes les situations susceptibles d’entraîner une diminution des apports alimentaires, une augmentation des besoins énergétiques (états d’hypercatabolisme), une malabsorption, ou les trois cumulées.
La dénutrition est associée à une ou plusieurs pathologies chroniques ou à divers facteurs de risque comme des douleurs chroniques, une dépression, une dépendance, des troubles neurocognitifs, des pathologies bucco-dentaires, etc.
Ces facteurs de risque peuvent être classés en catégories de situations (tableau 1).5
Bien que la dénutrition soit fréquemment observée chez les personnes âgées, l’âge en soi ne constitue pas une cause de dénutrition.

Évaluation des ingesta et de l’appétit

Différentes méthodes sont disponibles. Le gold standard est la méthode de pesée des aliments consommés et le calcul des apports protéino-énergétiques par un diététicien. Néanmoins, cette technique ne peut pas être utilisée en soins courants. Les autres méthodes sont les suivantes : enregistrement alimentaire (utilisation d’un carnet ou de photographies) sur une période de trois jours ou « rappel des 24 heures » lors d’un entretien.
La consultation diététique reste la référence pour l’évaluation précise des apports alimentaires. Chez les personnes âgées, la méthode du rappel paraît plus fiable que la méthode des enregistrements alimentaires.6
Enfin, lorsque l’accès à une consultation diététique est impossible ou pour un dépistage rapide, un score d’évaluation facile des ingesta (SEFI) a été développé (fig. 2) : il associe une auto-évaluation subjective par échelle visuelle analogique des ingesta (face A de la réglette) à une hétéro-évaluation par les soignants ou l’entourage des portions consommées (face B). Un score inférieur à 7 représente une bonne valeur prédictive de dénutrition. L’utilisation de cet outil a été validée en médecine générale et à l’hôpital (population de tout âge). En Ehpad, le SEFI présente des performances d’évaluation du risque nutritionnel (hétéro-évaluation par la méthode des portions) proches de celles du Mini Nutritional Assessment (MNA).7-8

Mesure de l’état nutritionnel

Cette évaluation comprend la mesure du poids et de la taille, ce qui permet de calculer l’indice de masse corporelle (IMC). Toute perte de poids de 3 kg et plus est un signal d’alarme.
Le poids doit être mesuré (un poids déclaré par le patient ne suffit pas) et il doit figurer dans le dossier de soins. Dans certaines situations, le module de pesée nécessite d’être adapté (obésité, sujet alité) : fauteuil de pesée, lève-malade ou lit avec système de pesée intégré. Le poids est interprété en fonction de la taille (IMC) et du poids antérieur (pour établir une cinétique de poids).9
La taille est mesurée avec une toise. Chez des sujets de plus de 60 ans, si la station debout est impossible ou si le patient présente des troubles de la statique, la formule de Chumlea permet d’estimer la taille à partir de la distance talon-genou (TG) en centimètres :10
– taille homme en cm = (2,03 × TG) - (0,04 × âge) + 64,19 ;
– taille femme en cm = (1,83 × TG) – (0,24 × âge) + 84,88.
L’IMC correspond au rapport du poids (en kilogrammes) sur la taille (en mètre) au carré. Il permet d’estimer une corpulence et de quantifier un niveau de dénutrition ou d’obésité.

Utilisation des outils de dépistage

Des outils reprennent les différents items du dépistage et sont utilisables en pratique quotidienne. En France, l’outil le plus utilisé est le Mini Nutritional Assessment-Short Form (MNA-SF) (fig. 3) : un score inférieur à 12/14 correspond à un risque de dénutrition.11-14

Des critères diagnostiques de la dénutrition revus récemment

Les critères HAS de la dénutrition ont été révisés en 2019 pour les adultes de moins de 70 ans et en 2021 pour les adultes à partir de 70 ans. Cette révision fait suite à la publication d’un consensus international du Global Leadership Initiative on Malnutrition (GLIM) qui a défini des critères communs pour diagnostiquer la dénutrition.1
Le diagnostic de dénutrition est clinique. Pour le porter, il est nécessaire d’identifier au moins un critère phénotypique (perte de poids, diminution de l’IMC ou critère musculaire) et au moins un critère étiologique (réduction de la prise alimentaire, absorption réduite [malabsorption/maldigestion] ou situation d’agression).
Les critères phénotypiques et étiologiques, chez l’adulte de tout âge, sont décrits dans la fig. 4.
Au cours du suivi, le diagnostic de dénutrition persiste tant que le critère phénotypique est présent (y compris si le critère étiologique disparaît ; par exemple, si une maladie guérit, le patient peut rester dénutri).
Les critères musculaires associent la force, la masse musculaire et la performance physique.
Chez l’adulte de moins de 70 ans, un seul critère musculaire suffit parmi la force musculaire (force de préhension), la quantité musculaire (masse ou surface) et la performance physique (vitesse de marche). Les seuils sont décrits dans le tableau 2.
Chez l’adulte à partir de 70 ans, la sarcopénie confirmée a été retenue comme un critère phénotypique. Elle associe une réduction de la force et une réduction de la masse musculaire (les seuils retenus figurent dans le tableau 3).15
La force musculaire peut être mesurée par le test des 5 levers de chaise ou par la force de préhension (dynamomètre ou hand grip test).
La masse musculaire correspond soit à la masse musculaire appendiculaire (des quatre membres), soit à l’indice de masse musculaire appendiculaire (rapporté à la taille2) ; les techniques de mesure incluent l’absorptiométrie biphotonique (DEXA) et l’impédancemétrie. En pratique quotidienne, ces outils ne sont pas toujours accessibles. Une circonférence du mollet strictement inférieure à 31 cm suggère alors une réduction de la masse musculaire.3

Évaluer la sévérité de la dénutrition

Le diagnostic de sévérité ne s’établit qu’une fois le diag­nostic de dénutrition effectué. Il repose :
– sur des seuils plus graves pour les critères phénotypiques ;
– ou sur une hypoalbuminémie (mesurée par immunonéphélémétrie ou immunoturbidimétrie).
Les critères de sévérité sont décrits dans la fig. 4.
L’hypoalbuminémie n’est ainsi plus considérée comme un critère de dénutrition, mais comme un critère de sévérité de la dénutrition. En effet, l’albuminémie n’est ni corrélée aux apports alimentaires énergétiques ou protéiques, ni à la perte de poids, ni à la masse musculaire, ni à l’IMC. En revanche, l’albuminémie est un excellent marqueur de sévérité dans plusieurs pathologies, dont la dénutrition (associée à une augmentation de la morbi-mortalité).

Des critères spécifiques pour le patient en situation d’obésité

L’obésité est définie par un IMC supérieur ou égal à 30 kg/m2, quel que soit l’âge. La présence d’une obésité n’exclut pas une dénutrition. En effet, chez une personne en situation d’obésité, l’IMC reflète à la fois la masse musculaire et la masse grasse. Dans ce cas, l’IMC ne permet pas d’évaluer la masse musculaire. C’est pour cette raison que l’IMC n’est pas un critère de dénutrition chez une personne en situation d’obésité. Le diagnostic de dénutrition repose alors, pour le critère phénotypique, sur la perte de poids ou les critères musculaires, associé à au moins un critère étiologique.
Chez les adultes à partir de 70 ans, environ 15 % des sujets sont en situation d’obésité, et 5 à 10 % sont dénutris. Le pourcentage de personnes à la fois obèses et dénutries n’a pas été déterminé. Certaines personnes en situation d’obésité perdent du poids en vieillissant ; la perte de poids est liée à diverses pathologies, dont certaines sont secondaires à l’obésité. Les patients en situation d’obésité dénutris ou sarcopéniques sont particulièrement à risque de dépendance.16 Il est donc indispensable de les repérer précocement.

Un dépistage à intégrer à la pratique quotidienne

Le dépistage de la dénutrition doit faire partie de la pratique clinique quotidienne des médecins traitants. Le diagnostic de la dénutrition est clinique et repose sur l’association d’un critère phénotypique et d’un critère étiologique. Une personne en situation d’obésité peut également être dénutrie. 

Références

1. Cederholm T, Jensen GL, Correia MITD, Gonzalez MC, Fukushima R, Higashiguchi T, et al. GLIM criteria for the diagnosis of malnutrition - A consensus report from the global clinical nutrition community. Clin Nutr 2019;38(1):1-9.
2. Haute Autorité de santé. Évaluation diagnostique de la dénutrition protéino-énergétique des adultes hospitalisés. HAS. 2019. Disponible sur : has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2019-11/reco277_recommandations_rbp_denutrition_cd_2019_11_13_v0.pdf
3. Haute Autorité de santé. Diagnostic de la dénutrition chez la personne de 70 ans et plus. HAS. 2021. www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-11/reco368_recommandations_denutrition_pa_cd_20211110_v1.pdf
4. Collège des enseignants de nutrition. Nutrition. 3e édition. France: Elsevier Masson, 2019. 227 p.
5. Haute Autorité de santé. Stratégie de prise en charge en cas de dénutrition protéino-énergétique chez la personne âgée. HAS. 2007. Disponible sur : www.has-sante.fr/portail/jcms/c_546549/fr/strategie-de-prise-en-charge-en-cas-de-denutrition-proteino-energetique-chez-la-personne-agee.
6. Soriano G, Goisser S, Guyonnet S, Vellas B, Andrieu S, Sourdet S. Misreporting of energy intake in older people: comparison of two dietary assessment methods. J Nutr Gerontol Geriatr 2018;37(3-4):310-20.
7. Thibault R, Goujon N, Le Gallic E, Clairand R, Sébille V, Vibert J, et al. Use of 10-point analogue scales to estimate dietary intake: a prospective study in patients nutritionally at-risk. Clin Nutr 2009;28(2):134-40.
8. Bouëtté G, Esvan M, Apel K, Thibault R. A visual analogue scale for food intake as a screening test for malnutrition in the primary care setting: Prospective non-interventional study. Clin Nutr 2021;40(1):174-80.
9. Collège des enseignants de nutrition. Nutrition, enseignement intégré. 2e édition. France: Elsevier Masson, 2021. 233 p.
10. Chumlea WC, Roche AF, Steinbaugh ML. Estimating stature from knee height for persons 60 to 90 years of age. J Am Geriatr Soc 1985;33(2):116-20.
11. Vellas B, Villars H, Abellan G, Soto ME, Rolland Y, Guigoz Y, et al. Overview of the MNA - Its History and Challenges. J Nutr Health Aging 2006;10:456-65.
12. Rubenstein LZ, Harker JO, Salva A, Guigoz Y, Vellas B. Screening for undernutrition in geriatric practice: Developing the short-form Mini Nutritional Assessment (MNA-SF). J Geront 2001;56A:M366-77.
13. Guigoz Y. The mini-nutritional Assessment (MNA). Review of the literature - What does it tell us? J Nutr Health Aging 2006;10:466-87.
14. Kaiser MJ, Bauer JM, Ramsch C, Uter W, Guigoz Y, Cederholm T, et al. MNA-International Group. Validation of the Mini Nutritional Assessment short-form (MNA-SF): A practical tool for identification of nutritional status. J Nutr Health Aging 2009;13(9):782-8.
15. Cruz-Jentoft AJ, Bahat G, Bauer JM, Boirie Y, Bruyère O, Cederholm T, et al. Writing Group for the European Working Group on Sarcopenia in Older People 2 (EWGSOP2), and the Extended Group for EWGSOP2. Sarcopenia: revised European consensus on definition and diagnosis. Age Ageing 2019;48(4):601.
16. Collège national des enseignants de gériatrie. Gériatrie. 5e édition. France: Elsevier Masson, 2021, 262 p.

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Résumé

À la suite d’un consensus international d’experts, la Haute Autorité de santé a révisé les critères diagnostiques de dénutrition pour les adultes de moins de 70 ans (2019) et pour les adultes à partir de 70 ans (2021). Le diagnostic de dénutrition repose sur l’association d’un critère phénotypique et d’un critère étiologique. Les critères phénotypiques sont les suivants : perte de poids, indice de masse corporelle (IMC) et critères concernant la force musculaire, la masse musculaire et les performances physiques. Les critères étiologiques sont au nombre de trois : baisse des apports alimentaires, troubles de l’absorption digestive et pathologies aiguës ou chroniques entraînant un hypercatabolisme. L’hypoalbuminémie ne représente plus un critère diagnostique de dénutrition mais elle reflète sa sévérité. Hormis l’IMC, ces critères s’appliquent également aux personnes en situation d’obésité.