Surpoids et obésité constituent des enjeux de santé publique. Les facteurs de risque sont à prendre en compte dès la période des 1 000 premiers jours. Ils concernent aussi bien la mère que les conditions de naissance et de vie du nouveau-né. Le repérage des enfants à risque de développer un surpoids ou une obésité obésité pourrait permettre des actions de prévention.
Le surpoids et l’obésité infantiles sont devenus un enjeu de santé publique au XXIe siècle, avec un risque de rester obèse à l’âge adulte pour 50 à 70 % des adolescents obèses et un coût majeur pour la société. Durant les dernières décennies, un certain nombre de circonstances en période périnatale ou chez le jeune enfant ont été associées au risque de développer un surpoids ou une obésité infantile. Le repérage de ces facteurs de risque serait utile pour mettre en place des actions de prévention dès la petite enfance, voire au cours de la période anténatale.
Courbes de corpulence : indispensable outil de repérage
La corpulence variant naturellement au cours de la croissance, l’interprétation de la valeur de l’indice de masse corporelle (IMC) doit tenir compte de l’âge et du sexe de l’enfant (
La prévalence de surpoids et d’obésité de l’enfant a connu une forte augmentation jusqu’aux années 2000, en particulier dans les pays industrialisés. En France, la prévalence du surpoids (obésité incluse) entre l’âge de 5 et 12 ans est passée de 6 % à la fin des années 1970 à 16 % en 2000. Depuis, elle est globalement stabilisée, comprise entre 16 et 20 % selon la tranche d’âge étudiée pour le surpoids, dont 3 à 4 % d’obésité.1
De nombreux facteurs de risque à évaluer pendant la période des « 1 000 premiers jours »
De nombreux facteurs de risque de surpoids et d’obésité infantiles sont identifiés ; ils sont probablement intriqués les uns avec les autres.
Une prédisposition génétique souvent influencée par l’environnement
Des causes monogéniques d’obésité précoce et morbide chez l’enfant sont connues, liées à des mutations de gènes codant pour des protéines impliquées dans les voies du contrôle de l’appétit au niveau hypothalamique.2 Plus récemment, des études ont mis en évidence une fréquence élevée de polymorphismes de ces gènes au cours de l’obésité commune.
Cette prédisposition génétique peut toutefois être influencée par un certain nombre de facteurs de l’environnement qui modulent l’expression de ces gènes. La période dite des « 1 000 premiers jours », allant de la conception jusqu’à l’âge de 2 ans de l’enfant, est une période charnière pour le risque métabolique à long terme : c’est la théorie de la programmation précoce, qui suppose l’existence d’une fenêtre de susceptibilité au cours du développement fœtal et des premiers mois de la vie pendant laquelle l’exposition environnementale et les expériences nutritionnelles vont influencer durablement la santé future. Ainsi, de nombreux facteurs anté-, péri- et postnataux ont été identifiés comme étant liés à la survenue d’un surpoids pendant l’enfance.3
De la conception à l’accouchement
Obésité maternelle
L’obésité maternelle en début de grossesse est démontrée comme étant un facteur de risque d’obésité infantile dans de nombreuses études épidémiologiques. Le risque relatif (RR) pour l’enfant d’être obèse est multiplié par 2 à 3, après ajustement des facteurs confondants, et augmente parallèlement avec l’IMC maternel.4 La perte de poids obtenue après une chirurgie bariatrique en cas d’obésité morbide permet une diminution du risque d’obésité chez les enfants en cas de grossesse post-chirurgie,5 mais elle peut entraîner des carences nutritionnelles chez la mère et retentir sur le développement fœtal.
Prise de poids maternelle pendant la grossesse
La prise de poids excessive pendant la grossesse est associée à un risque augmenté d’obésité infantile même après ajustement pour l’IMC parental, surtout si la mère était déjà en surpoids avant la grossesse.6 Des interventions prénatales (diététiques, exercice physique) permettent de réduire le risque d’excès de gain pondéral en moyenne de 20 % pendant la grossesse et de diminuer le risque de macrosomie à la naissance.
Tabagisme maternel
Fumer pendant la grossesse augmente le risque de ralentissement de la croissance in utero. Secondairement, les nourrissons concernés présentent généralement une prise de poids post-natale trop rapide, avec un risque de surpoids pendant l’enfance multiplié par 1,5.7
Diabète gestationnel
Le diabète gestationnel est associé de manière indépendante à une macrosomie mais également à une augmentation du risque de surpoids ou d’obésité pendant la petite enfance, indépendamment du poids de naissance.8
Mode d’accouchement
La naissance par césarienne est associée, après ajustement pour les principaux facteurs de confusion, à une augmentation du risque d’obésité pendant l’enfance mais également à l’âge adulte.9 Différentes explications ont été proposées, notamment l’absence d’exposition à la flore maternelle et aux hormones de stress sécrétées pendant l’accouchement par voie basse, mais également des pratiques d’allaitement différentes en fonction du mode d’accouchement.
De la naissance à l’âge de 2 ans
Poids de naissance
Il a été montré qu’un poids de naissance élevé (4 000 g ou plus) était associé un surpoids ou une obésité à l’âge de 4 ans, même si les mères avaient un IMC normal avant la grossesse.4 Dans l’étude suédoise COMPASS, le poids à la naissance était positivement associé à l’IMC, l’indice de masse grasse et le tour de taille à l’adolescence.10
À l’inverse, les enfants de petit poids de naissance (inférieur à 2 500 g, selon l’Organisation mondiale de la santé [OMS]) ont une augmentation de l’IMC plus marquée au cours de leur vie, aboutissant à une masse grasse plus importante, en particulier au niveau abdominal, et un risque plus élevé de complications cardiovasculaires et métaboliques.11
Gain pondéral de 0 à 2 ans
Il existe une association entre la vitesse de gain pondéral pendant les premières années et le risque de surpoids et d’obésité chez l’enfant, indépendamment du poids de naissance. Il a été estimé que, pour chaque augmentation d’une unité du Z-score* IMC de la naissance à 1 an, le risque de surpoids entre 4 et 6 ans était multiplié par 2,2.12
Chez les enfants de petit poids de naissance, la croissance de rattrapage précoce est bénéfique pour la taille finale adulte et améliore les fonctions cognitives, mais elle favorise le développement précoce d’une résistance à l’insuline et d’adiposité abdominale, et est associée à une augmentation du risque de survenue de complications cardiovasculaires à l’âge adulte.
Allaitement protecteur
L’allaitement maternel est lié à un risque plus faible d’obésité infantile,13 avec un effet-dose : la prévalence du surpoids à 2 ans est plus faible pour les nourrissons allaités pendant plus de six mois que pour ceux allaités pendant moins de trois mois.
Cet effet pourrait s’expliquer par différents éléments : composition du lait plus adaptée (moins de protéines, plus d’acides gras essentiels que le lait artificiel), meilleure régulation de la quantité prise (variation de la composition au cours d’une tétée, absence de visualisation par la mère de la quantité ingérée au cours de la tétée), sécrétions hormonales (leptine, insuline), microbiote intestinal différent, exposition aux saveurs de l’alimentation de la mère qui serait associée à des choix alimentaires plus sains chez les enfants.
Néanmoins, de nombreux facteurs confondants ne peuvent être éliminés dans les travaux sur l’allaitement maternel, ne permettant pas d’études randomisées (conditions socioéconomiques meilleures chez les femmes allaitantes, tabagisme et obésité plus fréquents chez les femmes qui n’allaitent pas…).
Alimentation au cours des premiers mois
Plusieurs études ont montré que l’introduction avant 4 mois d’une alimentation solide est associée de manière significative à une obésité chez le jeune enfant.14 À l’inverse, une diversification alimentaire tardive (après 7 mois) est associée à une prévalence accrue d’obésité infantile entre 2 à 9 ans. Pendant la période de diversification alimentaire, des apports importants en protéines, insuffisants en acides gras polyinsaturés (AGPI) et la consommation de jus de fruits sont associés à un risque accru d’obésité.15
Sommeil
Une durée de sommeil insuffisante est significativement associée à un risque d’obésité (RR : 1,45 ; intervalle de confiance à 95 % [IC 95 %] : 1,14-1,85).16 La relation entre qualité du sommeil et obésité existe dans les deux sens, le surpoids entraînant des troubles du sommeil (apnées-hypopnées). Plusieurs hormones clés (leptine, ghréline, insuline et cortisol) seraient impliquées dans cette relation entre sommeil et obésité.
Facteurs socioéconomiques
Il existe une relation inverse entre le niveau socioéconomique des parents et le risque d’obésité chez les enfants : la prévalence est de 23 % en l’absence de diplôme chez les parents et diminue à mesure que le niveau d’études des parents augmente (8,9 % en cas de diplôme universitaire).17 Cette différence existe également selon le lieu de scolarisation : 16 % des enfants scolarisés en zone d’éducation prioritaire (ZEP) sont en surcharge pondérale, contre 12 % dans les autres établissements publics et 8 % dans les écoles privées. Des différences importantes existent concernant les habitudes de vie, les élèves vivant dans des familles de catégories professionnelles supérieures consomment davantage de légumes et moins de boissons sucrées, et passent moins de temps devant un écran…
Relation mère-enfant
Des études suggèrent que des interactions mère-enfant de mauvaise qualité pourraient être associées à un risque accru d’obésité dans l’enfance,18 alors que la capacité d’autorégulation des enfants induirait un risque moindre de surpoids.19
Repérage précoce pour un accompagnement vertueux
De nombreux facteurs, dont certains sont identifiables dès la période néonatale, sont associés à un risque accru de surpoids ou d’obésité dans l’enfance. La mise au point d’un score de risque combinant certains d’entre eux permettrait de repérer dès la maternité les enfants les plus à risque.
Ce repérage précoce des enfants à risque pourrait permettre un accompagnement des familles dans la mise en place de comportements favorables à la santé dès le plus jeune âge (alimentation, motricité, limitation des écrans, parentalité) en lien avec les professionnels de santé référents de l’enfant.
* Le Z-score exprime l’écart par rapport à la valeur moyenne, en déviation standard (DS). Une mesure à -1DS correspond à un Z-score de -1.
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