La dépression du sujet âgé est fréquente mais sous-diagnostiquée, car banalisée par l’entourage et se manifestant par des tableaux cliniques différents de ceux rencontrés chez les sujets plus jeunes. La réponse aux psychotropes n’est pas non plus la même, impliquant l’utilisation de traitements spécifiques. Les messages indispensables pour les MG pour le repérage et la prise en charge, dans cet entretien avec le Dr Guillaume Fond, psychiatre, chercheur, enseignant à la faculté de médecine d’Aix-Marseille.
Quelle est la fréquence des troubles dépressifs chez le sujet âgé ?
En France, la prévalence des troubles dépressifs entre 65 et 75 ans serait de 5,5 % (2,7 % pour les hommes et 7,9 % pour les femmes), mais ce chiffre est probablement sous-estimé en raison d’un biais de survie, les patients souffrant de troubles dépressifs ayant une espérance de vie réduite. De plus, on n’a pas de données pour les plus de 75 ans.
Mais n’est-il pas normal d’être « déprimé » à un âge avancé ? Quand s’inquiéter ?
Comme toutes les phases de transition (le passage de l’adolescence à l’âge adulte, un deuil, un divorce, le début de la retraite), le vieillissement est une étape difficile mais elle ne justifie jamais un épisode dépressif. Il faut savoir distinguer une crise existentielle, qui peut bénéficier d’une psychothérapie, d’une dépression qui est un vrai trouble psychiatrique nécessitant un traitement à la fois non pharmacologique et parfois médicamenteux. On estime que, pour les troubles dépressifs tardifs, il y aurait 40 % de diagnostics manqués. D’une part, à cause d’une tendance à banaliser les signes, mais également car les tableaux cliniques sont différents de ceux rencontrés chez les sujets plus jeunes.
Quelles sont donc les spécificités (physiopathologiques et cliniques) de la dépression du sujet âgé ?
Au niveau physiopathologique, les troubles dépressifs tardifs peuvent être la conséquence de la sénescence biologique, processus physiologique complexe impliquant stress oxydatif et système immunitaire. En cas de dysfonctionnement, l’accumulation de cellules mortes induit une fibrose et une inflammation chronique du cerveau, une atrophie corticale et une diminution de la myélinisation.
Sur le plan clinique, l’humeur triste est moins souvent rapportée que chez l’adulte plus jeune. Il faut évoquer le diagnostic devant des plaintes somatiques (douleurs, troubles « psychosomatiques »), une surconsommation de soins, le fait de parler beaucoup de la maladie et de la mort, un isolement social, des déficits cognitifs. Ces derniers sont présents chez 30 à 50 % des patients âgés souffrant de troubles dépressifs. La dépression augmentant le risque de maladie d’Alzheimer et vice-versa, il faut toujours réaliser un bilan mémoire chez une personne ayant à la fois des symptômes dépressifs et des troubles de la mémoire ou de l’attention, pour éliminer une maladie d’Alzheimer débutante. Les comorbidités physiques (HTA, diabète, douleur chronique…) sont également des facteurs de risque de troubles dépressifs. Il est très important de dépister les apnées obstructives du sommeil : il s’agit d’une source de dépression et de résistance aux antidépresseurs. Attention aussi à la prescription d’anxiolytiques et d’hypnotiques de façon prolongée : ces molécules aggravent les symptômes dépressifs à moyen terme ; la sobriété médicamenteuse est de mise.
Comment confirmer le diagnostic en MG ?
Pour confirmer le diagnostic et éliminer les diagnostics différentiels (un deuil pathologique notamment), on peut s’appuyer sur l’échelle de dépression gériatrique (Geriatric Depression Scale) : c’est un questionnaire rapide en 15 questions qui peut être facilement utilisé en pratique clinique.
Quelles répercussions en l’absence de traitement ?
Elles sont multiples : augmentation du risque de démence, surconsommation de soins, aggravation du pronostic des autres maladies (cancer par exemple), jusqu’au suicide.
Quelle prise en charge en MG ? Quelles sont les traitements qui ont fait leurs preuves ?
Les dépressions du sujet âgé ont un profil de réponse spécifique aux psychotropes qui diffère de celui des sujets plus jeunes. Malheureusement, il y a peu de données dans la littérature : on dispose de seulement 46 essais randomisés évaluant les traitements de la dépression chez la personne âgée, incluant environ 9 000 patients au total, contre 522 essais (incluant 120 000 patients) chez l’adulte. Dans une méta-analyse récente (âge moyen : 74 ans, durée de traitement de 4 à 26 semaines), trois molécules ont montré leur efficacité : la mirtazapine (à la dose de 30 mg/j), la duloxétine (60 mg/j), la quétiapine (150 mg/j). Prudence avec cette dernière car elle augmente le risque thromboembolique. La mirtazapine est intéressante car elle les améliore les troubles de sommeil fréquents chez le sujet âgé. Sous duloxétine, il y a un risque de constipation qu’il faut surveiller.
En revanche, les antidépresseurs plus classiques, et notamment les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine comme la fluoxétine, ont peu d’effet.
Les omégas 3 ont également fait leurs preuves : une supplémentation de 1 g/j pendant 2 à 6 mois est associée à une amélioration significative des troubles dépressifs légers à modérés selon une méta-analyse incluant 4 600 participants d’âge moyen de 77 ans.
D’autres options sont en cours d’étude : le pramipexol (Sifrol) et la metformine (chez les diabétiques) ont montré un intérêt dans certaines études et sont utilisés dans les centres experts en cas de résistance aux antidépresseurs conventionnels. La vitamine D n’a pas d’effet mais la supplémentation en cas de carence est bénéfique pour d’autres raisons. Une autre piste prometteuse est celle des probiotiques, mais elle doit être confirmée par des essais randomisés et contrôlés dans la population âgée.
Gerolymos C, Masson M, Lancon C, et al. Creating a new chapter in the DSM for late-onset depressive disorders. Encéphale 2022;48(3):229-31.
Léon C, Chan Chee C, du Roscoät E, et al. La dépression en France chez les 18-75 ans : résultats du baromètre santé 2017. Bull Epidémiol Hebd 2018;(32-33):637-44.
Wang S, Blazer DG. Depression and Cognition in the Elderly. Ann Rev Clin Psychol 2015;11:331-60.
Krause M, Gutsmiedl K, Bighelli I, et al. Efficacy and tolerability of pharmacological and non-pharmacological interventions in older patients with major depressive disorder: A systematic review, pairwise and network meta-analysis. Eur Neuropsychopharmacol 2019;29(9);1003-22.
Bae JH, Kim G. Systematic review and meta-analysis of omega-3-fatty acids in elderly patients with depression. Nutr Res Rev 2018;50;1-9.