Les mesures hygiénodiététiques sont désormais prônées en première ligne en cas de dépression débutante par la HAS, mais les conseils nutritionnels ne sont pas détaillés. Pourtant, aujourd’hui, certains régimes et compléments alimentaires ont démontré leur efficacité dans les formes légères/modérées, mais aussi sévères en complément des antidépresseurs et de la psychothérapie. Le point avec le Dr Guillaume Fond, psychiatre à l’AP-HM et auteur du livre Bien manger pour ne plus déprimer (Odile Jacob, 2022).
Quel lien entre alimentation et dépression ?
On sait aujourd’hui que le régime dit « occidental » – riche en graisses saturées, sucres rapides, produits ultra-transformés – augmente, en synergie avec la sédentarité, le risque de dépression. Les mécanismes impliqués sont complexes : perturbation directe du microbiote, augmentation de la perméabilité de l’intestin et de l’inflammation périphérique de bas grade. Tous ces phénomènes ont des répercussions sur le fonctionnement du cerveau. Les études ont montré par exemple qu’une partie des patients atteints de dépression ont une dysbiose intestinale (perturbations qualitatives du microbiote intestinal) et que les malades de MICI ont plus de risque de développer des troubles anxieux et dépressifs. Les effets peuvent aussi être bilatéraux : en cas de dépression, la production de cortisol est accrue, ce qui augmente la perméabilité de l’intestin…
Quelle alimentation conseiller à ces patients ?
On recommande une alimentation anti-inflammatoire, à base de produits frais, de végétaux, pauvre en produits transformés et oméga 6 (viande). Le mode alimentaire le plus facile à appliquer est le régime méditerranéen, riche en légumes, légumineuses, huiles d’olive, de colza, de lin, avec un peu de viande et de poisson. Dans plusieurs études de cohorte, le régime méditerranéen a démontré une efficacité contre la dépression à la fois en curatif et en préventif (moins de risque d’apparition d’une dépression), comme l’activité physique. L’alimentation « flexitarienne » et DASH (conseillée en cas d’HTA), qui sont très similaires et proches de l’alimentation méditerranéenne, sont aussi très bonnes pour la santé mentale.
Que penser des régimes « sans » qui sont à la mode ?
Les régimes cétogènes et « paléo » sont contraignants et les effets n’ont pas été prouvés dans la dépression.
L’éviction du gluten ou du lactose peut être intéressante chez les patients qui ont une sensibilité au gluten ou au lait de vache, mais nous n’avons pas de marqueur biologique fiable pour les identifier actuellement. En pratique, certains patients s’améliorent avec un régime sans gluten, mais la question demeure : cela est-il dû à l’éviction du gluten ou à une moindre consommation de produits inflammatoires (sucres rapides, produits ultra-transformés à base de gluten) ? Il y a toutefois une étude randomisée dans la schizophrénie, où l’éviction du gluten améliore de façon spectaculaire les symptômes négatifs. Cette alimentation peut donc être essayée par les patients qui le souhaitent, surtout en cas de troubles intestinaux. Mais attention : comme tous les régimes d’éviction, elle est à proscrire chez l’enfant (sauf en cas de signes d’appel : maladie cœliaque, allergie prouvée) !
Faut-il prescrire des compléments alimentaires ?
La supplémentation en oméga 3 (acide docosahexaénoïque [DHA], acide eicosapentaénoïque [EPA]) a démontré un intérêt avec un haut niveau de preuve : de nombreuses méta-analyses ont confirmé son efficacité dans la dépression, en curatif (mais pas en prévention des rechutes). Beaucoup de patients dépressifs sont carencés (probablement à cause d’une mauvaise alimentation mais aussi de troubles de la perméabilité intestinale liés aux perturbations du microbiote). Il faut savoir qu’il est très difficile d’avoir un apport adéquat en oméga 3 par l’alimentation : d’une part, on les trouve essentiellement dans les poissons gras – saumon, maquereaux… – que l’Anses recommande de ne pas consommer plus d’une fois par semaine (risque d’intoxication aux métaux lourds) ; d’autre part, si certains végétaux (noix, huile de colza, de lin) contiennent de l’acide alpha-linoléique [ALA] (qui est ensuite transformé en DHA, EPA dans le corps humain), le taux de d’absorption et de transformation est variable selon les individus. De plus, tous ces aliments sont très caloriques, donc à consommer en petite quantité en cas de syndrome métabolique ou de surpoids.
En pratique, la supplémentation reste probablement la meilleure option pour atteindre l’apport quotidien recommandé en oméga 3. Compte tenu de sa balance bénéfices/risques très favorable, elle devrait toujours être associée à la prescription d’un antidépresseur. Pour une efficacité antidépressive, les dosages sont les suivants : au moins 1 g d’EPA et 400 mg de DHA par jour (attention cependant à choisir des produits certifiés avec un label de qualité : par exemple Nutripure, Yamamoto…). Malheureusement ces compléments alimentaires ne sont pas remboursés.
L’adjonction de folates (Speciafoldine) à 5 mg/jour aux antidépresseurs est aussi intéressante : ce composant est un coenzyme de la synthèse de sérotonine et noradrénaline, hormones diminuées dans la dépression (il n’y a pas de surdosage en folates possible, car l’excès est éliminé par les reins).
La vitamine D n’a pas été suffisamment étudiée dans des essais contrôlés randomisés dans la dépression, mais un lien entre l’insuffisance et la carence en vitamine D et la dépression a été démontré. Puisque 80 % des Français sont carencés pendant l’hiver, il ne faut pas oublier de prescrire une supplémentation entre octobre et avril, à raison de 50 000 UI par mois (selon les recommandations en population générale, qui peut monter à 80 000 UI toutes les deux semaines en cas de carence avérée). Si les symptômes persistent, je conseille de contrôler le taux de 25(OH)D et d’ajuster les doses si besoin.
Et les probiotiques ?
Les études ont montré l’efficacité de certaines souches de bactéries (mélange de lactobacilles et bifidobactéries en général) sur la dépression. Or les produits disponibles dans le commerce, lyophilisés (non vivants), ne sont pas forcément ceux évalués dans les études (bactéries vivantes), ce qui pose une difficulté à les recommander. En pratique, les patients qui le souhaitent peuvent essayer une cure (Lactibiane, Immunostim, Biotic P10…), surtout s’ils ont des troubles intestinaux, sachant qu’il faut 8 semaines de traitement pour observer des effets.
Quels messages donner aux généralistes ?
La HAS recommande, dans la dépression débutante, de proposer en premier lieu des modifications de mode de vie (activité physique, alimentation). Compte tenu des données de la littérature, aujourd’hui on peut prescrire, en traitement de première ligne, l’alimentation méditerranéenne, l’activité physique et la supplémentation en oméga 3. L’adjonction de folates peut être aussi intéressante à ce stade, de même que le magnésium et le zinc qui ont montré des résultats intéressants dans la dépression dans des études préliminaires.
En cas de dépression sévère ou d’antécédent, les antidépresseurs sont bien sûr indiqués. Les associer à un cocktail d’oméga 3 et folates permet en général d’obtenir une efficacité plus complète (en effet, 70 % des patients conservent des symptômes malgré un traitement antidépresseur).
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