Deux articles récents remettent en cause l’efficacité des antidépresseurs…
Une revue de la littérature publiée dans Molecular Psychiatry, analysant les études qui ont exploré les voies impliquées dans la régulation de la sérotonine, ne retrouve pas d’association entre une diminution de l’activité ou des concentrations de cette molécule et la dépression, remettant en cause l’idée que la dépression soit une « pathologie de la sérotonine ». C’est intéressant car dans les années 1990 on pensait que la dépression était liée à la noradrénaline, puis avec l’arrivée des nouveaux antidépresseurs sérotoninergiques (Prozac, Deroxat, Zoloft…) il y a eu une communication très forte de la part des laboratoires pharmaceutiques autour de la sérotonine, molécule dont on considère encore aujourd’hui qu’elle joue un rôle majeur dans la dépression.
Le deuxième article, publié dans le BMJ, est une méta-analyse de toutes les études randomisées comparant les antidépresseurs au placebo soumises à la FDA depuis 1976. Les auteurs se sont intéressés à l’évolution et aux critères de réponse individuels aux antidépresseurs. Ils observent d’une part un fort effet placebo (mais qui reste constant dans le temps), et un effet faible des antidépresseurs par rapport au placebo, ce qui peut paraître surprenant.
Comment l’expliquer ?
Cela s’explique par le fait que les réponses aux antidépresseurs sont très hétérogènes selon les patients, l’efficacité moyenne paraît donc faible car elle est calculée sur une population composée d’une fraction de patients très bons répondeurs – 15 % dans cette étude – et des personnes qui rapportent un effet minime voire nul. Cela n’est pas étonnant car les phénotypes de la dépression sont multiples, les deux symptômes cardinaux – baisse de l’humeur et perte de plaisir – étant associés à une combinaison de symptômes très variés : troubles du sommeil, troubles de l’appétit, perturbations de la concentration, culpabilité, idées suicidaires… Les résultats de cette étude renforcent l’idée qu’il faut appliquer une médecine de précision adaptée à chaque patient et prescrire les antidépresseurs seulement aux patients susceptibles d’y répondre et non aux autres.
Savons-nous identifier des profils « mauvais répondeurs » ?
Actuellement, nous savons que les antidépresseurs sont très peu efficaces dans la dépression anxieuse (caractérisée par une agitation, une tension interne, d’importantes ruminations) et celle liée au trouble borderline. Ces patients sont en effet très souvent adressés au centre expert. Dans la dépression anxieuse notamment, les médecins de ville co-prescrivent souvent des anxiolytiques, car les antidépresseurs n’agissent pas sur les symptômes de l’anxiété. Or il faut savoir que les anxiolytiques aggravent et entretiennent la dépression ! Leur prescription devrait être limitée à 4 semaines au maximum alors que les enquêtes montrent que 40 % des patients qui commencent un traitement ne l’arrêtent jamais. Prudence donc, pour éviter leur sur-prescription ; et si on les prescrit, il faut toujours, et dès le départ, programmer leur arrêt avec le patient.
Quels autres enseignements tirer de ces résultats, pour les médecins généralistes ?
Ces études soulignent que les antidépresseurs, seuls, ne sont efficaces que chez une petite fraction de patients finalement.
Ainsi, avant toute prescription médicamenteuse (mais aussi en complément), il faut toujours recommander les trois piliers qui ont montré une efficacité dans la dépression : alimentation anti-inflammatoire (régime méditerranéen +++), activité physique et thérapie fondée sur la pleine conscience (le yoga a aussi des résultats intéressants, combinant activité physique et pleine conscience). La psychothérapie est indiquée en première intention (par exemple l’approche EMDR pour les personnes ayant été exposées à des psychotraumatismes, quel que soit leur nature, leur intensité ou l’âge auxquels ils ont été vécus ; la thérapie d’acceptation et d’engagement, la thérapie de cohérence…).
Il faut également penser aux carences en zinc et folates, et supplémenter les patients le cas échéant. Les oméga 3 ont montré une efficacité dans des études randomisées, seuls ou combinés aux antidépresseurs. Dans la dépression saisonnière (associée souvent à une augmentation de l’appétence au sucre, une prise de poids et des troubles du sommeil), la luminothérapie, option très intéressante, est sous-prescrite.
Attention aussi à prendre en compte le contexte, notamment les facteurs de maintien de la dépression : prescrire un antidépresseur chez une personne qui reste exposée à du harcèlement professionnel n’a pas de sens. Autres facteurs aggravants : tabac et alcool. Leur consommation sous antidépresseurs peut expliquer une baisse d’efficacité de ces derniers.
Quelles autres molécules sont en développement dans la dépression ?
L’utilisation des psychédéliques à visée antidépressive passionne le grand public mais nous avons peu de données. La molécule qui a fait ses preuves est la kétamine, qui en vérité n’induit que très peu d’effets psychédéliques ; elle est très bien tolérée aux doses employées. Malheureusement, son usage est très limité actuellement, dans la pratique, car réservé à l’administration hospitalière. En effet, bien que la kétamine soit employée depuis des dizaines d’années comme anesthésique (en forme IV), il existe depuis peu, pour l’utilisation en clinique, une nouvelle forme en spray, qui reste très coûteuse. La mise à disposition de la kétamine dans les centres médico-psychologiques serait un vrai atout pour les patients, puisqu’elle agit rapidement, notamment sur les idées suicidaires.
Au-delà de la kétamine, deux essais randomisés de bonne qualité ont été publiés en 2021 sur l’efficacité de la psilocybine, en monothérapie ou en co-administration à la psychothérapie. Cette molécule ayant un mécanisme d’action original est très attendue par les psychiatres mais n’est actuellement toujours pas disponible à la prescription en France.
Stone MB, Yaseen ZS, Miller BJ, et al. Response to acute monotherapy for major depressive disorder in randomized, placebo controlled trials submitted to the US Food and Drug Administration: individual participant data analysis. BMJ 2022;378:e067606.