Les délais pour obtenir un rendez-vous dermatologique étant de plus en plus longs, cette pratique se développe en médecine générale. Le dermoscope – outil simple et non invasif – permet d’identifier plus sûrement les lésions, en particulier cancéreuses – pour apprécier s’il faut rassurer le patient ou solliciter un dermatologue – mais aussi de participer aux réseaux de téléexpertise.

Quelles indications ?

Depuis une vingtaine d’années, la dermatoscopie (ou dermoscopie) s’est imposée chez les dermatologues pour le diagnostic des cancers cutanés (baso, spinocelluaires, mélanomes). C’est sur le terrain des tumeurs pigmentées qu’elle s’est développée en premier lieu, notamment pour le diagnostic précoce du mélanome dont l’incidence est en constante augmentation depuis plus de 30 ans ; les critères ABCDE n’ont en effet qu’une spécificité de 70 %. Selon la HAS, l’utilisation de la dermoscopie dans cette indication permet d’éviter 50 % des exérèses de tumeurs bénignes.1

Le rôle du généraliste dans le dépistage précoce du mélanome était principalement d’identifier les patients à risque (phototype clair, notion de brûlures solaires dans l’enfance, nombreux nævus communs ou atypiques), afin de les orienter vers leur confrère dermatologue. Toutefois, la baisse progressive des effectifs en dermatologie a conduit à un allongement important des délais de rendez-vous, qui place de plus en plus souvent le praticien en première ligne pour le repérage des tumeurs cutanées.

L’Australie est un modèle pour l’utilisation de la dermatoscopie en MG. Dans ce vaste territoire très touché par le mélanome, les praticiens ont recours à la télédermatologie et télédermatoscopie via leur smartphone depuis plusieurs années. Les images sont envoyées vers les centres de dermatologie.

Aujourd’hui, les indications se sont étendues aux tumeurs non pigmentées : les dermatoses du cuir chevelu (trichocopie) et les parasitoses (entomoscopie). La dermatoscopie de la gale est la plus utile en médecine générale (fig. 1).

#Comment ça marche ?

Cette technique – épiluminescence ou transillumination – non invasive permet l’inspection de structures dermo-épidermiques ou dermiques à l’aide d’un dermatoscope à main (fig. 2) équipé d’une lentille grossissante et de multiples LED.

Cet instrument n’est pas une simple loupe ! Afin de supprimer les reflets de la couche cornée et de mieux visualiser les structures plus profondes, on utilise soit un liquide au contact avec la peau (dermoscope à immersion), sois un filtre polarisant (modèle sans appui). Il existe aussi des dermoscopes utilisables en double mode (immersion ou polarisation) en fonctions de images qu’on veut obtenir (on voit mieux la surface en immersion, et mieux la profondeur en lumière polarisée). De nombreux modèles sont disponibles (optiques ou numériques) avec des grossissements variables, pouvant éventuellement être couplés à un smartphone ou un ordinateur.

Des systèmes intégrant de l’intelligence artificielle sont en cours de développement, et permettront probablement dans un futur proche un premier tri des lésions à considérer (mais ils ne pourront évidemment pas remplacer l’examen clinique exhaustif fait par le médecin !).

La photodermatoscopie est très facile et ne requiert pas un équipement supplémentaire (juste un appareil photo ou un smartphone à poser sur le dermoscope) : elle permet de suivre l’évolution de la lésion et de participer aux réseaux de téléexpertise (envoyer une photo simple de la lésion ne suffit pas). Lors de la prise de photo, il faut utiliser un liquide d’immersion épais.

Que voit-on au dermoscope ?

Sept couleurs sont identifiables : noir, brun, gris, bleu, rouge, blanc et jaune.

Chromophore le plus important dans les lésions pigmentées, la couleur de la mélanine dépend de l’étage où elle se situe dans la peau : du noir au bleu passant par le brun en allant de la couche cornée vers le derme réticulaire. Le rouge, lié à l’hémoglobine, est associé aux vaisseaux sanguins, le blanc à de la fibrose lors de processus de régression ou de phénomène de cicatrisation ; et le jaune correspond à des squames des lésions kératinocytaires hautes.

Dans les lésions pigmentées, des structures élémentaires sont visibles (lignes, pseudopodes, cercles, points, mottes ou globules). Ces éléments s’organisent pour donner un « patron dermo­scopique » qui dépend de la nature de l’atteinte (mélanocytaire ou non ; fig. 3) :

  • patron réticulaire (réseau fin et régulier) : indique un nævus bénin monochrome (fig. 3a) ;
  • patron gris-bleu homogène sans structure, flou et bleu : nævus bleu, bénin (fig. 3e) ;
  • patron étoilé (pseudopodes périphériques régulièrement répartis, fig. 3c) : nævus de Reed en croissance : s’il est toujours bénin chez les moins de 12 ans, au-delà de 12 ans une excision chirurgicale est indiquée (on ne peut pas faire la différence entre une forme bénigne ou maligne) ;
  • patron multicomposé et asymétrique (réseau pigmentaire irrégulier, globules, points et taches d’encre irrégulièrement répartis, fig. 3d) : évoque un mélanome, surtout si d’autres éléments sont associés : globules périphériques asymétriques, lignes blanches brillantes, zones de dépigmentation pseudo-cicatricielle, taches asymétriques, zones bleu en relief ou plates, réseaux très irrégulier, zones de granulation grises ;
  • patron d’une kératose séborrhéique (limites très nettes, pseudo-kystes cornés jaunes lumineux et pseudo-comédons foncés, fig. 3g) ;
  • patron d’un carcinome basocellulaire (vaisseaux arborescents, nids ovoïdes bleutés de taille variable, digitation en doigt de gant et roue dentée sur la périphérie, fig. 3h) ;
  • patron sacculaire d’un angiome thrombosé (saccules rouge violacé à noires, fig. 3i)
  • patron pseudoréticulaire d’un dermatofibrome (fine réticulation en couronne, centre rosé blanchâtre fibreux, fig. 3f).
 

Toutefois, il existe des exceptions topographiques (visage, paumes et plantes, cicatrices, ongles, muqueuse) où l’analyse sémiologiques se fait autrement (patrons spécifiques).

Pour les lésions dépourvues de pigment mélanique, une sémiologie des vaisseaux (patrons vasculaires) est venue enrichir celle de la dermoscopie grâce à l’arrivée de la polarisation.

La Société internationale de dermoscopie (IDS) recommande une démarche diagnostique en 2 étapes (encadré et fig. 4).

En pratique

Quel matériel ? Quel prix ? 

Pour l’achat d’un dermoscope, il faut prévoir en moyenne 800 euros.

La téléexpertise (via des plateformes sécurisés) est maintenant remboursée(10 euros pour le MG, 20 euros pour le dermato correspondant).

Comment se former ?

La pertinence du diagnostic dépend du niveau d’expertise du praticien : une formation solide et une pratique fréquente sont donc essentielles.

Quelques ressources :

– formation DU à l’Université de Lyon

– association des généralistes dermoscopistes français

– sites internet ou applications : dermoscopedia, youdermoscopy, ISIC archives.

D’après
Giacco-Demoulins N. La dermatoscopie en médecine générale.  Rev Prat Med Gen 2020;34(1046);586-8.
Thomas L, Anriot J. JNMG 2022 – Apport de la dermatoscopie en médecine générale. 13 octobre 2022.
Références :
1. Kittler H, Pehamberger H, Wolff K, et al. Diagnostic accuracy of dermoscopy.  Lancet Oncol 2002;3(3):159-65
2. Margot AA, Braun RP, Kopf AW. Précis illustré de dermoscopie. Arnette; 2007: 334 p.
3. Soyer HP, Argenziano G, Zalaudek I, et al. Three-point checklist of dermoscopy. A new screening method for early detection of melanoma. Dermatology 2004;208(1):27-31.

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