Les dermatoses bulleuses sont un groupe de pathologies très hétérogènes touchant la peau et/ou les muqueuses. Elles ont des origines multiples – infectieuses, allergiques, auto-immunes… – ou sont le résultat de facteurs externes. Certaines sont potentiellement sévères. Comment s’orienter ? Tour d’horizon pour le MG, dans cette fiche richement illustrée.

Une bulle est une collection liquidienne claire, parfois hématique, de plus de 2 mm, au contraire de la vésicule dont le volume est inférieur. Il peut arriver que les bulles deviennent coalescentes pour devenir des placards de décollement cutané. Elles laissent donc la place à des érosions (d’autant plus que les décollements surviennent sur les muqueuses ou la peau fine), voire à des ulcérations plus profondes.

En pratique, il convient de repérer rapidement les dermatoses bulleuses potentiellement sévères, dont la prise en charge est urgente (voir arbre décisionnel dans la fig. 1).

Cause physique ou facteur externe

Une brûlure est une destruction du revêtement cutané, le plus souvent d’origine thermique, mais aussi chimique, électrique ou liée aux radiations. Celles de 2e degré superficiel atteignent la jonction entre le derme et l’épiderme et endommagent partiellement la couche basale. On retrouve des phlyctènes, classiquement à fond rouge, avec une exsudation associée (fig. 2).

Une réaction de photosensibilité est un érythème parfois œdémateux survenant plusieurs heures après la prise d’un médicament inducteur (AINS dont kétoprofène, cyclines, quinolones, amiodarone…), sur les zones photo-exposées. Des bulles peuvent apparaître lorsque la réaction est très importante. En revanche, les réactions photo-allergiques surviennent chez des sujets ayant déjà été sensibilisés à une molécule donnée, 1 à 3 semaines après la prise du médicament (AINS notamment). Dans ce cas, l’éruption cutanée dépasse largement les zones photo-exposées, les lésions sont eczématiformes avec parfois quelques bulles.

En dehors du coup de soleil, les dermatoses aggravées par le soleil peuvent se manifester par des bulles cutanées. Les lésions lupiques sont classiquement photosensibles et peuvent parfois prendre une forme bulleuse. De même que la phytophotodermatose , réaction de photosensibilité après contact de végétaux (fig. 3). La porphyrie cutanée tardive, déficit dans l’une des enzymes de métabolisme de l’hème avec dépôt des protéines intermédiaires, se caractérise aussi par l’apparition de bulles après l’exposition solaire.

Parmi les toxidermies bulleuses, la nécrolyse épidermique toxique est rare mais grave, apparaissant 2 à 6 semaines après de début du traitement inducteur (AINS, sulfamides, anticonvulsivants, antibiotiques et antiviraux ou allopurinol), avec un syndrome pseudogrippal inaugural, parfois fébrile, rapidement accompagné d’ulcérations muqueuses au niveau buccal, oculaire, nasal ou génital. La peau se décolle (fig. 4), prenant un aspect de « linge mouillé » laissant à vif le derme. Il s’y associe une forte altération de l’état général. On parle de syndrome de Stevens-Johnson lorsque le décollement cutané est < à 10 % et de syndrome de Lyell lorsque celui-ci est > à 30 %.

Facteurs de risque : immunodépression, radiothérapie associée aux antiépileptiques, lupus, sexe masculin… La prise en charge, urgente, est hospitalière.

L’érythème pigmenté fixe est une toxidermie survenant 1 jour à 2 semaines après la prise d’un médicament. Un prurit localisé initial laisse la place à des plaques ovalaires violacées vésiculobulleuses (fig. 5), parfois de manière généralisée, ce qui complique le diagnostic (aspect de nécrolyse épidermique toxique). La régression des lésions est la règle, de même que la réapparition, aux mêmes endroits précédemment touchés, lors d’une réintroduction.

Origine infectieuse

L’impétigo bulleux est une infection staphylococcique ou streptococcique touchant essentiellement les enfants, caractérisée par des croûtes mélicériques jaunâtres. Il peut prendre une forme bulleuse, en particulier au niveau orificiel chez le jeune enfant (fig. 6). Une antibiothérapie générale est très souvent nécessaire, pendant 7 jours (pristinamycine 1 g x 3 /j ou céfalexine 2 à 4 g/j chez l’adulte ; amoxicilline-acide clavulanique 80 mg/kg/j ou Céfadroxil 100 mg/kg/j chez l’enfant), sauf en cas de lésions peu étendues où les antibiotiques locaux suffisent (mupirocine : 2 à 3 fois par jour durant 5 jours).

L’épidermolyse staphylococcique est due à la sécrétion par certains staphylocoques d’une toxine exfoliatrice. Elle prend la forme initiale d’un exanthème scarlatiniforme faisant suite à une infection staphylococcique locale (cutanée, ORL). Le décollement est sous-corné et le signe de Nikolsky positif : on parle « d’enfants ébouillantés » (fig. 7). Pas d’atteinte muqueuse. Le pronostic est clément, et ce d’autant plus que les antibiotiques sont débutés tôt. La guérison est rapide et il n’y a pas de cicatrice à terme.

Les infections associant des vésicules (herpès simplex virus [HSV], virus varicelle-zona [VZV]) peuvent parfois prendre un aspect bulleux par coalescence de ces dernières (fig. 8). Il existe d’autres infections cutanées bulleuses plus rares, telles que la syphilis congénitale…

Enfin, l’érythème polymorphe est une réaction d’hypersensibilité, d’origine infectieuse le plus souvent (HSV, mycoplasmes…) ou médicamenteuse. La cocarde est la lésion élémentaire, parfois centrée par une vésiculobulle (fig. 9). Les lésions siègent classiquement sur la partie supérieure du corps et sur les muqueuses où elles conditionnent le pronostic (notamment oculaire). Au niveau de la muqueuse buccale, elles prennent l’aspect d’érosions rapidement croûteuses. La guérison est spontanée en 2 à 3 semaines. Le traitement est symptomatique ou celui de la cause (arrêt du médicament le cas échéant). Les corticoïdes sont discutés en cas d’atteinte grave.

Auto-immunes

La pemphigoïde bulleuse affecte surtout des sujets âgés entre 70 et 80 ans ; au moins la moitié ont des troubles cognitifs avancés au diagnostic. Le prurit est souvent inaugural, pouvant précéder de plusieurs semaines ou mois les lésions cutanées : bulles tendues parfois sur peau saine mais souvent associées à des placards urticariens ou eczématiformes qui sont parfois initialement trompeurs (fig. 10). Leur zone de prédilection est la face de flexion des jambes et l’abdomen. L’atteinte muqueuse est rare (8 % des cas) et doit faire évoquer un diagnostic différentiel. Le diagnostic repose sur la clinique et l’IFD (dépôt d’IgG et de C3 le long de la jonction dermo-épidermique). Le traitement repose sur la corticothérapie locale forte en première intention, la prise en charge des surinfections cutanées et des pertes hydriques (fig. 11). La mortalité à moyen terme est importante du fait des comorbidités associées aux effets secondaires des traitements.

La pemphigoïde gestationnelle est une maladie bulleuse auto-immune touchant la femme enceinte, surtout au 2e ou au 3e trimestre. Elle dure quelques mois et prend fin très souvent après l’accouchement, avec un risque de récurrence lors des grossesses ultérieures. L’atteinte clinique est semblable à celle de la pemphigoïde bulleuse, avec une prédilection pour la zone péri-ombilicale (fig. 12). L’histologie et l’immunofluorescence directe sont similaires à la pemphigoïde bulleuse. Cette maladie est associée à un risque de retard de croissance intra-utérin.

La pemphigoïde des muqueuses, plus rare que la pemphigoïde bulleuse, touche des patients plus jeunes (60 - 65 ans). La muqueuse buccale est atteinte dans la majorité des cas mais aussi les zones oculaires (conjonctivite synéchiante), nasale ou génitale… L’atteinte conjonctivale ou œsophagienne peut entraîner des conséquences fonctionnelles très importantes à type de lésions synéchiantes cicatricielles (fig. 13).

Enfin, le pemphigus regroupe des dermatoses bulleuses auto-immunes dont la cible antigénique est un groupe de protéines d’adhésion situées sur la membrane des kératinocytes (fig. 14). Il en existe trois types :

  • vulgaire : les bulles fragiles, à toit flasque, laissent rapidement la place à une érosion de cicatrisation lente (fig. 15) surtout au niveau des muqueuses (orale mais aussi anogénitales ou conjonctivales). On retrouve un signe de Nikolsky. C’est une maladie grave qui touche le sujet plutôt jeune. Le prurit n’est pas important.
  • superficiel : l’atteinte cutanée est prédominante, avec des lésions érythémato-squamo-croûteuses au niveau du haut du tronc, du visage et du cuir chevelu.
  • paranéoplasique , souvent associé à des hémopathies (fig. 16).
 

D’autres dermatoses bulleuses immunes sont plus rares :

  • dermatose à IgA linéairebulleuse : touche principalement l’enfant ou l’adulte jeune. Les lésions cutanées sont des vésiculobulles, parfois arrangées en rosette (fig. 17). L’atteinte muqueuse est rare. La vancomycine et les AINS sont des médicaments inducteurs.
  • dermatite herpétiforme : c’est la traduction dermatologique d’une intolérance à la gliadine du gluten. Une maladie cœliaque est souvent associée, parfois asymptomatique (à dépister +++). L’atteinte cutanée est polymorphe : prurit diffus longtemps isolé, vésiculobulles sur les faces d’extension des membres regroupées en bouquet. Le traitement repose sur l’éviction du gluten et la dapsone.
 

Ainsi, les maladies bulleuses auto-immunes sont des maladies rares mais potentiellement graves. Ces dernières années, une meilleure compréhension des mécanismes physiopathologique a permis des innovations thérapeutiques et des thérapies ciblées ont démontré des résultats encourageants : rituximab dans le pemphigus, dupilumab et omalizumab dans les formes sévères de pemphigoïde des muqueuses…

Autres causes

D’autres dermatoses peuvent parfois engendrer des lésions bulleuses : le DRESS (fig. 18), les vascularites cutanées (fig. 19), la réaction du greffon contre l’hôte ou GVH (fig. 20)…

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