Modifications cutanées physiologiques
Elles sont la conséquence des modifications hormonales, de l’expansion du volume intravasculaire et de la compression des veines et lymphatiques du petit bassin par l’utérus gravide. La plupart disparaissent de façon spontanée et progressive après l’accouchement. En cas de persistance, un traitement à visée esthétique peut être proposé.
Modifications pigmentaires
Manifestation cutanée la plus fréquente, l’hyperpigmentation apparaît dès le premier trimestre. La ligne blanche, ligne verticale médiane du ventre, devient linea nigra , plus intensément en dessous de l’ombilic. Elle touche également les aréoles mammaires, les mamelons, les aisselles, le périnée et les faces internes des cuisses. Toute hyperpigmentation antérieure et cicatrice peuvent foncer davantage.
Le mélasma (fig. 1), hyperpigmentation en plaques gris marron du visage (front, joues et lèvre supérieure), est également plus fréquent sur les peaux foncées exposées au soleil. Il s’atténue dans l’année suivant l’accouchement pour récidiver à l’occasion d’une grossesse ultérieure, une exposition solaire ou même la prise de contraceptifs oraux.
Pour éviter les effets tératogènes des molécules dépigmentantes, le traitement se limite à l’éviction solaire et aux crèmes de protection solaire jusqu’après la fin de l’allaitement.
Modifications vasculaires
Les angiomes stellaires sont des lésions érythémateuses en étoile où le centre, correspondant à une artériole dilatée, est entouré de capillaires à disposition radiaire (fig. 2). Elles sont bien visibles et nombreuses au cours du 2e trimestre au niveau du visage et des membres (territoire drainé par la veine cave supérieure). Attention : une augmentation anormale du nombre d’angiomes stellaires impose un bilan hépatique (les hépatopathies peuvent réduire le catabolisme des œstrogènes).
Les varicosités du vagin (signe de Jacquemier) et la teinte bleutée de la muqueuse génitale (signe de Chadwick) sont deux manifestations précoces de la grossesse. L’érythème palmaire est une rougeur diffuse ou limitée aux pulpes et éminences des paumes des mains, habituellement due à la congestion veineuse ; en fonction du contexte, des causes rares sont à considérer : hyperthyroïdie, cirrhose, lupus érythémateux cutané, prise de salbutamol.
Les varicosités des membres inférieurs – cordons bleutés sur les jambes, le pelvis et le périnée – sont aggravées par l’hérédité et l’orthostatisme prolongé. Le risque de thrombophlébite secondaire est < à 10 %.
Les hémorroïdes deviennent fréquentes au 3e trimestre et en post-partum, en raison du poids élevé du fœtus et de l’effort de l’accouchement. Un œdème transitoire ne prenant pas le godet peut atteindre les paupières et les jambes en fin de grossesse et en début de journée.
En revanche, un œdème persistant du visage et des mains fait évoquer une prééclampsie.
Un purpura pétéchial des jambes en fin de grossesse est possible mais peu fréquent. Le dosage des plaquettes sanguines est recommandé à la recherche d’une thrombopénie.
Enfin, plusieurs types de tuméfactions bénignes par prolifération des capillaires sont possibles mais peu fréquentes : épulis sur les gencives, hémangiomes superficiels spontanés ou post-traumatiques.
Modifications structurales
Les vergetures sont des « quasi-déchirures » linéaires du derme qui se manifestent au 2e ou 3e trimestre, sur l’abdomen ou les cuisses, par des stries rouges puis violacées qui se transforment progressivement en bandes atrophiques blanchâtres. Les facteurs de risque sont l’âge jeune, une histoire personnelle ou familiale de vergetures, une macrosomie, un poids maternel élevé et un gain de poids excessif pendant la grossesse. La prévention semble peu efficace.
Des molluscums pendulums peuvent croître sur le cou et dans les grands plis.
Modifications des annexes
Une pilosité accrue sur le visage, les bras et les jambes, par accumulation des poils en phase de croissance, est notée pendant la grossesse. Les ongles deviennent plus brillants et les glandes sébacées des aréoles mammaires s’hypertrophient et se transforment en multiples papules brunes (glandes de Montgomery).
L’activité des glandes sudorales augmente au cours de la grossesse pouvant occasionner une hypersudation.
En revanche, une chute de cheveux diffuse et brutale survient dans les premiers mois du post-partum par privation hormonale. La récupération est souvent complète après un an. Toutefois, en cas de doute, une anémie, une carence martiale et une dysthyroïdie doivent être recherchées.
Dermatoses spécifiques de la grossesse
Trois manifestations surviennent exclusivement au cours ou immédiatement après une grossesse : l’éruption polymorphe de la grossesse, l’eczéma atopique de la grossesse et la pemphigoïde gestationnelle.
La pemphigoïde gestationnelle (fig. 3) est la plus rare et la plus grave de ces dermatoses. C’est une maladie auto-immune se manifestant par des papules urticariennes et des plaques annulaires qui peuvent se transformer en cloques tendues. Un prurit intense précède l’éruption. Les lésions apparaissent d’abord autour de l’ombilic et s’étendent à l’abdomen et aux extrémités. Les muqueuses et le visage sont épargnés. Cette maladie est associée à risque de retard de croissance intra-utérin. Le diagnostic et la prise en charge sont détaillés dans le tableau.
L’éruption polymorphe (fig. 4) est caractérisée par des lésions très prurigineuses urticariennes ou eczématiformes dont la localisation est initialement abdominale basse. Le diagnostic est clinique et le traitement repose sur les dermocorticoïdes (tableau).
L’éruption atopique de la grossesse est la dermatose spécifique la plus fréquente, touchant 1 grossesse sur 16. Une histoire d’atopie est évocatrice. Très prurigineuse, elle se manifeste par des plaques d’eczéma aigu sur fond de xérose diffuse, débutant aux plis du coude et aux creux poplités. Le pronostic maternofœtal est bon mais les récurrences fréquentes dans les grossesses ultérieures.
Enfin, deux dermatoses qui ne sont pas stricto sensu liées à la grossesse sont à connaître à cause des risques maternofœtaux encourus.
La cholestase intrahépatique gravidique se manifeste au 3e trimestre par un prurit isolé à prédominance nocturne sans lésions cutanées sauf parfois des excoriations de grattage. Ce prurit cède après l’accouchement mais récidive souvent dans les grossesses ultérieures.
Le diagnostic est confirmé par le dosage des titres sériques élevés à jeun des sels biliaires et de l’alanine aminotransférase. La surveillance fœtale est primordiale en raison du risque de prématurité, de retard de croissance et de mort in utero par ictère nucléaire.
L’impétigo herpétiforme est une poussée généralisée de psoriasis pustuleux (pas d’herpès en cause !) survenant surtout chez des femmes primipares dans leur 3e trimestre de grossesse. Un antécédent personnel de psoriasis n’est trouvé que dans un tiers des cas. Dans un contexte de fièvre et d’altération de l’état général, apparaissent, dans les grands plis, des plaques érythémateuses symétriques et centrifuges bordées de pustules stériles. Une hypoalbuminémie et une hypocalcémie sont à rechercher systématiquement. Une mort in utero est possible.
Qu’en retenir ?
- Les manifestions physiologiques ne requièrent pas de prise en charge pendant la grossesse. Toutefois, des explorations sont nécessaires devant un œdème persistant du visage, un purpura des jambes et une augmentation rapide et anormale des angiomes stellaires.
- Toute éruption eczématiforme ou urticarienne prurigineuse doit évoquer une pemphigoïde gestationnelle.
- En cas de prurit généralisé, doser les sels biliaires à la recherche d’une cholestase gravidique.
Pour en savoir plus :
Soutou B, Aracting S. Dermatoses de la grossesse : une approche simplifiée des manifestations cutanées. Dermatologie pratique 25 novembre 2020.