Par crainte de stigmatiser une population, les particularités des peaux pigmentées ne sont pas assez enseignées. Pourtant, il existe des spécificités liées à une pigmentation intense, des maladies cutanées spécifiques, ainsi que des différences dans les dermatoses usuelles (présentation déroutante ou prise en charge spécifique). Le point dans cet article richement illustré.

D'après  : Petit A. Dermatologie sur peau noire. Rev Prat Med Gen 2017 ;31(976) :155 - 61. et Mahé A. Dépigmentation volontaire : quels risques  ?   Rev Prat Med Gen 2016 ;30(967) :633 - 4.

Particularités liées à une pigmentation intense

Hyper- et hypopigmentations de la peau claire font partie des troubles pigmentaires qui sont majoritairement dus à des anomalies primitives du système mélanocytaire. Sur peau foncée, les causes de ces troubles sont beaucoup plus variées, comprenant presque toute la pathologie cutanée.1 Une pigmentation mélanique très intense limite la visibilité des couleurs. L’érythème (fig. 1) apparaît souvent comme une zone « plus foncée », d’autant que l’inflammation provoque une hyperpigmentation. En cas d’érysipèle ou d’exanthème, il faut bien écouter le malade – qui peut lui-même juger « rouge » une lésion qu’on perçoit comme « noire » – et toucher sa peau (augmentation de chaleur locale liée à la vasodilatation). De plus, la difficulté à distinguer les couleurs peut limiter la validité des scores cliniques ; par exemple, la sévérité de la dermatite atopique serait sous-estimée chez les enfants à peau foncée.

L’hyperpigmentation induite par l’inflammation tend à persister après résolution de cette dernière, faisant perdre les repères de couleur utiles au diagnostic et à l’appréciation de l’évolution : en effet, elle peut traduire une lésion active (acné, lichen, lupus, psoriasis…) ou une séquelle ancienne de plusieurs semaines ou mois (fig. 2A, 2B). En cas de persistance, il faut bien insister sur l’inutilité, voire la nocivité des manœuvres agressives : lasers, peelings, frottements… En effet, les mélanosomes (organites synthétisant la mélanine) étant présents jusque dans les kératinocytes des couches superficielles de l’épiderme, les patients ont l’illusion qu’un nettoyage vigoureux élimine du pigment en trop, alors qu’il ne fait que renforcer la pigmentation.

Pour les mêmes raisons, les plaintes ne sont pas forcément fonction de la gravité de la dermatose : une acné sévère avec de gros nodules est relativement mieux supportée si associée à une dyschromie légère, tandis qu’une éruption acnéique minime peut occasionner des taches noires persistantes très mal vécues (fig. 3). Ainsi, l’acné est une source majeure de gêne esthétique chez les femmes adultes à peau foncée. Pour lutter contre les taches, ces dernières utilisent de multiples topiques éclaircissants, sans efficacité, alors qu’un traitement visant la composante inflammatoire serait plus utile. L’homogénéité du teint est une préoccupation majeure de nombreuses personnes. L’intensité de la pigmentation varie selon les régions du visage et les conditions d’ensoleillement ; certaines hétérogénéités sont physiologiques (visage plus foncé que le corps, région centro-faciale plus claire…) ou d’origine inconnue (hyperpigmentation périorbitaire…). Les « lignes de démarcation pigmentaire » (dites de Voigt ou de Futcher) sont parfois spectaculaires, mais suscitent rarement des plaintes (fig. 4A, 4B).

À la différence de l’hyperpigmentation, l’hypopigmentation a un nombre restreint de causes (en dehors des troubles pigmentaires primitifs communs aux peaux claires : vitiligo, albinisme…). On peut citer les banales eczématides hypochromiantes (appelées aussi dartres, ou pityriasis alba) (fig. 5), mais aussi le psoriasis (fig. 6), la dermite séborrhéique, le pityriasis lichénoïde, le mycosis fongoïde (lymphome T épidermotrope), des inflammations granulomateuses comme la lèpre, la sarcoïdose ou le lichen nitidus, le lupus érythémateux ou la sclérodermie systémique (fig. 7). L’hypomélanose maculeuse confluente progressive est un tableau bien particulier touchant les phototypes 4 à 5 (peau mate/brune) : macules non squameuses hypochromes, non prurigineuses, prédominant sur le tronc (volontiers aux lombes) ; elles surviennent à l’adolescence pour se stabiliser, voire s’atténuer à l’âge adulte (fig. 8). D’autres observations sémiologiques n’ont pas été confirmées par des études rigoureuses : le pityriasis rosé serait souvent micropapuleux diffus, la dermatite atopique d’aspect papuleux lichénoïde ou psoriasiforme, etc.

Dermatoses

Chez les sujets d’origine africaine, d’innombrables particularités ont été évoquées, d’origine génétique ou environnementale. En raison de la photoprotection naturelle conférée par la pigmentation, les cancers photo-induits sont moins fréquents. Il faut être d’autant plus attentif à des formes particulières : carcinomes spinocellulaires se développant sur des cicatrices dyschromiques ou inflammatoires ; mélanomes (nodulaires dans 50 % des cas), survenant sur les zones non photoexposées, non pigmentées, avec une topographie acrale très fréquente (plante du pied).

En revanche, différentes formes de lucites et de photosensibilité existent sur tous les phototypes. Une fréquence moindre du psoriasis est souvent décrite dans la littérature médicale francophone, mais les résultats des études sont contradictoires.

Le lichen plan, en particulier les formes profuses et hypertrophiques, semble plus fréquent mais cela n’a pas été prouvé ; il est à l’origine d’une hyperpigmentation post-inflammatoire particulièrement sévère et persistante. Le lichen nitidus est une dermatose chronique bénigne caractérisée par de minuscules papules monomorphes blanches et brillantes regroupées en plusieurs petits placards (histologie caractéristique à la biopsie) ; il est surtout décrit chez l’enfant à peau pigmentée (mais il est possible qu’il passe inaperçu sur peau claire). La Facial Afro-Caribbean Childhood Eruption (FACE) est une éruption de micropapules monomorphes de couleur chair situées dans les régions périorale et périnasale ; cette affection granulomateuse bénigne est proche de la dermite périorale et de la rosacée granulomateuse, qu’on observe sur tous types de peau. Un traitement oral prolongé par cyclines ou macrolides donne de bons résultats.

L’importante diffusion des sulfamides antibactériens en Afrique explique la fréquence des érythèmes pigmentés fixes, qui figurent en première place parmi les toxidermies médicamenteuses sur le continent. Des facteurs de risque génétique sont également impliqués : par exemple, le syndrome d’hypersensibilité à la minocycline paraît plus fréquent chez les personnes à peau foncée ; il faut donc éviter de leur prescrire cet antibiotique. Certaines formes héréditaires d’épaississement focal de la corne des paumes et des plantes ont une prévalence accrue : kératodermie ponctuée des plis palmaires, kératodermie marginale (kératose focale acrale ou acrokérato-élastoïdose) ou diffuse, coussinets des phalanges. Ces affections peuvent être associées. L’aïnhum est une bride d’hyperkératose qui enserre la base du petit orteil, pouvant générer des douleurs, une nécrose, voire une amputation spontanée ; il n’est rencontré que chez des personnes d’ascendance africaine et il serait associé aux kératodermies.

La sécheresse cutanée excessive (xérose) est un motif fréquent de consultation en dermatologie des Africains immigrés en France et des Antillais. On incrimine souvent, sans preuve, le climat ou l’eau riche en calcaire. Une autre explication serait que la desquamation physiologique, qui forme une fine poussière grisâtre, serait naturellement plus visible, par contraste, sur une peau plus foncée (ashy skin). D’où les habitudes de toilette abrasive (filets, gants de crin) suivies de l’application d’émollients, pour obtenir une peau plus éclatante. En réalité, ces pratiques semblent aggraver la xérose, surtout chez l’atopique. Les démangeaisons diffuses imposent une investigation complète et une anamnèse rigoureuse, éventuellement suivies d’examens complémentaires à la recherche des principales causes générales de prurit. Il n’est pas rare de ne trouver qu’une xérose cutanée banale, sans dermatite atopique avérée. Certains auteurs se sont même interrogés sur de possibles différences de perception de la sensation prurigineuse selon l’origine ethnique.

Les chéloïdes sont des lésions fibroprolifératives intradermiques extensives qui se développent le plus souvent à partir d’un traumatisme ou d’une folliculite (fig. 9). Volontiers multiples, elles sont globalement plus importantes sur les peaux pigmentées, en fréquence, volume et gravité, particulièrement chez les sujets d’origine africaine. Les signes fonctionnels sont parfois intenses : prurit insupportable, douleur de type neurogène, sensibilité allodynique. Les lésions, chroniques, ont tendance à s’étendre et récidivent avec une aggravation presque systématique après destruction ou exérèse. Les injections intralésionnelles de corticoïdes sont le traitement de référence à l’heure actuelle.

Conseils d’hygiène et de soins

Il n’y a pas lieu de prendre soin différemment de la peau selon qu’elle est claire ou foncée, le positionnement de certaines gammes cosmétiques relevant essentiellement du marketing. Des conseils spécifiques peuvent cependant être prodigués. Des toilettes fréquentes et abrasives, en frottant le corps vigoureusement avec des éponges, « fleurs » de douche, filets, gants de crin, etc., ont en principe un effet aggravant sur la xérose, surtout chez l’atopique. Ces pratiques sont très répandues et fortement ancrées culturellement ; pour le patient qui ne parviendrait pas à y renoncer, il faut insister sur la nécessité d’appliquer ensuite des émollients : crèmes, laits ou huiles, choisis en fonction du confort personnel. Les produits destinés aux enfants atopiques conviennent parfaitement ; les pratiques traditionnelles (beurre de karité) ne doivent pas être rejetées a priori.

Lors des soins du visage, les femmes recherchent un confort cutané, un teint plus homogène et parfois plus clair, et éventuellement la disparition des taches hyperpigmentées liées à l’acné. Les idées reçues et la pression commerciale conduisent souvent à une surenchère cosmétique : la patiente essaie d’innombrables produits qui la laissent dans une insatisfaction permanente, toujours en quête d’une « solution miracle ». Il faut déconseiller les crèmes potentiellement comédogènes parce qu’occlusives (soins pour nourrisson) ou décapantes, ainsi que les peelings trop fréquents ; on lutte activement contre l’acné avec des traitements locaux et généraux ciblant la composante inflammatoire, même si les lésions apparentes sont des taches hyperpigmentées (cf. encadré 1 sur le traitement de l’acné). Les produits « antitaches » doivent être évités car au mieux inefficaces, mais souvent néfastes. Enfin, le vieillissement cutané photo-induit étant retardé chez les sujets à peau fortement pigmentée, l’intérêt des crèmes dites « anti-âge » est encore plus discuté…

Le risque de procédures traumatiques, esthétiques (chirurgie, laser, peelings, injections de comblement…) ou ornementales (piercings, tatouages…), doit être soigneusement évalué, en raison de la fréquence des hyperpigmentations résiduelles et des chéloïdes. La mode actuelle de l’épilation pubienne, au prétexte souvent fallacieux de l’hygiène ou de la culture, favorise la formation de folliculites d’incarnation et de chéloïdes dans la région génitale, quelle que soit la technique utilisée (rasoir, cire, crème) ; seule l’épilation laser semble protéger de l’inflammation, du fait de son caractère moins traumatique.

Si possible, chez l’homme notamment, on conseille une tondeuse avec un sabot laissant dépasser quelques millimètres du poil. Pour un rasage complet, différentes mesures « antifolliculites » parfois contradictoires sont proposées par les dermatologues, les coiffeurs ou l’entourage. Les patients expérimentent et choisissent eux-mêmes parmi les « recettes » suivantes : raser avant ou après la douche ; respecter – si l’on y arrive – le sens du poil ; raser de très près avec des lames multiples ou au contraire avec une lame simple, ou encore au rasoir électrique ; tous les jours ou moins souvent ; utiliser des after-shaves, des mousses, des crèmes épilatoires, etc.

Il faut décourager l’emploi de topiques affichant des propriétés éclaircissantes. S’il s’agit de produits autorisés en France en tant que cosmétiques, leur efficacité ne sera pas suffisante. Inversement, s’ils sont efficaces, cela signifie qu’ils contiennent des substances interdites ou qui devraient relever d’une prescription médicale (hydroquinone, corticoïdes).2 L’application de corticoïdes favorise l’apparition ou l’aggravation de dermatoses infectieuses : dermatophyties (fig. 10), gale, érysipèle, pityriasis versicolor, etc. Vergetures, acné cortisonée et atrophie cutanée sont très courantes (fig. 11). L’hydroquinone peut être responsable d’une ochronose exogène : faite de placards pigmentés (fig. 12), qui par la suite s’infiltrent et prennent un relief granuleux, elle est liée à des applications prolongées de produits sur des régions photo-exposées (front, zones malaires, haut du dos).

La plupart des hyperpigmentations sont per- et post-inflammatoires ; leur prise en charge est avant tout celle de la cause. En cas de mélasma, fréquent surtout sur les phototypes 4 et 5, on conseille une protection solaire extrême. Des applications de mélanges hydroquinone et corticoïdes, avec ou sans acide rétinoïque, peuvent être prescrites par un médecin.

Encadre

1. Acné : cibler les lésions inflammatoires

On utilise les mêmes médicaments que ceux de l’acné sur peau blanche, mais les dermites irritatives doivent être évitées afin de ne pas aggraver les pigmentations séquellaires. Parmi les topiques, le peroxyde de benzoyle est particulièrement efficace sur la composante inflammatoire.

Les rétinoïdes (trétinoïne, adapalène…) sont à la fois antirétentionnels, anti-inflammatoires et dépigmentants ; leur utilisation doit être très prudente en raison du risque d’irritation qui peut engendrer des hyperpigmentations prolongées.

Les cyclines sont utiles en début de traitement, y compris dans les formes apparemment purement rétentionnelles ou pigmentées (mais la minocycline ne doit pas être prescrite en raison d’un risque majoré de syndrome d’hypersensibilité, parfois létal, dans cette population).

Le gluconate de zinc peut être utile car non photosensibilisant et autorisé pendant la grossesse.

L’isotrétinoïne est indiquée dans les acnés sévères ou résistantes, avec les précautions d’emploi usuelles. Il est conseillé de débuter à faible dose et d’augmenter progressivement la posologie afin d’éviter la poussée inflammatoire initiale, facteur de pigmentation.

Encadre

2. DU – Médecine de la diversité

La prise en charge médicale des personnes d’origine non-européenne risque de souffrir d’une méconnaissance par les médecins de certains déterminants de santé pouvant être considérés comme inhabituels dans un contexte européen traditionnel, qu’il s’agisse de déterminants génétiques (prédispositions à certaines maladies, pharmacogénétique), géographiques (exposition possible à certains agents pathogènes) ou d’ordre socioéconomique ou culturel (relation au système de soins, expression inhabituelle de certains symptômes). Des conséquences négatives sur la qualité des soins peuvent en résulter. La formation dispensée dans ce DU a pour objectif d’améliorer les compétences des médecins dans ces domaines, de façon à ce que les praticiens puissent intégrer dans leur pratique médicale générale, lorsque cela est pertinent, une prise en compte de la diversité des origines, et vise en définitive à une universalité de la qualité des soins.

Pour en savoir plus et s’inscrire : DU Médecine de la diversité

D’après
Petit A. Dermatologie sur peau noire.  Rev Prat Med Gen 2017;31(976):155-61.
Références : 
1. Dadzie OE, Petit A, Alexis AF. Ethnic Dermatology. Principles and practice. Oxford: Wiley-Blackwell; 2013: 302 p.
2. Petit A. Crèmes éclaircissantes.  Rev Prat Med Gen 2011;25:58-9.

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