Médecin généraliste en maison de santé pluriprofessionnelle à Saint-étienne, enseignant chercheur, il siège au conseil d’administration du Collège de la médecine générale, dont il a récemment été élu président.
Qu’est-ce que le Collège de la médecine générale ?<br/>
C’est le regroupement des principales organisations nationales de la médecine générale en France : syndicats représentatifs, structures académiques, scientifiques, de formation et associations. Fondé en 2009, il est l’aboutissement d’un long processus historique, qui n’est pas terminé, puisque le CMG est appelé à devenir le Conseil national professionnel pour la médecine générale, dont il remplit déjà plusieurs missions, une des principales portant sur le DPC (développement professionnel continu). Il se veut le représentant de la médecine générale aussi bien auprès des pouvoirs publics de notre pays qu’au niveau international. Il est notamment le représentant officiel de la France à la WONCA (World Organization of National Colleges, Academies and Academic Associations of General Practitioners/Family Physicians).
Votre manifeste s’inscrit-il dans la ligne du plan « Ma santé 2022 » ?<br/>
Je pense qu’il y a actuellement un accord assez large sur ce que doit être l’organisation des soins en France. Elle commence à prendre forme avec les groupements hospitaliers de territoire (GHT) et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Tout le monde souhaite une bonne articulation entre ces deux systèmes d’organisation territoriale, mais la mise en place prendra du temps. Une question majeure est de savoir comment va s’exercer leur gouvernance, avec la crainte que le système hospitalier prenne la main, alors que ses missions et son fonctionnement ne sont pas les mêmes que celles de la médecine ambulatoire. Le manifeste est un premier pas pour préciser le cadre organisationnel que nous souhaitons, mais il doit sans doute être encore amélioré. Il nous reste des questions à aborder, par exemple celles de l’équité des soins et de la pluriprofessionnalité.
Les CPTS elles-mêmes ne sont pas toujours bien perçues par les généralistes, qui craignent d’être obligés d’exercer en groupe. C’est pour cela que nous promouvons la diversité des exercices mais aussi la nécessité d’une coordination entre les praticiens et les structures de soins. Pour beaucoup, les CPTS restent des entités abstraites, avec un côté très bureaucratique, mais c’est sans doute parce qu’il en existe encore peu. Il est vraisemblable qu’elles seront variées et que leurs fondements communs se construiront progressivement. Des modèles vont émerger petit à petit à partir de quelques expériences précurseurs. Autre souci, leur financement : va-t-il être pris sur le forfait structure alloué aux médecins généralistes ? Sera-t-il pérenne ? Pour l’instant, la loi leur fixe des missions et un cadre, dans lequel il y a quand même beaucoup de liberté. En tout cas, si un modèle trop bien dessiné est imposé du haut, ça ne marchera pas.
Le manifeste propose une gouvernance des hôpitaux de proximité assurée en grande partie par des médecins généralistes.
Le but est de donner de la visibilité aux soins primaires. Les hôpitaux de proximité offriront un plateau technique réduit, avec des soins qui se rapprocheront de ceux prodigués par les généralistes. Il s’agit seulement de faire en sorte que l’ensemble soit cohérent. Je pense d’ailleurs qu’il vaudrait mieux parler de lits de proximité, qui pourraient exister même dans les CHU. Après tout, ceux-ci sont situés dans un territoire dont les habitants viennent s’y faire soigner, souvent pour des soins de première ligne avec un fonctionnement et des coûts de troisième ligne. Pourquoi ne pas leur attribuer des lits de première ligne ?
Comment favoriser la coordination ?<br/>
Un des principaux enjeux est celui des systèmes d’information. Les échanges doivent pouvoir se faire de manière efficace, utile, sans perte de temps pour renseigner ou trouver des données. Il est contre-productif qu’un compte-rendu de résultats biologiques soit perdu au sein d’un dossier pléthorique.Nous travaillons actuellement sur deux projets importants. Le premier est de constituer une base de données en médecine générale, structurée régionalement à partir des logiciels métiers des médecins généralistes. Les praticiens autorisent l’envoi de leurs données de consultation, peuvent faire des requêtes sur leurs propres informations et bénéficient d’un retour sur leur position au sein de leur réseau local à l’égard de tel ou tel problème de soins. C’est en train de prendre forme dans plusieurs villes, comme Nice et Rouen.
Le second projet, EBM France, vise à créer une plateforme de mise à disposition de données de la médecine fondée sur les preuves (Evidence based medicine), adaptées à la pratique de la médecine générale et disponibles en consultation à partir du logiciel médecin de chaque praticien. Il profite du travail déjà réalisé en Finlande et en Belgique, mais nous avons également une équipe qui y intègre les recommandations françaises des sociétés savantes et de la HAS. C’est une énorme tâche, car les publications ne recouvrent pas toutes les situations, dont certaines ne peuvent être perçues que par des généralistes.
Je prends souvent comme exemple la prise en charge d’un patient en attente d’un doppler pour suspicion de thrombose veineuse profonde. Est-ce qu’il faut prescrire des anticoagulants avant que l'on obtienne les résultats ? En dehors d’une recommandation américaine qui suggère une ligne de conduite, aucune étude n’a examiné la question.
Où en est la recherche en médecine générale ?<br/>
Une précision pour commencer : toutes ne nécessitent pas forcément des essais cliniques standardisés, avec un leader ayant une habilitation à le faire, une équipe lourde et des moyens financiers conséquents. Pourvu qu’on puisse bénéficier de quelques conseils de personnes expérimentées, il est parfaitement possible de conduire dans de bonnes conditions des travaux plus modestes mais utiles. On peut typiquement citer cette thèse de médecine qui a posé une question toute simple : comment la population des zones déficitaires ressent-elle le manque de médecins ? Nous avons interrogé le premier individu de chaque page de notre annuaire départemental et dressé une cartographie des réponses, un point vert indiquant que le manque n’est pas ressenti et un point rouge qu’il l’est. Elle ne correspond pas à la carte officielle des zones déficitaires, ce qui veut dire que tenter de répartir uniformément les généralistes sur le territoire n’est peut-être pas une bonne solution. Ça n’est qu’une petite brique dans une réflexion d’ensemble, mais elle me semble utile. D’une manière générale, il y a des travaux très novateurs dans notre discipline, même si cela n’est pas encore assez connu de tous.
Le Collège plaide pour une quatrième année du DES de médecine générale.<br/>
Ce serait une année professionnalisante, permettant de commencer à exercer le métier, comme les étudiants le font déjà avec les remplacements quand ils sont en 2e et 3e année. La soutenance de thèse serait obligatoire avant la fin de la 3e année. Ainsi les jeunes médecins pourraient s’installer dans des cabinets, avec un ou deux de leurs collègues pour ne pas être isolés pendant un an. Ça pourrait être à la demande des municipalités et si possible dans des zones en difficulté d’accès aux soins (qui ne sont pas forcément éloignées des facultés). Ces jeunes praticiens pourraient être supervisés par téléphone. Leur rémunération proviendrait de leurs actes et n’est pas celle qu’ils touchent pendant leur internat. Cela amènerait chaque année 3 500 médecins dans les territoires et ça répondrait au problème de précarité des internes actuels, qui ont bien souvent une charge de famille. Ça permettrait d’éviter que des étudiants aient validé leur DES sans avoir leur thèse, qu’ils doivent donc passer, alors que c’est beaucoup plus difficile à cette période. Enfin, cela désamorcerait sans doute la question de la coercition à l’installation.
Manifeste du CMG : pour une complémentarité efficace !
Le Collège de la médecine générale (CMG) a publié le 29 mars 2019 un Manifeste pour un système de santé organisé (https://bit.ly/2JqlNiV). Ses préconisations s’inspirent largement de la déclaration OMS d’Alma Ata, des travaux de la WONCA (Organisation européenne des soins primaires) et du rapport 2018 du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie. Il propose une organisation en trois secteurs, en lien direct avec la hiérarchisation des niveaux de recours aux soins en trois « lignes ».
Le secteur de première ligne est formé par les équipes de soins primaires autour des médecins généralistes exerçant au sein des cabinets médicaux, des maisons et centres de santé pluriprofessionnels et des établissements de santé communautaires de proximité. Il prend en charge l’ensemble des demandes de soins et en résout la grande majorité, à la différence d’une médecine de tri. Il assure, de façon organisée ou opportuniste, le dépistage et la prévention, l’éducation à la santé et l’éducation thérapeutique du patient.
Pivot de ce secteur, la médecine générale gère les situations complexes et/ou incertaines, privilégie la clinique et ne recourt à la technique qu’en cas de nécessité ; sa finalité n’est pas d’aboutir impérativement à un diagnostic étiologique mais de déterminer un diagnostic global de situation et les procédures les plus favorables au patient à tout moment et à long terme.
Le secteur de première ligne doit être visible, structuré et bénéficier d’un modèle économique et des moyens d’organiser ses fonctions support. Le législateur a posé les fondements d’une organisation des soins apportés à la population en la centrant sur les bassins de vie (et non autour des hôpitaux) et en créant en 2016 les équipes de soins primaires et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).
Le secteur de deuxième ligne est exercé par les spécialistes de second recours sollicités pour leur expertise spécifique et technique, mise en œuvre dans le secteur ambulatoire ou hospitalier et coordonnée avec les équipes de soins de santé primaires au sein des CPTS. Les médecins généralistes les sollicitent pour avis ponctuel ou de manière régulière dans le cadre de parcours de soins.
Le secteur de troisième ligne prend place dans les centres hospitaliers généraux, cliniques privées et CHU, regroupant les plateaux techniques. Il est coordonné sous l’égide des GHT (groupements hospitaliers de territoire). La médecine de troisième ligne gère les situations graves et/ou compliquées, privilégie les explorations complémentaires et le recours à un plateau technique lourd.
Favoriser la santé communautaire de proximité
Pour le CMG, notre système de santé manque cruellement d’établissements de santé communautaires de proximité. En leur absence, quand le maintien à domicile n’est plus possible, la première ligne de soins ne peut s’exercer pleinement ; elle est contrainte d’adresser ses patients notamment âgés et/ou polypathologiques dans des services d’hospitalisation spécialisés, à leur détriment et moyennant des surcoûts inutiles.
L’accueil des patients relevant du premier recours dans des établissements de santé de proximité est aujourd’hui une réalité dans les anciens hôpitaux locaux. Ce modèle peut être reproduit dans tous les territoires afin de respecter une juste gradation des soins. Les médecins généralistes représentent déjà les deux tiers des effectifs médicaux des hôpitaux de proximité. 40 % d’entre eux, notamment les ex-hôpitaux locaux, ne fonctionnent qu’avec des généralistes ayant par ailleurs une pratique de ville.
La gouvernance des établissements de santé communautaires doit relever des CPTS pour prendre en compte les besoins de la population du territoire et s’y adapter. Des collaborations seront envisagées avec les structures de soins et de prévention de ville (imagerie médicale, biologie médicale, centres de PMI, etc.).