Après avoir investigué l’intérêt (ou non !) de la 4e dose de vaccin Covid d’un point de vue immunologique, nous avons demandé à Catherine Hill de se pencher, avec l’acuité de son regard critique, sur les dernières données publiées. On espère ainsi vous donner toutes les clés pour orienter vos patients. À ne pas rater !
En France, un 2e rappel de vaccin contre le Covid-19 est proposé à la population de 80 ans et plus depuis le 14 mars 2022 ; cette proposition a été étendue à la population de 60 à 79 ans le 7 avril. Plusieurs arguments justifient cette proposition.
L’efficacité du premier rappel diminue avec le temps
Une diminution de l’efficacité du 1er rappel est observée dans de nombreux pays. En France, le 8 avril 2022, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) a publié, en fonction de l’âge, les risques d’hospitalisation conventionnelle, d’hospitalisation en soins critiques et de décès par million d’habitants entre le 28 février et le 27 mars selon le statut vaccinal (tableau 1). La plupart des risques, dont le risque d’admission en soins critiques (figure 1), sont plus grands si le rappel date de plus de 3 mois que si le rappel est plus récent.
Un deuxième rappel réduit les risques d’infection et d’infection grave
Une étude, réalisée en Israël, a comparé les risques d’infection dans deux populations âgées de 60 ans ou plus, l’une (623 000 personnes) recevant une 4e dose et l’autre (622 000 personnes) ne l’ayant pas reçue, toutes ayant été vaccinées avec un rappel par le vaccin de Pfizer (3e dose) au moins 4 mois auparavant et n’ayant pas été infectées par le SARS-CoV-2 avant l’entrée dans l’étude.1 La fréquence des infections confirmées et des cas de Covid sévères a été étudiée : a) dans la période commençant 8 jours après la 4e dose (groupe 4 doses) ; b) dans la population n’ayant reçu que 3 doses (groupe 3 doses) ; c) dans la période de 3 à 7 jours après la 4e dose (contrôle interne). Après ajustement sur l’âge en 3 classes (60-69, 70-79, 80 et plus), sur le sexe, sur la population (générale juive, arabe, juive ultraorthodoxe) et sur la période, le nombre de cas graves de Covid par jour, pour 100 000 personnes, dans les 4 semaines après la 4e dose était divisé par 3,5 (intervalle de confiance [IC] à 95 % : 2,7 à 4,6) par rapport au groupe 3 doses, et par 2,3 (IC95 % : 1,7 à 3,3) par rapport au contrôle interne. La figure 2 montre la réduction des risques d’infection et d’infection grave associée à la 4e dose en fonction du temps depuis son administration. La protection contre l’infection apportée par la 4e dose diminue avec le temps entre la semaine 3 et la semaine 8, alors que la protection contre une infection grave persiste jusqu’à la 6e semaine. Le risque d’infection grave est donc certainement réduit par l’administration d’une 4e dose, mais cette réduction est faible en valeur absolue : ainsi, pendant la semaine 6 après la 4e dose, on compte 1,3 infections graves pour 100 000 personnes/jour, au lieu de 5,5 infections graves pour 100 000 personnes/jour n’ayant reçu que 3 doses.
Une seconde étude a comparé l’immunogénicité d’un vaccin à ARN avec et sans administration d’une 4e dose.2 Dans cet essai, 154 et 120 personnes ayant respectivement reçu une 4e dose d’un vaccin Pfizer et Moderna ont été comparées à 308 et 239 témoins sans 4e dose appariés 2 contre 1 sur l’âge. Les résultats montrent que la 4e dose augmente le titre des IgG spécifiques, améliore la neutralisation des différents variants, y compris d’omicron, et réduit le risque de symptômes respiratoires sévères. Dans cette étude, la durée du suivi est de 3 ou 4 semaines.
Qu’en retenir ?
Ces études montrent l’efficacité d’un 2e rappel avec des durées de suivi de 4 à 8 semaines. Elles ne permettent donc pas de dire si la protection supplémentaire apportée par le rappel se prolonge au-delà de ce suivi. Dans ces conditions, la question du meilleur moment pour la 4e dose se pose : faut-il se précipiter en espérant que la protection additionnelle sera durable, ou garder cette possibilité en réserve pour le cas où la pression épidémique deviendrait plus forte ?
Par ailleurs cette protection supplémentaire, si elle est réelle, n’est pas très importante comparée au bénéfice de la primovaccination et du 1er rappel. Or la France est caractérisée par une couverture vaccinale relativement mauvaise de la population âgée. À la date du 17 avril 2022, la proportion de la population de 80 ans et plus qui n’a reçu aucune dose de vaccin est de 11,4 %, alors que cette proportion est seulement de 1 % dans la population de 70 à 79 ans (figure 3). Il est extraordinairement improbable qu’il y ait 11 fois plus d’antivax dans la population de 80 ans et plus que dans celle de 70 à 79 ans ! Le plus vraisemblable est que la plupart de ces personnes âgées n’ont pas eu accès à la vaccination. Il aurait fallu aller à leur domicile pour leur proposer la vaccination, en leur expliquant ses avantages. C’est ce qui a certainement été fait dans les pays dans lesquelles la couverture vaccinale de la population âgée est nettement meilleure qu’en France. La figure 4 montre la couverture vaccinale en Europe dans la population de 60 ans et plus. Au Portugal, en Irlande, en Islande et au Danemark, 100 % des 60 ans et plus ont été vaccinés, contre 93 % en France.
Pour conclure, il est aujourd’hui raisonnable de proposer un 2e rappel aux personnes âgées ou à risque. Au Royaume-Uni, toute la population de 75 ans et plus, toutes les personnes en maison de retraite et tous les immunodéprimés de 12 ans et plus seront invités par leur généraliste à recevoir un 2e rappel baptisé « spring booster » ou rappel de printemps. Mais en France, il est aussi urgent d’identifier les personnes âgées ou fragiles qui ne sont pas du tout vaccinées et de leur proposer une vaccination à domicile.
Par ailleurs, une organisation plus systématique du rappel ne pourrait qu’améliorer le résultat. Pour l’instant, les personnes âgées peu « connectées » et peu mobiles doivent s’appuyer sur des aidants disponibles pour prendre rendez-vous sur internet et pour les conduire à l’endroit où elles recevront leur 2e rappel. Si elles ne sont pas très motivées, ou si elles ne disposent pas de ces aidants, elles ne seront pas vaccinées.
1. Bar-On YM, Goldberg Y, Mandel M, et al. Protection by a Fourth Dose of BNT162b2 against Omicron in Israel. N Engl J Med 5 avril 2022.
2. Regev-Yochay G, Gonen T, Gilboa M, et al. Efficacy of a Fourth Dose of Covid-19 mRNA Vaccine against Omicron. N Engl J Med 2022;386(14):1377-1380.